Et Jésus pleura pour son ami…

Homélie pour le Cinquième Dimanche de Carême A (Jn 11, 1-45)

Ce dernier dimanche du temps de carême et déjà aux portes de la Semaine Sainte, l’évangile nous amène aussi à la semaine qui précédait historiquement la Pâque du Seigneur.

Comme le nous savons dans l’évangile de saint Jean, les miracles de Jésus reçoivent le nom de « signes», le premier était celui des noces de Cana, où Jésus avait changé l’eau en vin. Ce miracle, dit saint Jean, « fut le commencement des signes que Jésus accomplit ». « Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui ». Dans le miracle de la résurrection de Lazare, c’est Notre Seigneur lui-même, qui déclare que tout cela arrive pour la gloire de Dieu, chose qu’il redit ensuite à Marthe « Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. ». Ce dernier signe, ce dernier miracle sera aussi la cause de sa condamnation à mort. Quelques versets après le récit de l’évangile d’aujourd’hui, saint Jean décrit la résolution de ceux qui vont décider la mort de Jésus, certains iront leur raconter ce que Jésus avait fait et les grands prêtres et les pharisiens réunirent donc le Conseil suprême ; ils disaient : « Qu’allons-nous faire ? Cet homme accomplit un grand nombre de signes ». À partir de ce jour-là, ils décidèrent de le tuer.

Saint Henry Newman dans son commentaire de cet évangile dit : « Le Christ est venu pour ressusciter Lazare, mais l’éclat de ce miracle sera la cause immédiate de son arrestation et de sa crucifixion (Jn 11,46s). (…) Il sentait bien que Lazare revenait à la vie au prix de son propre sacrifice ; il se sentait lui-même descendre au tombeau d’où il allait faire sortir son ami ; il sentait que Lazare devait vivre et que lui-même devait mourir. Les apparences allaient s’inverser. Et Jésus savait qu’il acceptait totalement ce bouleversement : il était venu du sein de son Père pour racheter par son sang tout le péché des hommes et ainsi faire remonter tout croyant de sa tombe comme son ami Lazare — les ramener à la vie, non pour un temps, mais pour toujours. (…) » (Sermon « The Tears of Christ at the Grave of Lazarus » PPS, vol. 3, n°10 )

Chaque moment de cette longue description que fait saint Jean mériterait bien un commentaire, mais nous allons en souligner pour la méditation de ce jour quelques aspects suivant toujours les explications des pères de l’Eglises et des grands théologiens.

D’abord, Marthe fait parvenir la nouvelle à Notre Seigneur, sans demander pourtant la guérison de son frère, comme Marie à Cana, elle sait que Jésus pourrait faire quelque chose, elle se limite seulement à en informer Notre Seigneur.

Mystérieusement, le Seigneur ne se hâte pas pour aller guérir Lazare, au contraire, bien qu’Il aimât cette famille, l’évangile nous dit qu’il demeura deux jours encore à l’endroit où il se trouvait.

Les retards de Dieu sont mystérieux, dit un auteur spirituel ; parfois il prolonge nos peines pour la même raison qu’il nous les envoie. Parfois, il s’abstient de guérir, non pas parce que l’Amour n’aime pas, mais parce que l’Amour ne cesse jamais d’aimer, et parce que par cette épreuve un plus grand bien est attendu. L’amour humain, toujours impatient, ne supporte pas le retard. Mais l’horaire du ciel est différent du nôtre.

Lorsqu’Il prend la décision de revenir en Judée, ses disciples veulent le dissuader car ils savaient le danger que cela supposait. A cela, Notre Seigneur répond avec une petite parabole : « N’y a-t-il pas douze heures dans une journée ? Celui qui marche pendant le jour ne trébuche pas, parce qu’il voit la lumière de ce monde ; mais celui qui marche pendant la nuit trébuche, parce que la lumière n’est pas en lui. »

Selon son habitude, il exposait une vérité simple qui se doublait d’un sens littéral et d’un sens spirituel. La signification littérale était la suivante : il y a la lumière naturelle du soleil ; pendant environ douze heures, l’homme travaille ou voyage ; pendant ces heures de clarté, le soleil illumine son chemin. Si, par contre, un homme voyage ou travaille la nuit, il tâtonne ou fait mal son travail. Le sens spirituel s’appliquait au nom qu’Il s’était donné Lui-même de « Lumière du monde ». De la même manière que personne ne peut empêcher le soleil de continuer à briller aux heures désignées de la journée, personne ne peut non plus interrompre Jésus dans sa mission. Malgré son retour en Judée, aucun mal ne pouvait lui arriver tant qu’il ne le permettrait pas. Tant que sa lumière brillait sur les apôtres, ils n’avaient rien à craindre, même dans la ville des persécuteurs.

Il viendrait le moment où il laisserait la lumière s’éteindre et où il dirait à Judas et à ses ennemis dans le jardin: “C’est votre heure et la puissance des ténèbres.” Mais jusqu’à ce qu’il leur en ait donné permission, ses ennemis ne pouvaient rien faire. Le jour brille jusqu’au moment de la Passion ; la passion c’est la nuit.

L’autre aspect à remarquer ce dimanche, c’est l’émotion de Jésus, Jésus pleure la mort de son ami et les souffrances des siens, bien qu’Il soit tout à fait conscient de son pouvoir de le ressusciter, Il partage avec nous la douleur et la tristesse, parce qu’Il avait vraiment assumé la nature humaine, à exception du péché.

De manière active plutôt que passive, il a assumé la mort et la douleur, deux des principaux effets du péché, il était triste parce qu’il le voulait et il mourrait parce qu’il le voulait aussi. La longue procession de personnes en deuil à travers les siècles, le sombre effet de la mort qu’Il allait lui-même prendre sur lui, le portait à boire le calice amer de la croix. Il n’aurait pas pu devenir grand prêtre sans avoir eu de compassion pour nos peines. Tout comme il était faible dans notre faiblesse, pauvre dans notre pauvreté, il était aussi triste dans notre tristesse. Cette participation volontaire aux peines de ceux qu’il allait racheter lui fit verser des larmes. Le mot grec utilisé dans le texte pour indiquer qu’il pleurait donne l’idée de verser des larmes sereinement. Dans les Écritures, notre Seigneur est présenté trois fois en train de pleurer : une fois, pour sa nation, lorsqu’il a pleuré sur Jérusalem ; une autre, dans le jardin de Gethsémani, quand il pleura pour les péchés du monde ; et au moment où nous parlons, quand Lazare était mort, il pleurait l’effet du péché, qui est la mort. Aucune de ces larmes n’était pour lui-même, mais pour la nature humaine qu’il avait assumée. Dans chacun des trois exemples, son cœur humain pouvait distinguer entre le fruit et la racine, entre les maux qui affligent le monde et leur cause, qui est le péché. Vraiment, il était le « Verbe fait chair”.

Dans ces larmes du Seigneur, toutes les larmes qui naissent de l’amour et de la douleur seront désormais sanctifiées.

Pour conclure, laissons la place à ce grand saint de notre époque, saint Jean Paul II, dans son commentaire sur l’évangile de ce dimanche :  

Dans ce miracle, il ne s’agit pas seulement de rendre la vie à un mort sur terre. Il s’agit de la vie « éternelle » ; de la vie en Dieu. La foi en Jésus est le début de cette vie surnaturelle, qui est la participation à la vie de Dieu ; et Dieu est l’éternité. Vivre en Dieu équivaut à dire vivre éternellement (cf. Jn 1-2; 3-4; 5-11 ss.). Nous croyons donc que cette vie éternelle, cette vie divine – dont la résurrection de Lazare est un signe – opère déjà en nous, grâce à la résurrection du Christ. Cette perspective salvifique, difficile à accepter par les “sages” de ce monde, mais accueillie avec joie par “les pauvres et les simples” (cf. Mt 11, 25), est celle qui permet de découvrir la valeur surnaturelle qui peut être enfermée dans chaque événement humain …

[…] L’Évangile est une Bonne Nouvelle, pleine de foi et d’espérance : ” J’espère le Seigneur de toute mon âme ; je l’espère, et j’attends sa parole.” (Ps 130 [129], 5).

Cependant, tant de fois nous ne comprenons pas ce que le Seigneur nous dit et peut-être, nous perdons l’espoir, car nous n’attendons pas sa parole …

Les chrétiens aiment la création et tant de bonnes choses dans le monde, car il est sorti des mains de Dieu ; mais ils ne mettent pas leur dernier espoir dans ce monde.

Notre espérance c’est le Christ Jésus, la Parole de Dieu qui se fait homme et qui, après sa mort, est ressuscité. Notre espoir n’est pas vain et nous ne serons pas déçus!

Le Seigneur veut nous faire sortir de notre tombe, d’une vie sans autre horizon que ce qui est matériel, sans relief, qui ne se soucie que des problèmes de ce monde. Le Seigneur veut que la vie terrestre soit imprégnée de cette vie éternelle et divine, selon l’Esprit, qui est la vie de la charité, qui est la vie de la résurrection. Ceux qui vivent selon la chair ne peuvent plaire à Dieu. « Vous vivez selon l’Esprit, si l’Esprit de Dieu habite en vous ».

Préparons nos cœurs pour célébrer la Semaine Sainte avec une grande ferveur, il est vrai que cette année, ce temps de grâce est tout à fait particulier, mais selon les mots du pape que nous venons de citer, il faut découvrir la valeur surnaturelle qui est enfermée dans cet événement, dans cette situation difficile mais qui dans la Providence de Dieu a toujours un sens providentiel dans nos vies, dans la vie du monde.

Que Marie nous donne cette grâce.

P. Luis Martinez IVE.

Marie est « la terre dans laquelle a été semée l’Église »

L’Annonciation du Seigneur

Nous avons la joie de célébrer cette solennité de l’Annonciation et notre réflexion est dirigée vers celle qui est aussi protagoniste de ce mystère avec la très Sainte Trinité, notre Dame, la très sainte Vierge Marie.

Ainsi comme elle a un rôle dans cet événement, elle l’a aussi dans notre spiritualité. L’amour que par notre fondateur Dieu nous a inspiré pour Marie et qui se reflète essentiellement dans notre quatrième vœu de consécration totale à la Vierge Marie, selon la méthode de saint Louis Marie Grignion de Montfort, est traduit dans toute notre façon de vivre la vie religieuse ou la vie chrétienne.

« En elle, dit notre directoire de spiritualité, Dieu prenait une forme humaine, c’est pourquoi Saint Augustin appelle la Vierge ” forma Dei “, et à l’image de Jésus nous nous consacrons comme les esclaves de la Sainte Vierge, désirant “entrer dans le sein de notre Mère et naître de nouveau”. Se consacrer à Jésus par Marie, c’est suivre le chemin qu’Il a suivi pour venir au monde, qu’Il continue d’utiliser et qu’Il utilisera toujours.

Le directoire nous rappelle que notre spiritualité devrait être celle des prières de l’Angelus, celle de la salutation à la Vierge, comme nous l’appelons : Je vous salue Marie, la spiritualité aussi du Magnificat, c’est-à-dire, les prières qui décrivent l’âme de Marie, sa disponibilité pour accomplir le dessein de Dieu.

Dans son acceptation libre, dans son Fiat de l’Incarnation, Marie nous apprend comment nous devons nous aussi nous rendre participant de l’œuvre de Dieu dans ce monde. Marie, est loin d’être un simple instrument passif aux mains de Dieu, mais elle apporte la coopération de sa libre foi et de son obéissance au salut des hommes.

Dans l’Incarnation, nous devons aussi suivre l’exemple de la Sainte Vierge. En premier lieu, de sa foi : Heureuse celle qui a cru … (Lc 1,45); nous devons vivre de la foi et avoir une foi vivante, ferme, intrépide, éminente et héroïque; une foi convaincue et résolue à refuser toute erreur. 

Comme Marie, une foi pénétrante qui voit toutes choses à la lumière de la révélation, “sub specie aeternitatis”, élevant l’âme aux plans surnaturels de Dieu, qui bâtit des grandes choses, une foi qui illumine la vie et lui donne un sens, qui donne force, anime et réconforte, une foi qui exclut la peur.

Nous devons également regarder la sainte Vierge dans son humilité : elle fut toute bouleversée d’entendre les paroles de l’ange (Lc 1,29); dans sa prudence: elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation (Lc 1,29); de sa pureté: « Comment cela va-t-il se faire,
puisque je ne connais pas d’homme ? » (Lc 1,34); de son abandon en Dieu: « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. » (Lc. 1,38). Elle est exemple encore de magnanimité car réfléchissant sur l’Incarnation, elle chantera : le Puissant a fait de grandes choses pour moi (Lc 1,49).

Il est bien pour nous de faire souvenir des paroles de notre Père Spirituel, saint Jean Paul II. Dans une méditation très riche sur le mystère de l’Incarnation, il réfléchissait ainsi :

« Une question vient immédiatement à l’esprit : pourquoi le Verbe a-t-il préféré naître d’une femme (cf. Ga 4, 4), plutôt que de descendre du ciel avec un corps déjà adulte, formé de la main de Dieu (cf. Gn 2, 7) ? Est-ce que cela n’aurait pas été plus digne de lui ? Plus adéquat à sa mission de maître et de sauveur de l’humanité ? Nous savons que dans les premiers siècles surtout, beaucoup de chrétiens (les docètes, les gnostiques, etc.) auraient préféré que les choses fussent ainsi. Le Verbe, au contraire, prit l’autre chemin. Pourquoi ? »

« La réponse nous arrive avec la simplicité transparente et convaincante des œuvres de Dieu. Le Christ voulait être un véritable rejeton (cf. Is 11, 1) de la souche qu’il venait sauver. Il voulait que la rédemption jaillisse pour ainsi dire de l’intérieur de l’humanité, comme quelque chose d’elle-même. Le Christ voulait secourir l’homme, non comme un étranger, mais comme un frère, en se faisant en tout semblable à lui excepté le péché (cf. He 4, 15). C’est pourquoi il voulut une mère et la trouva en la personne de Marie. La mission fondamentale de la jeune fille de Nazareth fut donc celle d’être le trait d’union entre le Sauveur et le genre humain ».

« Cependant, dans l’histoire du salut, l’action de Dieu ne se déroule pas sans faire appel à la collaboration des hommes : Dieu n’impose pas le salut. Il ne l’a pas imposé non plus à Marie. Dans l’événement de l’Annonciation, il se tourne vers elle d’une manière personnelle, sollicite sa volonté et attend une réponse qui jaillisse de sa foi. Les Pères ont très bien approfondi cet aspect, en faisant ressortir que « la bienheureuse Marie, en croyant à Celui qu’elle engendra, le conçut aussi dans un acte de foi « (saint Augustin, Sermo 215, 4 cf. saint Léon, Sermo I in Nativitate, 1 ; etc.). Le récent Concile Vatican II a souligné la même chose, en affirmant que la Vierge « à l’annonce de l’Ange accueillit dans son cœur et dans son corps le Verbe de Dieu » (Const. dogm. Lumen gentium, n. 58) ».

« Le consentement total et inconditionnel de la « servante du Seigneur » ne fut point un simple consentement à la naissance de Jésus, mais bien une acceptation responsable de participer à l’œuvre de salut qu’il venait réaliser. Les paroles du Magnificat offrent une confirmation très nette de cette conscience lucide : « Il a secouru Israël son serviteur — dit Marie —, se souvenant de sa miséricorde, comme il l’avait promis à nos pères, à Abraham et à sa descendance à jamais. » (Lc 1, 54-55.) »

« En prononçant son « fiat », Marie ne devient pas seulement Mère du Christ historique ; son geste la pose comme Mère du Christ total, comme « Mère de l’Église ». « Dès l’instant du « fiat » — remarque saint Anselme — Marie commença à nous porter tous dans son sein » ; c’est pourquoi « la naissance de la Tête est aussi la naissance du Corps », proclame saint Léon-le-Grand. De son côté, saint Éphrem a aussi une très belle expression à ce sujet : Marie, dit-il, est « la terre dans laquelle a été semée l’Église ». 

Toute mère transmet à ses enfants sa propre ressemblance, continue après le pape saint Jean Paul II ; c’est ainsi qu’entre Marie et l’Église il existe un rapport de profonde ressemblance. Marie est la figure idéale, la personnification, l’archétype de l’Église. En elle s’effectue le passage de l’ancien au nouveau Peuple de Dieu, d’Israël à l’Église. « 

« Marie est le premier fruit et l’image la plus parfaite de l’Église : « Une part très noble, une part excellente, une part remarquable, une part tout à fait choisie. » (Rupert, In Apoc., 1, VII, 12.) « Unie à tous les hommes qui ont besoin du salut », proclame encore Vatican II, elle a été rachetée « d’une manière très sublime en considération des mérites de son Fils » (Const. dogm. Lumen gentium, n. 53). Aussi Marie demeure-t-elle, aux yeux de tous les croyants, comme la créature toute pure, toute belle, toute sainte, capable « d’être Église » comme aucune autre créature ne le sera jamais ici-bas. »

« Nous aussi, aujourd’hui, nous la contemplons pour apprendre, à partir de son exemple, à construire l’Église. Et pour cela, nous savons qu’il nous faut avant tout progresser sous sa direction dans l’exercice de la foi. Marie a vécu sa foi dans une attitude d’approfondissement continuel et de découverte progressive, en traversant des moments difficiles de ténèbres, à commencer par les premiers jours de sa maternité (cf. Mt 1, 18 et ss.) : moments qu’elle a surmontés grâce à une attitude responsable d’écoute et d’obéissance à l’égard de la Parole de Dieu. Nous aussi, nous devons nous efforcer d’approfondir et de consolider notre foi par l’écoute, l’accueil, la proclamation, la vénération de la Parole de Dieu, par l’examen attentif des signes des temps à sa lumière, par l’interprétation et l’accomplissement des événements de l’histoire (cf. Paul VI, Exh. ap. Marialis cultus, n. 17). » (Messe à Éphèse, Turquie. 30/11/1979)

Dans cette solennité demandons la grâce à notre Dame, de l’imiter, d’imiter son Fils, pour devenir dans ce monde, selon les belles paroles de sainte Elisabeth de la Trinité, une nouvelle incarnation du Verbe.

P. Luis Martinez IVE.