Introduction
L’Apôtre Saint Paul, dans sa Lettre aux Philippiens, dit que Jésus « ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : Jésus-Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père » (2,6-11).
Le mystère de la venue du Christ dans le monde, que nous célébrons à Noël, est admirablement résumé dans ce paragraphe. Saint Thomas d’Aquin, en commentant ce texte, dit que « l’Apôtre s’est servi avec justesse de cette expression : il s’est anéanti, car le vide est opposé à la plénitude, or la nature divine possède la plénitude, puisqu’elle renferme toute la perfection de la bonté… La nature humaine et l’âme de l’homme ne possèdent pas la plénitude, elles n’ont que la capacité d’y parvenir, car cette âme est comme une table rase ; la nature humaine n’a donc que le vide. Ainsi l’Apôtre dit-il : Il s’est anéanti, parce Jésus-Christ s’est uni la nature humaine » (Commentaire de l’épître de saint Paul aux Philippiens, ch. 2, l. 2).
Jésus-Christ a voulu s’anéantir pour notre salut, ce qui se voit dans le fait qu’il a non seulement assumé notre nature humaine, en tout sauf le péché, mais il a également voulu assumer de nombreuses déficiences de cette nature, qui ne sont pas contraires à sa mission, c’est-à-dire qui ne sont pas contraires à sa science et à sa sainteté. Saint Thomas d’Aquin nous en explique la cause : « le Christ a pris nos déficiences (les faiblesses de notre nature excepté le péché) afin de satisfaire pour nous, pour manifester la vérité de sa nature humaine, et enfin pour nous donner l’exemple de la vertu » (Somme Théologique, III, 15, 1). En d’autres termes, le Christ a voulu nous libérer de nos déficiences, mais il a d’abord voulu partager les nôtres, les vivre avec nous, afin que nous sachions comment agir vertueusement dans les circonstances difficiles de notre vie humaine et de notre vie chrétienne. C’est l’un des principaux enseignements de la crèche : la radicalité de Jésus, qui nous pousse à être radicaux et à imiter ses « vertus de l’anéantissement ». L’Apôtre Pierre dit : « C’est bien à cela que vous avez été appelés, car c’est pour vous que le Christ, lui aussi, a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces » (1P 2,21).

En cette semaine qui précède la célébration de Noël, nous allons méditer sur ces vertus de l’anéantissement du Christ, telles qu’elles sont énumérées dans le « droit propre » de l’Institut du Verbe Incarné : « l’humilité, la justice, le sacrifice, la pauvreté, la douleur, l’obéissance, l’amour miséricordieux… en un mot, porter la croix » (Constitutions, 11 ; cf. Directoire de spiritualité, 335).
Et pour introduire ces méditations, nous apportons un texte du patron de notre monastère, le bienheureux Charles de Foucauld, qui, contemplant le Christ en croix, met ces paroles sur ses lèvres : «…de ma grotte et de ma crèche, je vous apprends l’amour, l’humilité, la pauvreté, l’abjection, la retraite, la joie quand on est rejeté, repoussé, méprisé par le monde. C’est l’amour qui me fait venir petit et faible, semblable à vous, me livrer à vous, me donner à vous, pour toujours jusqu’à la fin de siècles : pour travailler, souffrir, mourir parmi vous en ces trente-trois ans de ma vie mortelle ; pour rester ensuite avec vous jusqu’à la consommation des siècles dans la sainte Eucharistie, sans souffrances, mais non sans outrages, non sans recevoir d’offenses. L’humilité paraît quand je me fais si petit, si petit et si faible dans la crèche et dans l’Eucharistie. La pauvreté, c’est le dénuement de ma crèche, de ma grotte, de mes parents : quel berceau, quelle demeure ! et pour parents de pauvres ouvriers ! L’abjection, c’est le choix que je fais de ce que méprise le monde pour être mon entourage intime, partageant ainsi leur déconsidération et le dédain qu’on leur prodigue : de pauvres ouvriers pour parents, de pauvres bergers pour premiers amis. La retraite je vous l’enseigne en naissant, passant mes premières semaines loin des hommes, loin des grandes villes, hors même de tout village, en pleine campagne, dans une grotte solitaire à quelque distance d’un village. La joie quand on est rejeté, repoussé, méprisé par le monde ; car désormais, celui d’entre vous qui sera rejeté, repoussé, méprisé par le monde se souviendra que je l’ai été le premier et toute ma vie, de ma naissance à ma mort, et il se réjouira de m’être semblable ; il comprendra que sans souffrir ces rejets, mépris, persécutions, on ne peut m’être semblable, et que plus on les souffre plus on me ressemble, sujet de joie parfaite » (Méditations sur l’Evangile, 25 mars 1905).
