Les Martyrs de “El Pueyo”
Nous célébrons aujourd’hui cette solennité propre de notre monastère, plutôt de tous les moines de notre Institut. Depuis deux ans, nous avons choisi comme patrons ce groupe de moines bénédictins, morts martyrs en Espagne, en 1936.
Qui étaient ces moines? Comme c’est souvent en Europe, depuis le moyen âge, on vénérait à cet endroit de El Pueyo, à l’est d’Espagne, une statue de la Sainte Vierge, la dévotion chrétienne y avait bâti aussi un sanctuaire, dans le XIX siècle un monastère bénédictin se constituait comme le gardien et protecteur de ce sanctuaire marial.
Bientôt la communauté grandit en nombre et en importance, grâce à l’exemple, le travail et la prière des moines.
En 1936, la persécution religieuse est déclarée, et en quelques années douze évêques, plus de 4000 prêtres, 2365 religieux, 283 relieuses et un nombre difficile à préciser de fidèles laïcs donneront leur vie pour le nom du Christ.
Sensiblement, cela peut nous choquer, mais lorsqu’on connaît les récits de différents témoignages, donnés par les témoins et parfois même par les bourreaux, on voit la force extraordinaire que ces martyrs montraient, une force que seulement Dieu peut donner pour affronter la mort. Plusieurs d’entre eux mourraient en pardonnant leurs bourreaux, en criant les « vives » pour la Vierge et pour le Christ Roi et toujours avec grande sérénité et une grande joie.
Les moines de “El Pueyo”, comme beaucoup de religieux ont pressenti le péril qui s’approchait, et ils ont pris beaucoup de mesures sachant que le péril était très proche. Ce monastère avait parmi ses apostolats la garde de quelques jeunes garçons (plutôt enfants), il y a eu donc soit des enfants soit des religieux qui ont dû laisser le monastère pour échapper du péril.
De toute façon dans la communauté sont restés la plus part des moines, les plus âgés et les prêtres, et quelques enfants qui n’ont pas pu retourner dans leur maison.
Le 21 juillet de l’année 36, un groupe des « rouges » ( les communistes) prennent le premier des moines, celui qui sera la première victime quelques jours après. Le lendemain, 22 juillet les rouges arrivent au monastère, prenant maintenant toute la communauté et les enfants pour les amener dans ville principale Barbastro, ils seront mis dans un collège de religieux transformé en prison.
Avec les moines, il y aura aussi l’évêque de la ville, quelques prêtres et une cinquantaine de séminaristes de la congrégation religieuse de Saint Antoine Marie Claret. Ils seront presque tous martyrisés au cours du mois d’août.
Quelques séminaristes, à cause de leur nationalité et ainsi que les enfants qui venaient avec les moines seront épargnés de la mort, et deviendrons après les témoins des derniers jours des martyrs.
Le martyr comme acte de force
Alors, il est difficile parfois de voir l’acte du martyre comme ce qu’il est, le martyre est une grâce de Dieu, un don.
Notre nature humaine nous trompe quelque fois, parce que par nature l’homme ne veut pas mourir, ou bien, on peut se poser la question, comment ils ont fait les martyrs de toute l’histoire de l’Eglise pour tenir jusqu’à la mort ?
L’exemple de sainte Félicité, ici à Carthage, peut nous aider à comprendre, le bourreau se moquait d’elle à cause de ses souffrances au moment de son enfantement, disant qu’elle allait souffrir encore plus après, saint Félicité a répondu : « Maintenant c’est moi qui souffre, mais là, ce sera Dieu qui souffrira à ma place». C’est un peu cela dans tous les martyrs, Dieu leur donne une force spéciale, la vertu de la force en toute sa splendeur. Il ne s’agit pas de nos forces humaines, sinon la vertu de la force imprégnée de la grâce. Comme le dit saint Cyprien aussi dans un sermon : « La multitude voit avec admiration ce combat céleste, elle voit que les serviteurs du Christ ont tenu bon dans la bataille, avec une parole hardie, une âme intacte, une force divine. »

Saint Thomas d’Aquin dit que le martyre est l’acte qui manifeste au plus haut degré la perfection de la charité. Les martyres n’ont pas peur de perdre ce qui est le plus cher pour nous, qui est la vie même, parce qu’ils aiment plus que tout le Christ, et il fait citation de la parole de Jésus (Jn 15, 13) : ” Il n’y a pas de plus grande charité que de donner sa vie pour ses amis. “
On appelle martyr celui qui est comme un témoin de la foi chrétienne, alors la foi nous propose de mépriser le monde visible pour les réalités invisibles, selon la lettre aux Hébreux (11, 34). Il appartient donc au martyre que l’homme témoigne de sa foi, en montrant par les faits qu’il méprise toutes les choses présentes pour parvenir aux biens futurs et invisibles, même en donnant sa vie.
Maxime de Turin dira aussi : ” Le martyr est vainqueur en mourant pour la foi, alors qu’il aurait été vaincu en vivant sans la foi. “
La fin de nos martyrs
Sachant que la mort était proche, nos martyrs ont commencé à rédiger des lettres pour les personnes qu’ils aimaient, elles font partie évidement des témoignages. Il y en a une, son auteur était un des moines qui venait de faire sa profession de vœux, environs 10 jours avant son arrestation. Il écrit quelques paragraphes à sa maman :
« « Mère très aimée : je me réjouis seulement de penser à la dignité à laquelle Dieu veut vous élever, faisant de vous la mère d’un martyr. Celle-ci est la meilleure des garanties que nous deux, nous serons heureux pour toute l’éternité. Le souvenir de ma mort sera toujours accompagné par cette grande idée « un fils mort, mais martyr de la religion » Que Dieu ne puisse m’accuser d’un autre délit que celui dont les hommes m’accusent : « être disciple du Christ ». Mère très chère, adieu, adieu, jusqu’à l’éternité. Je suis très heureux » »
La nuit du 27 au 28 août, un groupe de miliciens se présente dans la salle qui servait de prison pour les moines, ils portaient des cordes tachés de sang d’autres exécutions les jours précédents.

Les 15 moines qui restent sont attachés, trois avaient déjà subi le martyr au cours de ce mois. Ils se donnent l’absolution générale de tous les péchés et montent sur un camion, dans le chemin ils criaient « Vive la Vierge du Pilar » « Vive le Christ Roi », les gens diront après qu’il semblait que ces religieux partaient pour une fête plutôt que vers leur martyr.
Comme c’était le Prieur, le bienheureux Mauro celui qui encourageait et animait le plus sa communauté, les miliciens le font descendre du camion et continuer à pied le peu de chemin qui manquait, pendant cela un d’eux le tapait de son fusil.
Pas loin d’un hôpital qui se trouvait sur le chemin au lieu des exécutions, le père Mauro demande la permission d’adresser la dernière salutation à sa Mère. Les bourreaux pensaient que la mère naturelle du martyr se trouvait dans cet endroit. Le père Prieur se tourne donc vers le sanctuaire et commence à chanter la Salve Regina, saluant sa Mère du Ciel.

La rage d’un des bourreaux devient si extrême qu’il l’exécute à ce moment-là. Quelque temps après, ce sera le même assassin qui racontera ce fait, confessant aussi que le dernier regard du martyr avant de le tuer lui est resté gravé, de façon que son souvenir l’empêchait même de trouver le sommeil.
C’est d’admirer aussi, non seulement la force d’aller vers le martyre, sinon aussi l’amour qui faisait faire de grands geste avant la mort. Le père Prieur donne sa vie, en faisant ce que les moines font toujours, chanter, et il chantait la Mère de Dieu.
« Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. » (Mt 5, 10-11)
Demandons, à la très sainte Vierge Marie, la grâce de la sainteté, nous en sommes tous appelés. Et il se peut qu’avec la Providence Divine, la sainteté contienne en elle la grâce du martyre.