« Mon Dieu si vous existez, faites que je vous connaisse » – La Conversion du Bienheureux Charles de Foucauld

Dans une lettre à Henry de Castries, Charles de Foucauld fait le récit de sa conversion.  

Notre-Dame des Neiges, 14 août 1901 

Mon cher ami, 

…Je commencerai par faire ma confession. Votre foi n’a été qu’ébranlée me disiez-vous ; hélas la mienne a été complètement morte pendant des années : pendant douze ans, j’ai vécu sans aucune foi. Rien ne me paraissait assez prouvé ; la foi égale avec laquelle on suit des religions si diverses me semblait la condamnation  de toutes : moins qu’aucune, celle de mon enfance me semblait admissible avec son 1= 3 que je ne pouvais me résoudre à poser ; l’Islam me plaisait beaucoup, avec sa simplicité, simplicité de dogme, simplicité de hiérarchie, simplicité de morale, mais je voyais clairement qu’il était sans fondement divin et que là n’était pas la vérité ; les philosophes sont tous en désaccord ; je demeurai douze ans sans rien nier et sans rien croire, désespérant de la vérité et ne croyant même pas en Dieu, aucune preuve ne me paraissait assez évidente… 

Je vivais comme on peut vivre quand la dernière étincelle de foi est éteinte. Par quel miracle la miséricorde divine m’a-t-elle ramenée de si loin ? Je ne puis l’attribuer qu’à une seule chose : la bonté de Celui qui a dit de lui-même « Quoniam bonus, quoniam in saceculum misericordia ejus » (car Il est bon, car Sa miséricorde est éternelle), et sa Toute Puissance… 

Pendant que j’étais à Paris, faisant imprimer mon voyage au Maroc, je me suis retrouvé avec des personnes intelligentes, très vertueuses et très chrétiennes ; je me suis dit que peut-être cette religion n’était pas absurde ; en même temps une grâce intérieure extrêmement forte me poussait ; je me suis mis à aller à l’église, sans croire, ne me trouvant bien que là et y passant de longues heures à répéter cette étrange prière : «Mon Dieu si vous existez, faites que je vous connaisse »…  

L’idée me vint qu’il fallait me renseigner sur cette religion, où peut-être se trouvait cette vérité dont je désespérais ; et je me dis que le mieux était de prendre des leçons… Comme j’avais cherché un bon thaleb pour m’enseigner l’arabe, je cherchai un prêtre instruit pour me donner des enseignements sur la religion catholique… On me parla d’un prêtre très distingué, ancien élève de l’Ecole Normale ; je le trouvai à son confessionnal et je lui dis que je ne venais pas me confesser, car je n’avais pas la foi, mais que je désirais avoir quelques renseignements sur la religion catholique… Le Bon Dieu qui avait commencé si puissamment l’œuvre de ma conversion, par cette grâce intérieure si forte qui poussait presque irrésistiblement à l’église, l’acheva : le prêtre, inconnu pour moi, à qui il m’avait adressé, qui joignait à une grande instruction une vertu et une bonté plus grandes encore devint mon confesseur et n’a pas cessé d’être, depuis les quinze ans qui se sont écoulés depuis ce temps, mon meilleur ami… 

Aussitôt que je crus qu’il y avait un Dieu, je compris que je ne pouvais faire autrement que de ne vivre que pour lui : ma vocation religieuse date de la même heure que ma foi : Dieu est si grand, il y a une telle différence entre Dieu et tout ce qui n’est pas lui… Dans les commencements, la foi eut bien des obstacles à vaincre ; moi qui avais tant douté, je ne crus pas tout en un jour ; tantôt les miracles de l’Evangile me paraissaient incroyable ; tantôt je voulais entremêler des passages du Coran dans mes prières. Mais la grâce divine et les conseils de mon confesseur dissipèrent ces nuages… Je désirais être religieux, ne vivre que pour Dieu et faire ce qui était le plus parfait, quoique ce fût… Mon confesseur me fit attendre trois ans ; moi-même, tout en désirant « m’exhaler devant Dieu en pure perte de moi », comme dit Bossuet, je ne savais quel ordre choisir : l’Evangile me montra que le « premier commandement est d’aimer Dieu de tout son cœur » et qu’il fallait tout enfermer dans l’amour ; chacun sait que l’amour a pour premier effet l’imitation ; il restait donc à entrer dans l’ordre où je trouverais la plus exacte imitation de Jésus…

“chaque fois que vous l’avez fait , c’est à moi que vous l’avez fait”

Solennité du Christ Roi

Lorsque le pape Pie XI instituait cette fête pour toute l’Eglise, son désir était que les mystères de la vie de Jésus-Christ commémorés au cours de l’année trouvent dans cette fête comme leur achèvement et leur couronnement et que la Liturgie proclame et exalte la gloire de Celui qui triomphe, en tous les Saints et tous les élus (Quas Primas, 19). Alors cela nous pouvons le constater au moment où nous contemplons les différents mystères de la vie de notre Seigneur, en tous Il se montre Roi, Roi en sa naissance étant vénéré par des Rois, Roi dans sa vie cachée grandissant en sagesse et en intelligence se préparant pour sa mission, Roi dans son humilité, dans sa miséricorde envers les pécheurs et ceux qui souffrent, Roi plein d’autorité devant ceux qui voulaient sa mort, Roi de vérité, Roi qui acceptait de mourir pour les siens, Roi en offrant librement sa vie en sacrifice, l’unique Roi et souverain qui a vaincu la mort et qui ne meurt jamais dans son trône de Gloire au Ciel.

C’est l’unique Roi qui aura le pouvoir de juger tous les hommes, mêmes ceux qui n’ont jamais voulu le reconnaître comme leur Roi et voilà le message que la liturgie de cette fête nous présente aujourd’hui, dans cette solennité.  

Mais, faisons un bref parcours pour voir de quelle manière la Parole de Dieu de ce dimanche nous montre la Royauté du Christ.

Le Seigneur règne en tant que berger, en tant que bon berger.

Le berger est celui qui aime les brebis et en prend soin, les protège de la dispersion, les rassemble « pour les délivrer dans tous les endroits où elles ont été dispersées un jour de nuages et de sombres nuées.» (Ez 34, 12).

La liturgie d’aujourd’hui contient un dialogue passionnant entre le berger et le troupeau. Le berger dit: « je veillerai sur mes brebis, c’est moi qui ferai paître mon troupeau, et c’est moi qui le ferai reposer… Je chercherai les brebis perdues, je ramènerai celles qui sont perdues, je panserai leurs blessures, je guérirai les malades ; Celle qui est malade, je lui rendrai des forces. Celle qui est grasse et vigoureuse, je la garderai, je la ferai paître selon le droit.»(Ez 34, 15-16).

Le troupeau, toute brebis s’exprime à son tour par ces paroles: «Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien: Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer.. Il me conduit vers des sources tranquilles et répare ma force; Il me guide sur le droit chemin, pour l’honneur de son nom … bonté et ta miséricorde m’accompagnent tous les jours de ma vie, et j’habiterai dans la maison du Seigneur pendant des années sans fin »(Ps 22 [23], 1-3. 6).

Selon les paroles de saint Jean Paul II: “C’est le dialogue quotidien de l’Église: le dialogue qui se fait entre le berger et le troupeau et dans ce dialogue mûrit le royaume «préparé depuis la création du monde» (Mt 25, 24). Le Christ Roi, en tant que Bon Pasteur, prépare son troupeau de diverses manières, c’est-à-dire tous ceux qu’il doit donner au Père «pour que Dieu soit tout en tous» (1 Co 15, 28)”.

Saint Paul dans la deuxième lecture que nous venons de rappeler nous révèle le plan de Dieu dans l’histoire de l’humanité, tout conduit à sa Gloire, tout sera achevé, quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père et que le dernier ennemis, la mort soit vaincue, alors donc les élus de Dieu pour qui toute la création a été faite et l’histoire du monde est préparée, atteindront la récompense, la victoire obtenue par le Fils de Dieu, le Roi de l’Univers, pour qu’à la fin et pour toujours Dieu règne en tous.

Revenons maintenant au passage évangélique, le Seigneur prophétise son retour de Gloire pour juger toute l’humanité, alors il siégera sur son trône de gloire. Nous ne devons pas entendre cela d’un trône corporel, nous explique saint Thomas d’Aquin mais son trône, ce sont les hommes saints et les anges. En eux il trônera, car il exercera le jugement par eux. 

Il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs.

Mais pourquoi appelle-t-il les bons des brebis ? se demande encore saint Thomas. C’est pour quatre raisons. En effet, on trouve chez les brebis l’innocence. On trouve aussi la patience : Is 53, 7 : « Comme une brebis, il sera conduit à l’abattoir, et comme un agneau, il se taira devant celui qui le tond, et il n’ouvrira pas la bouche ». On voit dans cet animal encore l’obéissance, car elles se rassemblent à la voix du pasteur : Jn 10, 27 : Mes brebis entendent ma voix. On trouve enfin une abondance de fruits : comme nous recevons plusieurs fruits d’une seule brebis, ainsi abondent les fruits des bons. Ez 34, 3 : Vous buviez du lait et vous étiez habillés de sa laine.

 Par les boucs, le Seigneur désigne les ceux qui seront condamnés, nous dit toujours saint Thomas, car c’est un animal qui se promène dans les précipices. Il se donne facilement aux basses passions et possède un caractère agressif, non docile.

 « Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite :  ‘Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde.

Comme le Seigneur veut dire à tous un jour : “Venez, les bénis de mon Père, héritez du royaume” (Mt 25, 34) ! Comme Il veut trouver, à la fin de l’histoire du monde, ceux à qui il pourra dire : “… j’avais faim et tu m’as donné à manger, j’avais soif et tu m’as donné à boire, j’étais un étranger et tu m’as hébergé, j’étais nu et toi tu m’as revêtu, malade et tu m’as visité, en prison et tu es venu me voir » (Mt 25, 35-36) !

Comme il veut reconnaître ses brebis par des œuvres de charité, même par une seule d’entre elles, voire pour le verre d’eau donné en son nom (cf. Mc 9, 41)!

Comme il veut rassembler ses brebis en un seul troupeau définitif, les placer « à sa droite » et dire : « recevez … le royaume préparé pour vous depuis la création du monde » !

Et pourtant, dans la même parabole, le Christ parle des boucs qui se trouveront « à gauche ». Ce sont eux qui ont rejeté le royaume. Ils ont rejeté non seulement Dieu, considérant et proclamant que son royaume anéantit le royaume indivis de l’homme dans le monde, le royaume de Dieu dérange et fait obstacle au royaume de l’homme dans ce monde, mais pourtant ils ont aussi rejeté l’homme : ils ne l’ont pas hébergé, ils ne lui ont pas rendu visite, ils ne lui ont pas donné à manger ou à boire. Ils n’ont pas accepté Dieu et ils ont méprisé l’œuvre de Dieu. C’est malheureux de constater cela en plusieurs formes de gouvernement, combien de fois pour refuser Dieu, nécessairement ils finissent par détruire les hommes.

En effet, le royaume du Christ est confirmé, dans les paroles du jugement dernier, comme un royaume de l’amour envers l’homme. La base ultime de la condamnation des mauvais sera précisément cette motivation : “chaque fois que vous ne l’avez pas fait avec un des petits, les humbles, vous ne l’avez pas fait avec moi non plus” (Mt 25, 45).

Pour conclure, saint Jean de la Croix avait dit une fois : « au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour ». Et au soir de la vie de monde, au soir de l’histoire de l’humanité nous serons jugés aussi sur l’amour. A ce Roi d’amour implorons la grâce qu’Il nous trouve prêts pour ce jugement. A la Reine du Ciel nous demandons son intercession.

P. Luis Martinez IVE.