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Douleur avec le Christ douloureux

L’apôtre saint Thomas a approfondi la Passion de Notre Seigneur en plaçant son doigt et sa main dans les plaies des mains et du côté. Nous aussi, nous devons approfondir sa Passion.

Il y a quelques années, avec le P. José Hayes, IVE, nous étions en route pour rendre visite aux Pères qui étaient en Guyane, et pendant notre séjour à Bogotá, nous avons décidé d’aller à Carthagène des Indes. Carthagène des Indes est une ville colombienne située sur la côte Pacifique, à la hauteur des Caraïbes, très chaude, très humide et très pittoresque car c’est une ancienne ville coloniale, très colorée et typique, avec un centre historique fortifié, qui appartenait à la ville coloniale. Nous y sommes allés parce qu’un grand saint, saint Pierre Claver, est enterré dans l’église des Jésuites. Saint Pierre Claver était un disciple de saint Alonso Rodríguez, ce jésuite qui était portier, un homme d’une vie spirituelle sérieuse et profondément surnaturelle. Pierre Claver fut envoyé là-bas, en Colombie, pour être missionnaire. Il a voyagé dans différents endroits et s’est finalement retrouvé à Carthagène des Indes, où il a passé une grande partie de sa vie. Et là, il a réalisé un apostolat merveilleux, extraordinaire, auprès des hommes noirs qui étaient amenés comme esclaves d’Afrique et qui arrivaient à Carthagène des Indes pour, être envoyésdans toute l’Amérique. Ils venaient de différents pays d’Afrique, ils parlaient des dialectes différents, donc l’une des grandes préoccupations de saint Pierre Claver était d’avoir des traducteurs pour pouvoir communiquer avec ceux qui venaient. On estime qu’il y avait plus de vingt-quatre langues différentes, que saint Pierre Claver ne pouvait évidemment pas parler, il avait donc ses catéchistes pour chaque langue. Il a fait un travail si splendide, au cours de sa vie il a baptisé plus de 300 000 Africains, agissant ainsi comme « tampon » dans le nord de l’Amérique du Sud pour que ceux qui arrivaient comme esclaves deviennent chrétiens et ensuite, parce qu’ils étaient chrétiens, ils vivraient la vie chrétienne et témoigneraient de Jésus-Christ et ne seraient pas tombés dans les sectes ou devenus d’autre religion.

Je voudrais surtout rappeler son amour pour la Passion de Jésus. C’est lui qui dit : « Le seul livre à lire, c’est la Passion »[1]. Et le Livre de la Passion pour lui était ce qui est raconté par rapport à la Passion de notre Seigneur dans les quatre Évangiles. La nuit venue, avant d’aller se coucher il s’assit sur le lit, il avait une chaise à ses côtés, avec le livre de la Passion ouvert. Parfois, il s’agenouillait pour le lire, lisait un verset et commençait à pleurer. Et puis, non content de cela, il devait imiter Notre-Seigneur dans la Passion, il avait donc caché une couronne d’épines ; il mettait cette couronne sur sa tête ; il s’est flagellé, comme Notre-Seigneur qui avait reçu tant de coups de fouet. Et parfois, emporté par sa dévotion à la Passion, une dévotion vraie, réelle, ferme, forte ; Il portait une croix sur ses épaules et, pieds nus – il faisait déjà nuit, le couvent avait les lumières éteintes– il marchait dans le couloir jusqu’à l’église en chantant (des chants de deuil, des chants tristes, des chants pour participer à la Passion de Notre Seigneur). Arrivé à l’église, il s’arrêtait devant le Tabernacle pour prier et pleurer. Pour lui, la Passion n’était pas quelque chose de lointain, du passé, mais quelque chose de présent, de vivant, de vital, d’actuel, de maintenant, de cet instant ; comme c’est le cas, mystérieusement et sacramentellement, dans la Messe. Et la seule phrase que l’on connaît de ses pensées c’est : « Le seul livre qu’il faut lire est la Passion. »

Ce qui arrive malheureusement aujourd’hui dans la vie religieuse c’est parce que, ce que Notre Seigneur a souffert dans sa Passion n’est plus présent dans la pensée des âmes consacrées. Les stations du chemin de croix sont accrochées aux murs, mais quelle âme consacrée est unie avec ce qui est représenté sur les murs ? On dit, et je ne sais pas s’il peut encore le faire, que le Pape (Saint Jean Paul II) prie le chemin de croix tous les jours[2].

Comment comprenons-nous cela dans la vie de Saint Pierre Claver ? Il était jésuite, il avait fait les Exercices spirituels de saint Ignace, il saisissait parfaitement la demande que saint Ignace nous fait faire dans la Troisième Semaine, la semaine de la Passion, quand il nous dit dans les préambules de « demander ce que je veux » [3]. « Demander ce que je veux » signifie le but propre de la méditation ou de la contemplation à faire et qui sont liées à la Passion. Et c’est la pétition de grâce : demander, c’est-à-dire implorer, prier, crier à Dieu pour qu’il me donne ce dont j’ai besoin à ce moment-là. Et cela est exprimé par saint Ignace de Loyola, avec peu de mots, mais avec des paroles belles et profondes.

 Que nous apprend-il à demander ?

« La douleur avec le Christ douloureux, l’accablement avec le Christ accablé, les larmes, la peine intérieure pour la peine si grande que le Christ a endurée pour [lui] » (Ex. sp., 203).

« Douleur avec le Christ douloureux »

S’il existe une épouse du Christ qui n’a jamais éprouvé la douleur avec le Christ souffrant, quelle sorte d’épouse est-elle ? Comment se réalise en elle « qu’ils ne soient plus deux mais une seule chair » (Mt 19, 6) ? Comment cela se fait-il ? cela ne se donne pas. Qu’est-ce qu’elle a comme épouse ? Que le nom !… mais la réalité ? Saint Bernard disait : « Il n’est pas juste que la tête soit couronnée d’épines et que les membres choisissent une vie facile »[4]. C’est pourquoi les vraies épouses veulent s’unir à l’Époux dans le plus grand mystère de Sa vie, qui est le mystère de la Passion, et c’est pourquoi elles demandent encore et encore de « souffrir avec le Christ dans la douleur », et pour cela quand arrive la douleur, qui est toujours à nos portes, elles ne deviennent pas comme des petites fillettes stupides, qui gémissent et demandent du réconfort et de l’aide, mais elles sont heureuses de pouvoir souffrir quelque chose avec le Christ, qui a tant souffert. Elles profitent de la douleur pour être de véritables épouses de Celui qui a tant souffert.

« L’accablement avec le Christ accablé»

Il ne s’agit pas simplement d’une simple douleur sensible, qui reste en fin de compte une chose superficielle, une chose des sens, mais c’est quelque chose de beaucoup plus profond. C’est une douleur qui brise, c’est une douleur qui est capable – pour ainsi dire – de briser l’âme, de briser le cœur, de le bouleverser. Eh bien, si le Christ a souffert une telle douleur dans la Passion, et si nous voulons vraiment être ses disciples, suivre ses voies ; si nous voulons vraiment ce que nous disons chaque fois que nous faisons les Exercices : « Je désire l’opprobre et le mépris… »[5], nous devons faire l’expérience de l’accablement.

Et si tu n’arrives jamais à le vivre, eh bien, ma fille, ce sera parce que tu n’es pas une véritable épouse de Jésus-Christ, tu es un petit masque, tu as l’habit extérieur d’une épouse, mais ton cœur est dans autre chose. C’est pourquoi la véritable épouse du Christ n’a jamais peur de ce qu’elle doit souffrir. Elle ne croit pas que sa souffrance soit quelque chose d’extraordinairement grand, elle ne tombe pas dans ce que dit Saint Louis Marie Grignion de Montfort : « la croyance luciférienne de croire que nous sommes quelque chose de grand »[6] croyant qu’elle souffre beaucoup. Ce qu’elle souffre n’est jamais suffisant, car le Christ a souffert bien davantage. Dans ce monde faux et mensonger dans lequel nous vivons où les gens déchirent leurs vêtements devant le film de Mel Gibson « La Passion », par exemple : « Ah ! « Que de violence ! » Mais il s’avère que des milliers de personnes sont tuées à la télévision. J’ai lu une fois une statistique : 75 000 homicides par an sont constatés par une personne qui regarde trois heures de télévision par jour, ce qui est une moyenne très basse, et puis : « Oh, quelle violence! » Dans certains endroits, le film a même été interdit aux enfants de moins de 12 ans, si je me souviens bien en France, dans la fille aînée de l’Eglise. Scandalisés, “Oh !”… Tous les médias sont corrompus, sales, putrides, dégénérés, quelque chose d’inhabituel qui se voit, ce qui se passe ; et ils sont maintenant scandalisés parce que pour la première fois on considère ce que signifie la mort du Christ, la Passion ! Monde menteur et monde faux. Hier, je n’ai vu que quelques secondes, parce que c’est ce qu’ils ont montré aux informations, à Pampelune : un groupe de femmes nues, manifestant contre la tauromachie. Nous sommes tous fous. Heureusement qu’il y avait de vieilles femmes espagnoles sur les balcons qui leur criaient des choses ; c’est incroyable, honnêtement, incroyable ! Quand tout ce que le film représente en termes de douleur, de souffrance et de violence n’est qu’un pâle reflet de ce qu’était la réalité, car on ne peut pas voir dans la stricte réalité ce que signifient les douleurs morales de notre Seigneur, portant les péchés du monde entier ! Ce n’est pas du savon parfumé, ce n’est pas du jus d’orgeat. Monde faux et menteur ! Et fausses et menteuses sont les religieuses qui ne se rendent pas compte de cela, elles vivent des années dans la vie religieuse et sont si stupides qu’elles n’ont jamais pénétré le cœur de Jésus. C’est plus scandaleux que les femmes hystériques qui défendaient nues les taureaux !

«Larmes»… avec le Christ qui a pleuré dans la Passion

Larmes, combien de fois avez-vous pleuré la Passion du Christ ? Les femmes ne pleurent que pour rien, elles se piquent avec une aiguille et pleurent, elles saisissent la marmite aux poignées brûlantes et aïe ! Ellespleurent, elles voient un chiot qui pleure et ellespleurent… pauvre chiot…! Mais il faut considérer sérieusement ceci : si je ne pleure pas pour la Passion du Christ, alors je n’ai pas le droit de pleurer pour quoi que ce soit, pour quoi que ce soit d’autre. Je ne pleure pas pour mes péchés, qui ont conduit le Christ à prendre la Croix, à se crucifier sur elle et à mourir, et je vais me mettre à pleurer parce que j’ai une difficulté, parce que j’ai une incompréhension… ! Il n’y a aucun droit, surtout pas étant l’épouse de Jésus-Christ. Pleurez d’abord la Passion, non pas des larmes de crocodile mais de vraies larmes. Ce n’est pas pour rien que Martin Fierro dit : « Je ne crois pas aux larmes des femmes, ni à la boiterie d’un chien »[7].

Il faut pleurer la Passion de Notre Seigneur, il faut demander des larmes, des larmes ! Saint Pierre Claver pleurait et restait éveillé tard dans la nuit, même jusqu’au petit matin, parfois sans même aller se coucher. Il habitait une pièce qui existe encore aujourd’hui, avec une petite fenêtre carrée, de sorte que lorsque l’on rentre, on s’approche de la fenêtre pour respirer. Il se trouvait à cet endroit parce que de là, il pouvait voir la mer et les bateaux qui arrivaient et il se préparait ensuite à leur arrivée sur terre pour accueillir les esclaves qui venaient. Il pleurait. Pleurons-nous la Passion de notre Seigneur ? Est-ce que nous faisons nôtres, partageons-nous les sentiments de son cœur ? Saint Paul dit : Ayez les sentiments du Christ Jésus (Phil 2, 5). Avons-nous le sentiment d’une douleur profonde, d’un brisement du Christ qui le pousse à pleurer ?

« Peine intérieure pour la peine si grande que le Christ a endurée pour moi » 

Douleur intérieure, « peine intérieure due à toute la peine qu’Il traversée pour moi». Cette douleur intérieure qui n’est pas forcément quelque chose de sensible. Cette douleur intérieure qui est une considération spirituelle, interne, par laquelle je me sens moralement responsable de la mort du Christ, puisqu’Il va à la Croix pour mes péchés, parce que j’y participe, parce que je L’aime pour la douleur intérieure qu’Il a traversée dans la Passion pour moi. Afin que s’accomplisse ce que nous demandons dans les Exercices, ce qu’il nous enseigne dans la méditation sur le Christ-Roi : afin que celui qui « me suit dans la douleur me suive aussi dans la gloire »[8].

Notez donc : une partie intégrante et essentielle de notre charisme est la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ. Et si quelqu’un n’est pas décidé à vivre de tout son cœur la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ, qu’il se décide le plus tôt possible, car il n’ira pas très loin de cette façon, car il n’apprendra pas à aimer Dieu. « Le feu de l’amour de Dieu, dit saint Alphonse-Marie de Liguori, ne s’allume que par le bois de la Croix»[9]. Cela veut dire que quand on aime beaucoup Dieu, on aime beaucoup Dieu parce que ce feu a été allumé par la méditation, la contemplation et l’expérience de la Passion de notre Seigneur.

La Vierge se tenait au pied de la Croix, elle a participé d’abord, d’une certaine manière comme « associée » à Jésus et à la Passion comme personne d’autre, demandons-lui de nous apprendre à y participer.

+ P. Carlos Miguel Buela. IVE

Fondateur de la Famille Religieuse du Verbe Incarné.


[1] ANGEL VALTIERRA – RAFAEL M. DE HORNEDO, saint Pierre Claver, Esclave des esclaves, BAC, Madrid 1985, 89 et passim.

[2] Cette homélie a été prêchée le 6 juillet 2004, pendant le pontificat de Jean-Paul II. La veille de sa mort, le 1er avril 2005, il avait prié le chemin de croix.

[3] SAINT IGNACE DE LOYOLA, Exercices spirituels [203].

[4] SAINT-BERNARD, In festo omnium Sanctorum, s. 5, n. 9 (PL, CLXXXIII, 480 C).

[5] SAINT IGNACE DE LOYOLA, Exercices spirituels [146].

[6] SAINT LOUIS MARIE GRIGNION DE MONTFORT, Lettre circulaire aux Amis de la Croix, n° 1. 48.

[7] Cf. JOSE HERNANDEZ, Martín Fierro. Le retour de Martín Fierro, Editorial EDAF, Madrid 200613, Chant XV, est. 8, vers. 47-48, 160.

[8] SAINT IGNACE DE LOYOLA, Exercices spirituels [95].

[9] SAINT ALPHONSE-MAIRE DE LIGORIO, Pratique de l’amour pour Jésus-Christ, PS D.L., Madrid 1989, 69.

« Tu as des paroles de Vie Eternelle », seulement Toi, Seigneur !

Chers frères, ce dimanche nous nous retrouvons avec un vraiment très bel Évangile de Notre Seigneur. C’est à la fin du célèbre sermon sur le Pain de Vie. Là, Notre Seigneur enseigne pour la première fois la réalité de l’Eucharistie qu’Il allait instituer, le jour du Jeudi Saint, en leur disant en toute clarté que Sa Chair allait être mangée et Son Sang allait être bu, et que cette Chair et ce Sang seraient « pour la vie du monde » (Jn 6, 52). En entendant cela, beaucoup de ses disciples dirent : « Ce langage est dur. Qui peut l’entendre ? (Jn 6, 60). Et alors Notre Seigneur, qui connaissait leurs pensées, va leur donner la clé de l’interprétation du sermon sur le pain de vie.

La clé n’était pas dans une interprétation matérielle des paroles, mais dans une interprétation surnaturelle qui jaillit de la foi et qui dit : « c’est l’Esprit qui donne la vie, la chair ne sert à rien » (Jn 6, 63). Ceux qui étaient là, qui étaient scandalisés, ont compris de manière charnelle ce qui doit être compris de manière surnaturelle : « Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie» (Jn 6,63), comme cela arrive dans toutes les communautés, à tout moment. Il y a toujours des gens qui, apparemment, font partie de la communauté, mais il leur manque l’essentiel : une foi vivante et intrépide en Notre Seigneur. Et là, Jean fait une remarque assez importante : « Jésus savait en effet depuis le commencement quels étaient ceux qui ne croyaient pas, et qui était celui qui le livrerait » (Jn 6, 64). Et ces deux faits sont liés. Celui qui ne croit pas livrera Jésus. Peut-être que ce ne sera pas aujourd’hui, ni demain, mais ce sera la semaine prochaine ou l’année prochaine… pourquoi ? Parce qu’il l’a déjà livré dans son cœur. En ne croyant pas et en n’ayant pas la foi, il l’a déjà trahi, et c’est pourquoi il va le livrer.

À ce moment crucial de la prédication de Notre Seigneur, surtout parce qu’il s’agissait de l’enseignement du mystère qui « fait » l’Église et qui allait « être fait » par l’Église, le mystère de l’Eucharistie, beaucoup de ses disciples se sont éloignés de Lui et ont cessé de l’accompagner. Jésus, comme nous, a connu ce qu’est l’échec apostolique et pastoral. On s’efforce de faire toutes choses le mieux possible, et on n’obtient pas la réponse attendue, parce qu’on rencontre souvent la dureté des cœurs, qui ne veulent pas faire le pas de croire ; ou la dureté des consciences, qui ne veulent pas faire le pas de se convertir et continuent par contre à affirmer leur propre jugement, même contre les paroles de Jésus-Christ. Et c’est alors que Jésus va poser une question aux Apôtres, question à laquelle Pierre répondra.

«Jésus dit alors aux Douze: «Voulez-vous aussi partir?»» (Jn. 6, 67). Jésus n’enlève la liberté à personne. Il ne l’a pas enlevée aux apôtres. La même chose se produit chez nous. Cela ne nous enlève pas notre liberté lorsque nous décidons de notre vocation, ni lorsque nous entrons au noviciat ou au séminaire ; pas même quand nous sommes prêtres. Jésus ne nous enlève jamais notre liberté. Et c’est pourquoi Il veut et attend que notre réponse soit libre, parce qu’Il ​​veut que ce soit une réponse responsable et consciente ; une réponse amoureuse ; et s’il n’y a pas de liberté, il n’y a pas d’amour.

Et là Simon Pierre lui répondit : « « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu. » » (Jn 6, 68). De très belles paroles, où sous forme d’adage, s’exprime la réalité de Jésus, et ce qui devrait être le centre de notre foi.

Saint Pierre s’adresse à lui personnellement, tout comme Jésus s’était adressé à eux personnellement. “Tu…” dit-il.  Il utilise un pronom personnel. Il s’adresse à sa personne, ce n’est pas une théorie, ni une spéculation de laboratoire. Ce n’est pas une croyance, c’est une personne : “Tu…” Et ce “Tu…”, à ce moment-là et sur les lèvres de Pierre, a une résonance toute particulière car un instant auparavant il l’avait appelé “Seigneur… à qui irions-nous ?…”. Ce « tu… » est le Seigneur ! Qui est « Kyrios » en grec, et que la version LXX[1] avait déjà utilisé, lorsqu’on avait traduit la Bible de l’hébreu au grec un siècle avant la venue de Notre Seigneur, parce que le grec était la lingua franca ; chaque fois que le tétragramme sacré « Yahweh » apparaissait en hébreu, on l’avait traduit par « Kyrios ». Kyrios est Seigneur. Kyrios est Yahvé. Kyrios est Dieu. Un argument que Pierre renforce même quelques instants plus tard lorsqu’il dit : « et nous croyons et savons que tu es le Saint de Dieu ». Le Saint, Qadosh, est Dieu lui-même.

“Tu as…” : Non pas comme quelque chose d’accidentel, de parvenu ou d’occasionnel, mais comme quelque chose de constitutif, d’essentiel et de caractéristique. Qu’est-ce que Jésus-Christ a comme caractéristique et substantiel ? Il a des « Paroles de vie éternelle ». C’est-à-dire des paroles qui donnent la vie et sont vie. Et elles ne donnent pas n’importe quelle vie, mais elles donnent la vie éternelle ! De telle sorte qu’elles ne sont pas des paroles qui passent et meurent, ni changent, mais qu’elles restent et resteront à travers les siècles et les siècles : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas » (Mt. 24,35). Nous sommes maintenant submergés par toute une avalanche de cette culture de la mort, par exemple du New Age, qui se manifeste encore malheureusement chez certains membres de l’Église catholique. Et cela donne l’impression que nous sommes démodés, en dehors de l’actualité… mais ce sont eux qui sont démodés ! Parce que cela ( leur pensée) va passer comme tant de choses sont passées. Cependant, les paroles du Christ ne passeront pas, car elles sont des « paroles de vie éternelle ». Et ce sont des paroles qui ne sont pas faibles, comme celles des hommes qui disent aujourd’hui une chose et demain en disent une autre ; ils jouent avec les mots… Ce sont les ménestrels des idées. Dans ses paroles c’est comme si Pierre disait : – « Tu as des paroles qui ne passeront jamais. »

De plus, dire « Tu as des paroles de vie éternelle » revient à dire : – « Tu es le seul à avoir des paroles de vie éternelle ». Et « toutes tes paroles sont seulement paroles de vie éternelle » dans le sens qu’aucune parole de Jésus ne cesse d’être une parole de vie éternelle, même lorsqu’il enseigne l’existence de l’enfer et de la damnation éternelle ; aussi quand il parle du caractère sacré du mariage ; aussi quand il parle de la primauté de la charité ; aussi lorsqu’il parle du jugement final… Toutes les paroles de Jésus sont des paroles de vie éternelle. Et c’est pourquoi nous devons faire chair en nous toutes les paroles de Jésus, car ce ne sont que des paroles de vie éternelle. Aucune parole de Jésus n’est éphémère, changeante, triviale, superflue.

Et c’est aussi comme s’il disait : – « Tu es le seul à avoir des paroles de vie éternelle. » Personne d’autre ne les possède. Aucun autre, parce qu’aucun autre n’est Dieu, et aucun autre n’a enseigné cette admirable doctrine comme Notre-Seigneur l’a enseignée, et il n’a pas non plus accompli de miracles et de prophéties pour montrer la vérité de ce qu’il a enseigné, comme il l’a fait. Tous les grands hommes de l’histoire du monde et de notre pays n’ont pas, même tous ensemble, des paroles de vie éternelle. Le seul est Jésus !

Et en plus nous pouvons et devons comprendre : – « Tu as toujours des paroles de vie éternelle. » De la même force avec laquelle ces paroles résonnaient dans ce merveilleux dialogue entre Jésus et les apôtres, en particulier saint Pierre. De la même force originelle avec laquelle ces paroles ont été entendues pour la première fois, ces paroles continuent à être entendues à travers les siècles et continueront à être entendues, car ce sont des paroles qui ne meurent pas, qui ne perdent pas de force, elles n’ont pas besoin de quelqu’un pour leur donner de la force… car elles sont des paroles de vie éternelle !

Et cela doit être notre conviction la plus profonde. Dans le cas contraire, nous mériterons le reproche qu’a fait, en son siècle, le grand théologien Melchor Cano, qui se plaignait de l’attitude de certains évêques, prêtres, religieux et laïcs responsables à l’époque, comme ils le sont aujourd’hui, du relâchement de la vie chrétienne, de la perte d’identité, d’aller chercher ailleurs ce qui ne se trouve qu’en Jésus. Il a dit de ces hommes, que ce sont des hommes qui, au fond, ne croient pas, et donc qui, au fond, trahissent : « Une des raisons qui me poussent à être mécontent de ces pères… c’est que ces messieurs qu’ils prennent entre leurs mains, au lieu d’en faire des lions, ils en font des poules, et s’ils trouvent des poules, ils en font des poulets. Parce que ce sont précisément eux qui, en raison de la position qu’ils occupent, font baisser la garde et les mettent dans ce marécage de la « pâtisserie spirituelle[2] », où ils commencent à essayer de dire que tout va bien, que rien ne va pas, de faire des accommodements, et de détruire la seule vérité qui sauve et qui est la vérité de Jésus-Christ. Et c’est ce que nous constatons, même ici. Une dame m’a raconté qu’elle avait entendu à la radio que quelqu’un avait demandé une faveur à Judas Iscariote !!!… et il doit déjà y en avoir beaucoup qui ont demandé des grâces à des faux saints créés par la fantaisie populaire. C’est la confusion et l’ignorance ; c’est l’utilisation commerciale de la crédulité de beaucoup, par ceux qui n’ont pas la foi et ceux qui livrent Jésus et le trahissent.

Décidons donc de mettre en pratique ce que nous disons dans nos Constitutions : « Nous voulons être fondés sur Jésus-Christ, venu dans la chair (1 Jn 4, 2), et sur le Christ seul, et sur le Christ toujours, et le Christ en tout, et le Christ en tous, et le Christ Tout»[3].

La Sainte Vierge a compris comme personne et plus que quiconque que les paroles de son Fils unique étaient toutes des paroles de vie éternelle, qu’elles le seraient toujours pour toutes les générations d’hommes, que Lui seul les avait, les enseignait et les partageait à ses disciples, qu’elles ne seraient pas soumises aux aléas des temps et des modes, qu’elles ne vieilliraient jamais et qu’ elles ne seraient jamais dépassées, que beaucoup donneraient leur vie pour elles, qu’elles ne décevraient jamais personne. Que celle qui a gardé ces Paroles dans son cœur nous rappelle cette vérité.

+ P. Carlos Miguel Buela IVE

Fondateur de la Famille Religieuse du Verbe Incarné


[1] La Septante (LXX, latin : Septuaginta) est l’ensemble des plus anciennes traductions de l’intégralité de la Bible hébraïque d’alors en grec de la koinè aux IIIe et IIe siècles avant Jésus-Christ. Cette édition tire son nom du récit légendaire rapportant la traduction du Pentateuque au IIIe siècle avant Jésus-Christ, à Alexandrie.

[2] Pâtisserie spirituelle: nous avons traduit avec ces deux mots, une expression courante chez le p. Buela pour designer tout ce qui fait référence à une spiritualité trop encline à ce qui est délicat, faible et facile à obtenir; appuyée seulement sur les sentiments et sans transcendance au surnaturel, excluant la nécessité de l’effort, du sacrifice et de la réalité de la croix pour atteindre la parfaite ressemblance de Jésus-Christ.  

[3] Constitutions de l’Institut du Verbe Incarné, 7.