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Conclusion du livre

L’Écriture Sainte nous apprend que le peuple de Dieu, en sortant de l’Égypte, emporta avec lui les os de Joseph, par gratitude pour celui qui avait été son bienfaiteur, (Exode, XIII, 19). Les chrétiens doivent-ils moins de reconnaissance à saint Joseph ? Certes, nous lui devons bien davantage. Acquittons notre dette par une filiale dévotion envers notre glorieux bienfaiteur.

Voici comment on peut pratiquer cette dévotion. Les fidèles serviteurs de saint Joseph ne laissent passer aucun jour sans l’honorer par un acte de piété, sans l’invoquer et se mettre sous sa protection. Chaque semaine, un jour, le mercredi, lui est plus spécialement consacré. Cette coutume date du milieu du XVII siècle ; elle a pris naissance dans un couvent de Bénédictins, à Châlons. On peut, dans ce but, réciter le petit office des Joies et des Douleurs de saint Joseph. Les papes Pie VII, Grégoire XVI et Pie IX ont attaché des indulgences à cette récitation.

– Au cours de l’année ecclésiastique, nous avons trois fêtes en l’honneur de notre saint : la fête proprement dite de saint Joseph (le 19 mars) instituée par le pape Sixte IV, au XVe siècle ; la fête des Epousailles (le 23 janvier) célébrée, dès le XVIe siècle, dans les couvents des Franciscains et des Dominicains, puis étendue à l’Eglise entière par le pape Innocent XI, depuis le règne de l’empereur Léopold Ier ; enfin la fête du Patronage de saint Joseph (le troisième dimanche après Pâques) prescrite par Pie IX en 1847. Nous avons dit que le mois de mars a été consacré à saint Joseph par les papes Pie IX et Léon XIII. En outre, chacune des fêtes rappelées plus haut peut être précédée ou suivie d’une pieuse neuvaine.[1]

Dans la série des fêtes ecclésiastiques, une large part est donc faite à la dévotion dont nous parlons, et nous n’avons, pour ainsi dire, qu’à nous conformer ainsi aux invitations de l’Eglise. Mais, en outre, les circonstances personnelles, nos besoins, nos difficultés et nos épreuves de chaque jour nous offrent continuellement une occasion de pratiquer cette dévotion, de recourir à saint Joseph, de réclamer son assistance. – C’est encore une excellente pratique de solliciter, chaque jour, trois grâces par son intercession : la grâce d’aimer toujours davantage Jésus et Marie ; la grâce de savoir, à son exemple, unir la vie intérieure et la vie extérieure ; la grâce précieuse d’une bonne et sainte mort. N’est-ce point là, du reste, le triple caractère de la vie de saint Joseph ? Et il semble qu’il ait auprès de Dieu un crédit spécial pour nous obtenir ces mêmes grâces.

Il nous reste, en manière de conclusion, à rappeler quelques-uns des motifs qui doivent nous inspirer une confiante dévotion envers saint Joseph. Tout d’abord, saint Joseph mérite nos hommages, par son éminente sainteté. Il nous tient de près, il s’intéresse à nous, et nous savons de quels bienfaits nous lui sommes redevables. Il tient, comme nous l’avons vu, aux origines mêmes du christianisme, puisqu’il est le père légal de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le Seigneur lui a reconnu ce titre, il lui a été soumis, il a voulu dépendre de lui, il l’a sanctifié par sa présence durant de longues années. Parmi les saintes Reliques, consacrées par le contact du Verbe incarné, en est-il une seule qui ait participé davantage à cette consécration ? Ses yeux ont tant de fois contemplé le Sauveur, ses mains l’ont touché, ses bras l’ont porté ! Son cœur a battu au contact du Cœur du divin Enfant. Ce qu’il a fait pour Jésus, saint Joseph l’a fait pour nous. Prouvons-lui donc notre gratitude ! Nous ne lui témoignerons jamais autant de reconnaissance qu’il en mérite.

Deuxièmement, saint Joseph a droit à nos hommages en raison du caractère tout aimable de sa sainteté. Il est l’Epoux de Marie, son protecteur et son appui ; il est l’ange gardien de la Sainte Enfance de Jésus. Il apparaît avec Jésus Enfant, et disparaît après l’enfance de Jésus ; aussi le symbole de sa mission spéciale et de son rôle dans le plan divin, n’est-il autre que Jésus lui-même : on représente saint Joseph tenant Jésus entre ses bras ou le serrant sur son cœur. – Aimables sont aussi les vertus de notre saint : pureté, fidélité, abnégation, humilité, sagesse, charité ; et chacune de ces vertus nous invite à le choisir pour notre conseiller, pour notre protecteur, pour notre père ; à lui donner à notre tour toute la confiance que Jésus et Marie lui ont témoignée.

Troisièmement, saint Joseph mérite nos hommages et notre confiance, parce qu’il est qu’on nous permette l’expression – un saint « pratique », particulièrement à même de nous venir en aide dans tous nos besoins. Sa vie a passé par toutes les alternatives de l’existence humaine ; il en a connu les joies et les épreuves. Il semble, comme Léon XIII le fait remarquer dans une Encyclique, il semble que Dieu ait voulu ainsi nous donner en saint Joseph un modèle dans toutes les circonstances qui peuvent être les nôtres, un protecteur d’autant plus utile qu’il a plus d’expérience. Saint Joseph sait par expérience combien la mission d’un chef de famille peut être lourde et difficile quand elle est aux prises avec la pauvreté ou la persécution ; il connaît, par expérience, ce que c’est de commander ou d’obéir : il a, en toute réalité, sanctifié par sa vie l’état conjugal et l’état de virginité, la vie dans le monde et la vie religieuse, la vie active et la vie contemplative ; il a couronné sa vie par la plus sainte des morts. Son expérience s’étend à tout ; sa protection n’exclut rien. C’est, en particulier, dans les circonstances quotidiennes de l’existence, dans les croix et les épreuves de la vie ordinaire qu’il semble se rapprocher encore davantage de nous et nous assurer un secours efficace. Il est établi sur toute la maison du Seigneur, il est le Père de la grande famille du Sauveur. Sa charité, son autorité le rendent donc accessible aux besoins de tous. Il est dit de Joseph, fils de Jacob, que tout prospérait entre ses mains (Gen. XXXIX, 3) : la parole s’applique mieux encore à notre saint Patriarche. Son nom est partout invoqué ; ses clients sont innombrables ; mais son crédit et sa charité ne s’épuisent jamais.

Enfin, saint Joseph n’est pas seulement un saint « pratique », il est un modèle singulièrement approprié à notre époque ; il est un saint « moderne ». Toute époque a ses dangers et ses besoins particuliers, et Dieu, dans son amour et son infinie sagesse, oppose à ces dangers et à ces besoins le remède qu’il leur faut. Depuis quelques années, une nouvelle puissance s’est affirmée dans notre société : la redoutable puissance des travailleurs, des ouvriers. Nous ne parlons point de ceux qui travaillent comme Dieu veut qu’on travaille, qui apportent à leur labeur les sentiments chrétiens du devoir accompli, de la confiance gardée malgré tout. De ceux-là, il n’y a rien à redouter. Le travail ainsi compris est aussi ancien que le monde, il est le partage de tous les enfants d’Adam, il est un honneur pour l’homme. Ce travail, Dieu l’a béni, il l’a sanctifié, il l’a pour ainsi dire divinisé en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Nous parlons du travail subi sans relâche, sans résignation, sans la moindre pensée pour Dieu, sans aucun sentiment surnaturel. C’est une source d’égoïsme, de cupidité qui allume, au lieu de l’éteindre, la soif des jouissances. C’est un principe d’orgueil, c’est l’homme se divinisant lui-même. C’est l’aspiration à l’indépendance. C’est la folie de vouloir créer par soi-même et, pour arriver à ce but, de renverser l’ancien ordre des choses afin de susciter, sur les ruines amoncelées, une société sans Dieu et sans religion. Au fond, nous avons là le matérialisme, l’anarchie, la haine des races et des classes. Où donc est le remède que Dieu a préparé à tant de maux ? Où donc l’homme nouveau, où donc l’autorité nouvelle qui prendra la défense du droit, de l’honneur dû à Dieu, du véritable progrès de l’humanité ? Cet homme, c’est celui dont la vie a été une vie de sacrifice au devoir, d’obéissance, de confiance en Dieu, d’humilité, de labeur. Cet homme, c’est saint Joseph, l’homme du silence, noble par sa naissance, humble par son choix ; c’est celui qui, en sauvant la Sainte Famille, a sauvé, une fois déjà, l’Eglise de ses persécuteurs. Et nous comprenons comment et pourquoi, depuis le siècle dernier surtout, Dieu a inspiré à son Église de multiplier les honneurs rendus à saint Joseph, comment et pourquoi c’est précisément au moment où la crise redoutable éclatait que saint Joseph fut proclamé le Patron de l’Église universelle. C’est à lui que sont confiées les destinées de l’Église. Ayons confiance en lui : il saura nous protéger.

Terminons par ces paroles de sainte Thérèse. Elles sont bien faites pour nous inspirer, en toute circonstance, la plus entière confiance en saint Joseph. « Je ne me souviens pas lui avoir rien demandé jusqu’à ce jour, qu’il ne me l’ait accordé. Quel tableau je mettrais sous les yeux, s’il m’était donné de retracer les grâces insignes dont Dieu m’a comblée, et les dangers, tant de l’âme que du corps, dont il m’a délivrée, par la médiation de ce bienheureux saint ! Le Très-Haut donne seulement grâce aux autres saints pour nous secourir dans tel ou tel besoin ; mais le glorieux saint Joseph, je le sais par expérience, étend son pouvoir à tous. Notre-Seigneur veut nous faire entendre par là que de même qu’il lui fut soumis sur cette terre d’exil, reconnaissant en lui l’autorité d’un père nourricier et d’un gouverneur, de même il se plait encore à faire sa volonté dans le ciel en exauçant toutes ses demandes. C’est ce qu’ont vu comme moi, par expérience, d’autres personnes auxquelles j’avais conseillé de se recommander à cet incomparable protecteur… Connaissant aujourd’hui par une si longue expérience l’étonnant crédit de saint Joseph auprès de Dieu, je voudrais persuader à tout le monde de l’honorer d’un culte particulier. Jusqu’ici j’ai toujours vu les personnes qui ont eu pour lui une dévotion vraie et soutenue par les œuvres faire des progrès dans la vertu… Déjà depuis plusieurs années, je lui demande, le jour de sa fête, une faveur particulière, et j’ai toujours vu mes désirs accomplis… Je conjure, pour l’amour de Dieu, ceux qui ne me croiraient pas, d’en faire l’épreuve… Je ne comprends pas comment on peut penser à la Reine des anges et à tout ce qu’elle essuya de tribulations durant le bas âge du divin Enfant-Jésus, sans remercier saint Joseph du dévouement si parfait avec lequel il vint au secours de l’un et de l’autre[2]. »

Saint Joseph, dans la Vie de Jésus-Christ et dans la Vie de l’Eglise

R. P. M. Meschler S. I.

Saint Joseph, priez pour nous!


[1] En nos jours, les célébrations dédiées à saint Joseph dans l’année liturgique sont deux : la Solennité de saint Joseph, époux de Marie, le 19 mars et la mémoire de saint Joseph, travailleur, le 1er mai.

[2] Autobiographie, VI, 7-8

Le Patron de la famille

Lorsque nous nous représentons saint Joseph, nous le voyons toujours en compagnie de Jésus et de Marie, nous le voyons fondant la Sainte Famille, la dirigeant, veillant sur elle ; nous le voyons travaillant et mourant au sein de la Sainte Famille. C’est, d’ailleurs, la loi générale : l’homme est appelé à vivre et à agir dans la société domestique. La vie humaine a son couronnement dans la vie sociale. Dieu, qui a créé l’homme à son image, a voulu aussi que la société humaine fût une image de cette société divine qui est l’adorable Trinité. Dans l’unité de nature et la pluralité des Personnes, dans la parfaite égalité de puissance et la distinction des processions divines, la Sainte Trinité est le modèle sublime des multiples sociétés qui, naissant l’une de l’autre, représentent, à des degrés différents, la diversité dans une souveraine unité. L’humanité tout entière forme un ensemble de groupements sociaux, soit dans l’ordre naturel soit dans l’ordre surnaturel. Dès que des inférieurs se réunissent sous un supérieur, il y a société. La famille donne naissance à la commune, la commune donne naissance à l’État ; de même, dans l’ordre surnaturel, nous trouvons les diverses sociétés religieuses et l’Eglise. Tous les degrés de cette double hiérarchie ont en saint Joseph un Patron et un protecteur céleste.

En premier lieu c’est la famille. Pour l’ordre et la prospérité de la famille, il faut d’abord l’autorité qui fonde et gouverne la société domestique : il faut la piété, qui maintient la famille dans les rapports voulus avec Dieu et lui assure les bénédictions célestes ; il faut le travail, qui procure la subsistance et crée les ressources matérielles ; il faut l’amour, qui apporte avec lui la paix et la joie. Nous avons déjà étudié saint Joseph à tous ces points de vue. Sa vocation fut essentiellement d’être le chef de la Sainte Famille. Cette Famille, il l’a fondée par son alliance avec Marie. Quelle dignité et quelle grâce dans son autorité, puisqu’il représente le Père céleste dont il est l’image par sa pureté, par sa sagesse, par sa fidélité ! Il nous est un admirable modèle dans sa piété, dans son travail qu’il accomplit pour se conformer au bon plaisir de Dieu, avec zèle, en se confiant à la Providence. Nous savons enfin ce que fut son amour. Aussi de quelle joie et de quelle sécurité la Sainte Famille jouissait-elle sous ce gouvernement paternel, même au milieu des épreuves et des contradictions qui sont ici-bas le partage de toute famille et qui n’ont point manqué à la Famille de Nazareth ! En toute circonstance, Joseph a été le protecteur, le conseiller, le consolateur des siens. Il est donc à bon droit le Patron de la famille, et c’est avec justice qu’on l’honore dans tout foyer chrétien, qu’on l’invoque après avoir prié le Père céleste. Est-il une famille qui, mieux que la Sainte Famille, soit l’image de l’auguste Trinité ? Jésus, Marie, Joseph – c’est la Trinité terrestre.

La commune d’abord, puis l’Etat sont l’extension de la société domestique par le groupement de plusieurs familles sous un chef commun, en vue – c’est, du moins, la fin prochaine, – d’assurer le bien-être temporel. En lui-même l’Etat chrétien fait partie du plan divin pour le salut de l’homme, pour la protection de la famille, pour l’économie de la Providence dans le gouvernement du monde. L’Egypte nous offre un exemple de ces vues miséricordieuses : sous la conduite de Joseph, fils de Jacob et figure de notre saint, elle fut un moyen de salut pour le peuple choisi et, par lui, un moyen de salut pour le monde. Saint Joseph, il est vrai, n’a point été un chef d’Etat ; mais, bien mieux encore que le ministre du Pharaon, il a été « le père du roi » (Gen. XLV, 8), du souverain Roi, du Roi des rois. Et, pour être le chef de la Sainte Famille, il fallait une vertu plus haute et une sainteté plus excellente que n’en demandait le gouvernement de l’Egypte. Par ses vertus qui sont bien les vertus d’un chef d’Etat – par sa sagesse, par sa bonté prévenante, par sa politique toute céleste – saint Joseph est un merveilleux modèle pour tous ceux qui exercent le pouvoir, comme il est un modèle pour les sujets, par son obéissance, par son respect à l’égard de l’autorité. Celui-là seul sait bien commander, qui sait bien obéir – Voilà pourquoi, jadis, des monarques et des chefs de maisons puissantes donnaient saint Joseph pour protecteur à leurs Etats ou à leurs familles ; et Joseph n’a point trahi leur confiance. Mais, d’autres temps sont venus, d’autres maximes président au gouvernement des Etats : « On ne songe plus à Joseph » (Exod. I, 8). Les choses en vont-elles mieux pour les princes et pour les peuples ? Qui oserait l’affirmer ?

En troisième lieu, nous avons l’Eglise, la grande société surnaturelle, la famille de Dieu ici-bas. Comme en toute société, il faut, dans l’Eglise, un gouvernement. C’est la hiérarchie du sacerdoce avec ses degrés. Or le pouvoir sacerdotal s’étend tout d’abord au véritable corps de Jésus-Christ, réellement et substantiellement présent dans l’Eucharistie et continuant à vivre parmi nous. De ce pouvoir découle l’autorité du sacerdoce ecclésiastique sur le corps mystique du Sauveur, c’est-à-dire sur les fidèles, pour les instruire, les guider, les réconcilier avec Dieu, leur obtenir et leur dispenser les grâces et prier pour eux.

L’Eglise a son modèle dans la Sainte Famille. Or à Nazareth, saint Joseph était le chef, le père, le protecteur, le guide. A tous ces titres, il appartient d’une manière spéciale à l’Eglise qui était le but de la Sainte Famille, et qui est, pour ainsi dire, l’extension, et la continuation de la Sainte Famille. D’autre part, les prêtres sont, dans l’Eglise, les membres principaux et, dès lors, entre saint Joseph et le sacerdoce, il y a un rapport tout particulier, à un double point de vue. Premièrement, au point de vue de la fonction. Nous l’avons vu : Joseph eut un très grand pouvoir sur la Personne du Sauveur : c’est en quelque sorte à l’abri de son autorité que Jésus est entré en ce monde ; c’est Joseph qui a élevé le Sauveur, qui l’a nourri, qui a veillé sur lui. Sa mission le consacrait tout spécialement à la Personne de Jésus-Christ. Sa vie, ses actes ont donc été la vie et les actes d’un prêtre, puisque le sacerdoce est dirigé tout d’abord au sacrement de l’autel. Si nous ne lui devons pas le Sauveur d’une manière immédiate comme nous le devons au prêtre qui prononce les paroles de la consécration, les fonctions qui l’attachaient à Jésus, les soins dont il l’entourait avaient cependant une importance plus grande, et le mettaient avec le Seigneur dans un rapport plus immédiat que tous les ministres de l’autel. – Deuxièmement, au point de vue des vertus. Les vertus de saint Joseph forent des vertus toutes sacerdotales : esprit de foi, pureté, humilité, zèle des âmes. Nous ne reviendrons point sur ce sujet dont nous avons déjà parlé. On le voit : saint Joseph est le plus beau modèle du prêtre.

Mais il y a, dans l’Eglise de Dieu, une autre famille qui peut se réclamer de saint Joseph d’une façon particulière : nous voulons parler de la famille religieuse, des âmes dont la vocation est l’état religieux. La vie religieuse est excellemment l’école de la perfection, puisque, par devoir d’état, un religieux est tenu de tendre à la perfection. Pour cette vocation, comme pour toute autre d’ailleurs, la perfection consiste essentiellement dans l’amour de Dieu. Mais ce qui distingue l’état religieux, ce sont les moyens employés pour atteindre le but. Dans le monde, pour arriver à l’amour de Dieu et pour le pratiquer, on se contente du moyen essentiellement nécessaire – l’observance des préceptes – tandis que, dans la vocation religieuse on recourt aux moyens de surérogation – conseils évangéliques, vœux, qui, sans être en eux-mêmes obligatoires pour personne, constituent les meilleurs moyens de perfection, parce qu’ils contribuent très énergiquement à écarter les obstacles à l’amour de Dieu : à l’attachement aux biens extérieurs ils opposent la pauvreté; à l’attrait des plaisirs sensibles, la chasteté ; aux dangers de la volonté propre et de l’indépendance, l’obéissance. A ces moyens généraux, communs à tous ceux qui vivent en religion, chaque Ordre ajoute certains moyens particuliers en vue d’atteindre la perfection de l’amour divin, par la pratique de la vie contemplative ou de la vie active, selon qu’il s’agit de travailler uniquement à sa sanctification personnelle ou de se consacrer en même temps au salut des âmes. C’est ainsi qu’on distingue les Ordres contemplatifs et les Ordres actifs.

Mais, de part et d’autre, il existe des rapports étroits entre saint Joseph et la vocation religieuse, de puissants motifs d’invoquer la protection du saint patriarche. S’est-il, ici-bas, proposé un autre but que la perfection dans l’amour de Dieu ? N’a-t-il pas, en toute vérité, pratiqué l’obéissance, la pauvreté, la chasteté ? Jusqu’où n’a-t-il point porté la perfection de la charité ? N’a-t-il pas admirablement uni la vie contemplative à la vie active, la vie intérieure à la vie extérieure ? N’offre-t-il pas le plus beau modèle des diverses formes de perfection que les différents Ordres religieux peuvent se proposer ? Qui donc, plus que lui, se rapproche du souverain modèle, Jésus-Christ Notre-Seigneur, dans l’union de ces deux genres de vie ? Voilà pourquoi tous les Ordres religieux – qu’ils s’adonnent à la vie contemplative ou à la vie active, ou qu’ils professent la vie mixte – voient en saint Joseph un Patron de leur vocation ; voilà pourquoi ils se plaisent à trouver en lui leur protecteur spécial, pourquoi ils lui ont consacré particulièrement leurs missions chez les infidèles. N’est-ce pas auprès de lui que les Mages, prémices des Gentils, ont trouvé le Sauveur ? N’a-t-il pas, le premier, porté Jésus en une contrée idolâtre, en Egypte ?

Il n’est donc pas, dans l’Église, un seul groupe important, une seule société d’âmes où saint Joseph ne se trouve pour ainsi dire de la famille, où il ne doive – qu’on nous permette l’expression – se regarder comme étant chez lui. Chacune des diverses formes que revêt la vie de famille est pour nous comme pour lui un cher souvenir et une douce image de la vie, des joies et des souffrances qui ont été les siennes auprès du divin Sauveur et de Marie. Il s’est sanctifié dans la famille : il a, pour nous, sanctifié la vie de famille par son admirable exemple. C’est pourquoi, en cet ordre de choses, Dieu lui a donné d’être un puissant protecteur. La famille, la société familiale, quelle que soit la forme qu’elle revêt, – famille proprement dite, État, Église, Ordre religieux – est une magnifique création de Dieu ; et parce qu’elle est une création de Dieu, parce qu’elle est d’une extrême importance pour la gloire de Dieu et pour le salut du monde, elle est chère à saint Joseph, d’autant plus chère que le démon, aujourd’hui surtout, cherche à profaner la famille, à la ruiner, à en faire un instrument de malédiction, un enfer sur la terre. Il faut donc que saint Joseph intervienne, que le chef de la Sainte Famille s’oppose à l’ennemi, qu’une fois encore il sauve « l’Enfant et sa Mère ».

Terminons par une réflexion qui nous expliquera la raison d’un titre souvent donné à saint Joseph. Puisque notre saint est le protecteur naturel de toutes les associations ou familles qui se groupent dans l’Église, Pie IX l’a donné pour Patron à l’Église universelle. Saint Joseph revendique dès lors, à bon droit, le nom glorieux de Patriarche. Les patriarches étaient les pères des tribus d’Israël, du peuple de Dieu ; ils avaient l’honneur et le privilège de préparer la naissance de Jésus-Christ selon la chair. Joseph prend place parmi eux parce qu’il est le dernier représentant de la race de David et l’un des plus prochains précurseurs de Jésus-Christ selon la chair ; bien plus, Epoux de Marie, Mère de Dieu, il a été le père légal du Sauveur. Il marque donc l’apogée du Testament Ancien et le point de départ du Testament Nouveau qui a commencé – suivant la parole de Léon XIII dans une de ses Encycliques – quand la Sainte Famille fut fondée. Saint Joseph, en sa qualité de Patriarche, appartient ainsi et à l’Ancienne Loi et à la Loi nouvelle. Il est donc le Patriarche des patriarches ; il est le Patriarche au sens le plus élevé du mot, parce que l’Alliance nouvelle l’emporte infiniment sur le Testament ancien à tous les points de vue ; d’une main il bénit l’Ancien Testament, de l’autre il bénit le Testament Nouveau. Qui peut lui être comparé ?

Saint Joseph, dans la Vie de Jésus-Christ et dans la Vie de l’Eglise

R. P. M. Meschler S. I.