Témoignage de Mgr François Xavier Nguyen-van-Thuan, emprisonné dans les camps communistes de 1975 à 1988
Ma seule force est l’Eucharistie
«Avez-vous pu célébrer la messe, en prison?» C’est la question que beaucoup de personnes m’ont souvent posée. Et elles ont raison: l’Eucharistie est la plus belle prière, c’est le sommet de la vie de Jésus. Quand je réponds «oui», je sais déjà la question suivante: «Comment vous êtes-vous procuré le pain et le vin?»
Quand j’ai été arrêté, j’ai dû m’en aller tout de suite, les mains vides. Le lendemain, on me permit d’écrire pour demander les choses les plus nécessaires, vêtements, dentifrice … J’ai écrit à mon destinataire: «S’il vous plaît, pouvez-vous m’envoyer un peu de vin, comme médicament contre les maux d’estomac?» Les fidèles comprennent ce que cela veut dire et ils m’envoient une petite bouteille de vin pour la messe, avec l’étiquette: «médicament contre les maux d’estomac» et des hosties dans un flacon étanche. La police me demande: «Vous souffrez de l’estomac?» «Oui.» «Voilà un peu de médicaments pour vous.» Je ne pourrai jamais exprimer ma grande joie: chaque jour, avec trois gouttes de vin et une goutte d’eau dans le creux de la main, je célèbre ma messe.
Il faut s’adapter aux situations. Sur le bateau qui nous emporte vers le nord, je célèbre la messe pendant la nuit, et je distribue la communion aux prisonniers autour de moi. Parfois, je dois célébrer quand tous vont aux toilettes après la gymnastique. Dans le camp de rééducation, nous sommes divisés en groupes de cinquante personnes; nous dormons sur un lit commun, chacun ayant droit à cinquante centimètres. Nous nous sommes arrangés de façon que cinq catholiques soient à côté de moi. A dix heures trente, il faut éteindre la lumière et tout le monde doit dormir. Je me recroqueville sur le lit pour célébrer la Messe, par cœur, et je distribue la communion en passant la main sous la moustiquaire. Nous fabriquons de petits sachets avec le papier des paquets de cigarettes pour y garder le Saint Sacrement. Jésus-Hostie est toujours avec moi, dans la poche de ma chemise.
Je me rappelle ce que j’ai écrit dans mon livre “Sur les chemins de l’espérance”: «Crois en une seule force: l’Eucharistie, le Corps et le Sang du Christ qui te donneront la vie:
Je suis venu pour qu’ils aient la vie et qu’ils l’aient en abondance (Jn 10,10). La manne a nourri le peuple juif en route vers la Terre Promise. L’Eucharistie te nourrira sur le chemin de l’espérance (voir Jn 6,50).»
Chaque semaine, a lieu une session d’endoctrinement à laquelle tout le camp doit prendre part. Au moment de la pause, avec mes compagnons catholiques, nous en profitons pour passer un petit paquet à chacun des quatre autres groupes de prisonniers: ils savent tous que Jésus est au milieu d’eux, Lui qui guérit toute souffrance physique et mentale. La nuit, les prisonniers font à tour de rôle l’adoration; Jésus-Hostie nous aide, par sa présence silencieuse, de façon extraordinaire. Beaucoup de chrétiens retrouvent ces jours-là la ferveur de la foi; même des bouddhistes et des non-chrétiens se convertissent. La force de l’amour de Jésus est irrésistible. L’obscurité de la prison devient lumière, le grain germe sous la terre pendant la tempête.
J’offre la messe avec le Seigneur: quand je distribue la communion, je me donne moi-même avec le Seigneur et je me fais nourriture pour tous. Ceci signifie que je suis toujours totalement au service des autres. Chaque fois que j’offre la messe, j’ai l’occasion d’étendre les mains et de me clouer sur la croix avec Jésus, de boire avec lui le calice amer. Chaque jour, en récitant ou en entendant les paroles de la consécration, je confirme de tout mon cœur et de toute mon âme un nouveau pacte, un pacte éternel entre Jésus et moi, par son Sang mêlé au mien (voir 1 Co 11,23-25).
Jésus sur la croix a commencé une révolution. Votre révolution doit partir de la table eucharistique et de là se propager. C’est ainsi que vous pourrez renouveler l’humanité.
Je reviens en arrière, aux neuf années d’isolement. Je célèbre la esse tous les jours vers trois heures de l’après-midi, heure où Jésus agonise sur la croix. Je suis seul, je peux chanter ma messe comme je veux, en latin, en français, en vietnamien … Je porte toujours sur moi le sachet qui contient le Saint Sacrement: «Toi en moi et moi en Toi.» Ce sont les plus intenses messes de ma vie.
Le soir, de vingt et une heures à minuit, je fais l’adoration, je chante Lauda Sion, Pange lingua, Adora Te, Te Deum et des cantiques en vietnamien, malgré le bruit du haut-parleur qui ne cesse depuis cinq heures du matin jusqu’à onze heures et demie du soir. Je sens une rare paix d’esprit et de cœur, je sens la joie et le pacifique bonheur d’être en compagnie de Jésus, Marie et Joseph. Je chante le Salve Regina, le Salve Mater, l’Alma Redemptoris Mater et le Regina cœli, en union avec l’Eglise universelle. Malgré les accusations et les calomnies contre l’Eglise, je chante Tu es Petrus, Oremus pro Pontifice nostro, Christus vincit, Jésus a nourri la foule qui le suivait dans le désert, de même il continue à être, dans l’Eucharistie, la nourriture de vie éternelle.
Dans l’Eucharistie, nous annonçons la mort de Jésus et nous proclamons sa résurrection. Il y a des moments de tristesse infinie, comment faire ? Regarder Jésus crucifié sur la croix. Aux yeux des hommes, la vie de Jésus est un échec, elle n’a servi à rien, c’est une vie frustrée, mais aux yeux de Dieu, Jésus a accompli sur la Croix, l’action la plus importante, parce qu’il a versé son sang pour sauver le monde. Combien Jésus est uni à Dieu lorsque, sur la croix, il ne peut plus prêcher, guérir les malades, visiter les gens, faire des miracles, mais reste dans l’immobilité absolue!
Jésus est mon premier exemple d’amour total pour le Père et pour les âmes. Jésus a tout donné: Il les aima jusqu’à l’extrême (Jn 13,1), jusqu’au “tout est accompli” (Jn 19,30). Et le Père a aimé le monde jusqu’à donner son Fils unique (Jn 3,16). Il faut se donner tout entier comme un pain, pour être mangé pour la vie du monde (Jn 6,51). Jésus a dit: J’ai pitié de la foule (Mt 15,32). La multiplication des pains est une annonce, c’est le signe de l’Eucharistie que Jésus va bientôt instituer.
Très chers jeunes, écoutez le Saint-Père (Saint Jean Paul II): « Jésus vit au milieu de nous dans l’Eucharistie … Parmi les incertitudes et les distractions de la vie quotidienne, imitez les disciples en chemin vers Emmaüs … Invoquez Jésus, afin que tout au long des routes des nombreux Emmaüs de notre temps, Il reste toujours avec vous. Que ce soit Lui votre force, Lui votre point de référence, Lui votre éternelle espérance.»