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Trois exclamations et trois signes

Trois exclamations et trois signes semblent dominer le mystère de la Semaine Sainte, le mystère pascal, comme une sorte de musique de fond.

I

Le premier est ce dimanche : Hosanna ! Hosanna! Hosanna! criait la foule excitée tandis que Jésus passait sur l’âne, se dirigeant vers la ville de Jérusalem. Hosanna est une acclamation joyeuse qui vient du mot hébreu « hoshia na », qui signifie « sauve-nous », en latin hosanna. (Nous le disons deux fois par jour dans le Sanctus de la Messe : Hosanna au ciel.)

Hosanna! c’est la musique de fond de ce dimanche des Rameaux. Les évangélistes rapportent, par exemple, saint Matthieu : « Dans la foule, la plupart étendirent leurs manteaux sur le chemin ; d’autres coupaient des branches aux arbres et en jonchaient la route. Les foules qui marchaient devant Jésus et celles qui suivaient criaient : « Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux ! » Comme Jésus entrait à Jérusalem, toute la ville fut en proie à l’agitation, et disait : « Qui est cet homme ? » (21, 8-10) ; et saint Marc dit : Ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient criaient : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni soit le Règne qui vient, celui de David, notre père. Hosanna au plus haut des cieux ! » (11, 9-10) ; mais, comme cela arrive souvent, c’est saint Jean qui précise : «Les gens prirent des branches de palmiers et sortirent à sa rencontre. Ils criaient : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni soit le roi d’Israël ! »» (12, 13). Ce dimanche tire son nom de cette référence.

Et pourquoi des rameaux et pas des branches ? Parce que le palmier n’a pas de branches, mais des rameaux (à proprement parler ce sont des feuilles qu’on appelle des palmes), qui sont comme des branches de second ordre, ou encore, des branches coupées de l’arbre (comme des rameaux d’olivier). Le palmier (héb. tamar ; gr. phoenix ; lat. palma) est un arbre de la famille du même nom, dont il existe plus de 2 600 espèces connues, qui peut atteindre plus de 20 m. de hauteur, avec un tronc cylindrique et rugueux… une couronne sans branches formée de feuilles pétiolées, de trois ou quatre mètres de long, avec une nervure centrale ligneuse et dure, de section triangulaire et divisée en de nombreuses bandes vertes, dures, coriaces, pointues, d’environ 40 centimètres de long et deux de large… Jéricho est connue dans la Bible comme « la ville des palmiers » (cf. Deut 34, 3 ; Juges 1, 16 ; 3, 13 ; etc.)

Un poète dit des palmiers : « Moulins à vent verts, moulins à vent végétaux. » Rose des vents de la renommée, leurs flèches vertes sont là depuis la nuit des temps, au sommet de leurs troncs élancés et ondulants, se pliant à tous les caprices arbitraires de la gloire. En raison de leur grâce inviolable, séparée du sol, en raison de leur inclination facile et respectueuse, en raison de leur tendance soumise à se courber en une canopée, le monde s’est immémorialement concentré sur la feuille de palmier, l’imprégnant de significations triomphantes emphatiques. Et ainsi, insolent et présomptueux, conscient de son symbolisme glorieux, il s’ouvre, comme une étoile, sur sa hauteur inaccessible, comme pour dire ironiquement que la gloire souffle de ce côté aujourd’hui et de ce côté demain, dans une roue arbitraire et divergente.

Ce dimanche des Rameaux à Jérusalem, la gloire triomphante souffla vers l’Orient, où Jésus venait sur son âne. Comme des siècles auparavant, il avait soufflé sur Judas Maccabée, qui, victorieux et ensanglanté, entra à Jérusalem, « avec des cris de joie et des palmes, au son de la harpe et des cymbales » (1 Macc. 13,51) ; comme un autre jour, il soufflait vers Vespasien, lorsque, au milieu des applaudissements, selon Flavius ​​Josèphe, il entra victorieux à Rome ; ou vers Titus, lorsqu’il entra à Antioche en foulant les palmiers.

Ainsi, sans fixité ni sérieux, le palmier accomplit le signe de la Renommée humaine, son destin incongru et arbitraire de désigner tous les quadrants du vent : aujourd’hui, un tyran, demain, un général ; après-demain, un prophète. Une triste histoire des palmes triomphantes des hommes : un jour, flatterie du vainqueur, un autre jour, consolidation du butin ; un autre, vanité d’or délavé brodée sur l’uniforme académique.

Mais un jour, les palmiers étaient étendus comme un tapis à l’entrée de Jérusalem, tandis que Jésus passait. Était-ce une heure de joie et de victoire pour Jésus ? Je crois plutôt que Jésus a commencé sa Passion là, au plus profond de son cœur. Parce qu’il a dû entendre les syllabes tragiques de « Enlève-le » et de « Crucifie-le »[1], silencieusement liées dans les syllabes jubilatoires de « Hosanna »… »[2].

Les palmes, elles aussi, reçoivent l’éclaboussure du baptême rouge et inversent leur sens. De signes bruyants de victoire visible et de triomphe matériel, elles deviennent des signes purs de victoires intérieures, silencieuses et paradoxales, qui ont le visage de la défaite aux yeux du monde : le martyre et la virginité. Le type du martyr apparaît, aux yeux du monde, à l’opposé humain du type du vainqueur honoré par les anciennes palmes triomphales : le martyr est le vaincu, celui sur lequel on crache dessus, l’humilié, celui qu’on brûle sur les grils. La vierge apparaît aussi, aux yeux du monde, l’inversion de tout triomphe vital bruyant : la vierge est l’abandonnée, l’oubliée, la silencieuse, la méprisée de tout un monde antique imprégné de cultes de la moisson et de la maternité. Mais Jésus était venu renverser la situation. En mourant, il conquiert la Mort ; il règne avec un sceptre de roseau. Il est donc juste que, déjà en plein paradoxe, les palmes bruyantes de Titus et de Vespasien passent aux mains de ceux qui sont brulés sur les grils ou cachés dans le cloître : les mains des vaincus, qui étaient, à l’intérieur, vainqueurs”[3]. C’est pourquoi nous disons qu’ils ont obtenu la palme du martyre et la palme de la virginité.

« C’est pourquoi Jésus, monté sur son âne, avançait, un peu triste, sur la route qui descend du mont des Oliviers, et entrait à Jérusalem, cet après-midi-là, entouré de palmiers en délire. Car il savait que les palmes du monde, au sommet du palmier, sont une étoile ronde et divergente, une perplexité végétale, qui semble interroger le vent : Par ici ? Par-là ? (car ils se balancent habituellement comme des jouets au vent). Et Il rêvait des légions de ses martyrs, de ses vierges, qui, jaillissant du pied de la Croix comme des fleuves d’abnégation et de sacrifice, traverseraient les siècles de l’histoire, les palmes tremblantes à la main ; mais avec des palmes hautes, droites, verticales, avec une direction ferme et unique vers le ciel : c’est par ici, c’est par là !! L’éternelle perplexité du palmier a été résolue et a trouvé une réponse »[4]… par le témoignage de milliers et de milliers de vierges et par le témoignage de milliers et de milliers de martyrs, à travers ces deux mille ans de christianisme.

II

La deuxième exclamation est le vendredi : Crucifie-le ! Crucifie-le ! Crucifie-le ! répété en deux occasions (cf. Mt 27, 22.23 ; Mc 15, 13.14 ; Lc 23, 21.23 ; Jn 19, 6.15) …il n’y a plus de signes de gloire et de triomphe des palmes du dimanche précédent. Il y a un grand signe de douleur et de deuil. Il y a des funérailles cosmiques, car le Fils du Dieu vivant meurt sur une Croix, crucifié : « Il était environ la sixième heure, lorsque le soleil s’éclipsa, et les ténèbres couvrirent toute la terre jusqu’à la neuvième heure » (Lc 23, 44 ; cf. Mt 27, 45 ; Mc 15, 33). « Et voici que le voile du sanctuaire se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas ; la terre trembla, et les rochers se fendirent » (Mt 27, 51).

Le poète dit : « Mais maintenant, au moment de la mort du Christ et de la consommation de son œuvre rédemptrice, il semble y avoir une sorte d’ébranlement final et puissant du style déjà expirant de l’Ancienne Loi ; une sorte d’appel final à la nature terrible et tonitruante du Sinaï…

Trois années de douces paraboles n’ont pas pu faire en Pierre ce qu’une minute d’obscurité théâtrale a pu faire pour le centurion. Le monde qui avait voulu un Messie ostentatoire et puissant exigeait désormais une grande métaphore cosmique pour la mort d’un Dieu. Il voulait un Dieu qui mourrait entre les éclipses et les tremblements de terre. Comme si le pardon de ses bourreaux n’était pas un certificat plus authentique de divinité !

Jésus insiste sur les signes spirituels purs du vin, de l’eau et du pain. Ce n’est qu’à la fin, comme un élan désespéré de la dureté charnelle des hommes, qu’apparaissent les signes cosmiques et sinaïtiques éclatants : l’éclipse et le tremblement de terre »[5] .

« Mais les hommes, durs et obstinés, persistent à ne pas entendre ce doux murmure de la Loi d’Amour, et Dieu doit de temps à autre ébranler leur intelligence par des guerres, des révolutions et des persécutions, afin que les hommes, comme le centurion, croient en Lui « quand ils voient le tremblement de terre ». Le monde d’aujourd’hui en sait quelque chose… Fous, fous, pourquoi n’évitez-vous pas le tremblement de terre et les ténèbres, en profitant du temps de l’eau, du vin et du pain ? »[6].

III

La troisième exclamation a retenti le dimanche de Pâques : « Il est ressuscité. Il n’est pas ici ! », « Il est ressuscité. Il n’est pas ici ! », « Il est ressuscité. Il n’est pas ici ! » (cf. Mt 28, 6 ; Mc 16, 6 ; Lc 24, 6). Il y a un tombeau vide depuis 2 000 ans. Jean-Paul II – comme Pierre à Pâques – était là ! Il était là ! Il y a à peine 20 jours… le monde entier l’a vu !

IV

En cette Semaine Sainte des chrétiens, apprenons à écouter la triple exclamation et à voir l’éloquence inouïe des palmes, des ténèbres et du tombeau vide. Et surtout, apprenons à découvrir son contenu profond, capable d’illuminer toute notre vie et de faire de nous le sel de la terre et la lumière du monde.

Marie entendit les exclamations.

Marie a vu les signes clairs.

Marie les a déchiffrés mieux que quiconque.

+ P. Carlos Miguel Buela. IVE

Fondateur de la Famille Religieuse du Verbe Incarné.


[1] Cf. Jn. 19, 15.

[2] José María Pemán, La Passion selon Pemán, Edibesa, Madrid, 1997, pp. 56-57.

[3] Ibid., p.58.

[4] Ibid., parenthèses de l’auteur.

[5] Ibid., pp.70-71.

[6] Ibid., p. 72.

Douleur avec le Christ douloureux

L’apôtre saint Thomas a approfondi la Passion de Notre Seigneur en plaçant son doigt et sa main dans les plaies des mains et du côté. Nous aussi, nous devons approfondir sa Passion.

Il y a quelques années, avec le P. José Hayes, IVE, nous étions en route pour rendre visite aux Pères qui étaient en Guyane, et pendant notre séjour à Bogotá, nous avons décidé d’aller à Carthagène des Indes. Carthagène des Indes est une ville colombienne située sur la côte Pacifique, à la hauteur des Caraïbes, très chaude, très humide et très pittoresque car c’est une ancienne ville coloniale, très colorée et typique, avec un centre historique fortifié, qui appartenait à la ville coloniale. Nous y sommes allés parce qu’un grand saint, saint Pierre Claver, est enterré dans l’église des Jésuites. Saint Pierre Claver était un disciple de saint Alonso Rodríguez, ce jésuite qui était portier, un homme d’une vie spirituelle sérieuse et profondément surnaturelle. Pierre Claver fut envoyé là-bas, en Colombie, pour être missionnaire. Il a voyagé dans différents endroits et s’est finalement retrouvé à Carthagène des Indes, où il a passé une grande partie de sa vie. Et là, il a réalisé un apostolat merveilleux, extraordinaire, auprès des hommes noirs qui étaient amenés comme esclaves d’Afrique et qui arrivaient à Carthagène des Indes pour, être envoyésdans toute l’Amérique. Ils venaient de différents pays d’Afrique, ils parlaient des dialectes différents, donc l’une des grandes préoccupations de saint Pierre Claver était d’avoir des traducteurs pour pouvoir communiquer avec ceux qui venaient. On estime qu’il y avait plus de vingt-quatre langues différentes, que saint Pierre Claver ne pouvait évidemment pas parler, il avait donc ses catéchistes pour chaque langue. Il a fait un travail si splendide, au cours de sa vie il a baptisé plus de 300 000 Africains, agissant ainsi comme « tampon » dans le nord de l’Amérique du Sud pour que ceux qui arrivaient comme esclaves deviennent chrétiens et ensuite, parce qu’ils étaient chrétiens, ils vivraient la vie chrétienne et témoigneraient de Jésus-Christ et ne seraient pas tombés dans les sectes ou devenus d’autre religion.

Je voudrais surtout rappeler son amour pour la Passion de Jésus. C’est lui qui dit : « Le seul livre à lire, c’est la Passion »[1]. Et le Livre de la Passion pour lui était ce qui est raconté par rapport à la Passion de notre Seigneur dans les quatre Évangiles. La nuit venue, avant d’aller se coucher il s’assit sur le lit, il avait une chaise à ses côtés, avec le livre de la Passion ouvert. Parfois, il s’agenouillait pour le lire, lisait un verset et commençait à pleurer. Et puis, non content de cela, il devait imiter Notre-Seigneur dans la Passion, il avait donc caché une couronne d’épines ; il mettait cette couronne sur sa tête ; il s’est flagellé, comme Notre-Seigneur qui avait reçu tant de coups de fouet. Et parfois, emporté par sa dévotion à la Passion, une dévotion vraie, réelle, ferme, forte ; Il portait une croix sur ses épaules et, pieds nus – il faisait déjà nuit, le couvent avait les lumières éteintes– il marchait dans le couloir jusqu’à l’église en chantant (des chants de deuil, des chants tristes, des chants pour participer à la Passion de Notre Seigneur). Arrivé à l’église, il s’arrêtait devant le Tabernacle pour prier et pleurer. Pour lui, la Passion n’était pas quelque chose de lointain, du passé, mais quelque chose de présent, de vivant, de vital, d’actuel, de maintenant, de cet instant ; comme c’est le cas, mystérieusement et sacramentellement, dans la Messe. Et la seule phrase que l’on connaît de ses pensées c’est : « Le seul livre qu’il faut lire est la Passion. »

Ce qui arrive malheureusement aujourd’hui dans la vie religieuse c’est parce que, ce que Notre Seigneur a souffert dans sa Passion n’est plus présent dans la pensée des âmes consacrées. Les stations du chemin de croix sont accrochées aux murs, mais quelle âme consacrée est unie avec ce qui est représenté sur les murs ? On dit, et je ne sais pas s’il peut encore le faire, que le Pape (Saint Jean Paul II) prie le chemin de croix tous les jours[2].

Comment comprenons-nous cela dans la vie de Saint Pierre Claver ? Il était jésuite, il avait fait les Exercices spirituels de saint Ignace, il saisissait parfaitement la demande que saint Ignace nous fait faire dans la Troisième Semaine, la semaine de la Passion, quand il nous dit dans les préambules de « demander ce que je veux » [3]. « Demander ce que je veux » signifie le but propre de la méditation ou de la contemplation à faire et qui sont liées à la Passion. Et c’est la pétition de grâce : demander, c’est-à-dire implorer, prier, crier à Dieu pour qu’il me donne ce dont j’ai besoin à ce moment-là. Et cela est exprimé par saint Ignace de Loyola, avec peu de mots, mais avec des paroles belles et profondes.

 Que nous apprend-il à demander ?

« La douleur avec le Christ douloureux, l’accablement avec le Christ accablé, les larmes, la peine intérieure pour la peine si grande que le Christ a endurée pour [lui] » (Ex. sp., 203).

« Douleur avec le Christ douloureux »

S’il existe une épouse du Christ qui n’a jamais éprouvé la douleur avec le Christ souffrant, quelle sorte d’épouse est-elle ? Comment se réalise en elle « qu’ils ne soient plus deux mais une seule chair » (Mt 19, 6) ? Comment cela se fait-il ? cela ne se donne pas. Qu’est-ce qu’elle a comme épouse ? Que le nom !… mais la réalité ? Saint Bernard disait : « Il n’est pas juste que la tête soit couronnée d’épines et que les membres choisissent une vie facile »[4]. C’est pourquoi les vraies épouses veulent s’unir à l’Époux dans le plus grand mystère de Sa vie, qui est le mystère de la Passion, et c’est pourquoi elles demandent encore et encore de « souffrir avec le Christ dans la douleur », et pour cela quand arrive la douleur, qui est toujours à nos portes, elles ne deviennent pas comme des petites fillettes stupides, qui gémissent et demandent du réconfort et de l’aide, mais elles sont heureuses de pouvoir souffrir quelque chose avec le Christ, qui a tant souffert. Elles profitent de la douleur pour être de véritables épouses de Celui qui a tant souffert.

« L’accablement avec le Christ accablé»

Il ne s’agit pas simplement d’une simple douleur sensible, qui reste en fin de compte une chose superficielle, une chose des sens, mais c’est quelque chose de beaucoup plus profond. C’est une douleur qui brise, c’est une douleur qui est capable – pour ainsi dire – de briser l’âme, de briser le cœur, de le bouleverser. Eh bien, si le Christ a souffert une telle douleur dans la Passion, et si nous voulons vraiment être ses disciples, suivre ses voies ; si nous voulons vraiment ce que nous disons chaque fois que nous faisons les Exercices : « Je désire l’opprobre et le mépris… »[5], nous devons faire l’expérience de l’accablement.

Et si tu n’arrives jamais à le vivre, eh bien, ma fille, ce sera parce que tu n’es pas une véritable épouse de Jésus-Christ, tu es un petit masque, tu as l’habit extérieur d’une épouse, mais ton cœur est dans autre chose. C’est pourquoi la véritable épouse du Christ n’a jamais peur de ce qu’elle doit souffrir. Elle ne croit pas que sa souffrance soit quelque chose d’extraordinairement grand, elle ne tombe pas dans ce que dit Saint Louis Marie Grignion de Montfort : « la croyance luciférienne de croire que nous sommes quelque chose de grand »[6] croyant qu’elle souffre beaucoup. Ce qu’elle souffre n’est jamais suffisant, car le Christ a souffert bien davantage. Dans ce monde faux et mensonger dans lequel nous vivons où les gens déchirent leurs vêtements devant le film de Mel Gibson « La Passion », par exemple : « Ah ! « Que de violence ! » Mais il s’avère que des milliers de personnes sont tuées à la télévision. J’ai lu une fois une statistique : 75 000 homicides par an sont constatés par une personne qui regarde trois heures de télévision par jour, ce qui est une moyenne très basse, et puis : « Oh, quelle violence! » Dans certains endroits, le film a même été interdit aux enfants de moins de 12 ans, si je me souviens bien en France, dans la fille aînée de l’Eglise. Scandalisés, “Oh !”… Tous les médias sont corrompus, sales, putrides, dégénérés, quelque chose d’inhabituel qui se voit, ce qui se passe ; et ils sont maintenant scandalisés parce que pour la première fois on considère ce que signifie la mort du Christ, la Passion ! Monde menteur et monde faux. Hier, je n’ai vu que quelques secondes, parce que c’est ce qu’ils ont montré aux informations, à Pampelune : un groupe de femmes nues, manifestant contre la tauromachie. Nous sommes tous fous. Heureusement qu’il y avait de vieilles femmes espagnoles sur les balcons qui leur criaient des choses ; c’est incroyable, honnêtement, incroyable ! Quand tout ce que le film représente en termes de douleur, de souffrance et de violence n’est qu’un pâle reflet de ce qu’était la réalité, car on ne peut pas voir dans la stricte réalité ce que signifient les douleurs morales de notre Seigneur, portant les péchés du monde entier ! Ce n’est pas du savon parfumé, ce n’est pas du jus d’orgeat. Monde faux et menteur ! Et fausses et menteuses sont les religieuses qui ne se rendent pas compte de cela, elles vivent des années dans la vie religieuse et sont si stupides qu’elles n’ont jamais pénétré le cœur de Jésus. C’est plus scandaleux que les femmes hystériques qui défendaient nues les taureaux !

«Larmes»… avec le Christ qui a pleuré dans la Passion

Larmes, combien de fois avez-vous pleuré la Passion du Christ ? Les femmes ne pleurent que pour rien, elles se piquent avec une aiguille et pleurent, elles saisissent la marmite aux poignées brûlantes et aïe ! Ellespleurent, elles voient un chiot qui pleure et ellespleurent… pauvre chiot…! Mais il faut considérer sérieusement ceci : si je ne pleure pas pour la Passion du Christ, alors je n’ai pas le droit de pleurer pour quoi que ce soit, pour quoi que ce soit d’autre. Je ne pleure pas pour mes péchés, qui ont conduit le Christ à prendre la Croix, à se crucifier sur elle et à mourir, et je vais me mettre à pleurer parce que j’ai une difficulté, parce que j’ai une incompréhension… ! Il n’y a aucun droit, surtout pas étant l’épouse de Jésus-Christ. Pleurez d’abord la Passion, non pas des larmes de crocodile mais de vraies larmes. Ce n’est pas pour rien que Martin Fierro dit : « Je ne crois pas aux larmes des femmes, ni à la boiterie d’un chien »[7].

Il faut pleurer la Passion de Notre Seigneur, il faut demander des larmes, des larmes ! Saint Pierre Claver pleurait et restait éveillé tard dans la nuit, même jusqu’au petit matin, parfois sans même aller se coucher. Il habitait une pièce qui existe encore aujourd’hui, avec une petite fenêtre carrée, de sorte que lorsque l’on rentre, on s’approche de la fenêtre pour respirer. Il se trouvait à cet endroit parce que de là, il pouvait voir la mer et les bateaux qui arrivaient et il se préparait ensuite à leur arrivée sur terre pour accueillir les esclaves qui venaient. Il pleurait. Pleurons-nous la Passion de notre Seigneur ? Est-ce que nous faisons nôtres, partageons-nous les sentiments de son cœur ? Saint Paul dit : Ayez les sentiments du Christ Jésus (Phil 2, 5). Avons-nous le sentiment d’une douleur profonde, d’un brisement du Christ qui le pousse à pleurer ?

« Peine intérieure pour la peine si grande que le Christ a endurée pour moi » 

Douleur intérieure, « peine intérieure due à toute la peine qu’Il traversée pour moi». Cette douleur intérieure qui n’est pas forcément quelque chose de sensible. Cette douleur intérieure qui est une considération spirituelle, interne, par laquelle je me sens moralement responsable de la mort du Christ, puisqu’Il va à la Croix pour mes péchés, parce que j’y participe, parce que je L’aime pour la douleur intérieure qu’Il a traversée dans la Passion pour moi. Afin que s’accomplisse ce que nous demandons dans les Exercices, ce qu’il nous enseigne dans la méditation sur le Christ-Roi : afin que celui qui « me suit dans la douleur me suive aussi dans la gloire »[8].

Notez donc : une partie intégrante et essentielle de notre charisme est la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ. Et si quelqu’un n’est pas décidé à vivre de tout son cœur la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ, qu’il se décide le plus tôt possible, car il n’ira pas très loin de cette façon, car il n’apprendra pas à aimer Dieu. « Le feu de l’amour de Dieu, dit saint Alphonse-Marie de Liguori, ne s’allume que par le bois de la Croix»[9]. Cela veut dire que quand on aime beaucoup Dieu, on aime beaucoup Dieu parce que ce feu a été allumé par la méditation, la contemplation et l’expérience de la Passion de notre Seigneur.

La Vierge se tenait au pied de la Croix, elle a participé d’abord, d’une certaine manière comme « associée » à Jésus et à la Passion comme personne d’autre, demandons-lui de nous apprendre à y participer.

+ P. Carlos Miguel Buela. IVE

Fondateur de la Famille Religieuse du Verbe Incarné.


[1] ANGEL VALTIERRA – RAFAEL M. DE HORNEDO, saint Pierre Claver, Esclave des esclaves, BAC, Madrid 1985, 89 et passim.

[2] Cette homélie a été prêchée le 6 juillet 2004, pendant le pontificat de Jean-Paul II. La veille de sa mort, le 1er avril 2005, il avait prié le chemin de croix.

[3] SAINT IGNACE DE LOYOLA, Exercices spirituels [203].

[4] SAINT-BERNARD, In festo omnium Sanctorum, s. 5, n. 9 (PL, CLXXXIII, 480 C).

[5] SAINT IGNACE DE LOYOLA, Exercices spirituels [146].

[6] SAINT LOUIS MARIE GRIGNION DE MONTFORT, Lettre circulaire aux Amis de la Croix, n° 1. 48.

[7] Cf. JOSE HERNANDEZ, Martín Fierro. Le retour de Martín Fierro, Editorial EDAF, Madrid 200613, Chant XV, est. 8, vers. 47-48, 160.

[8] SAINT IGNACE DE LOYOLA, Exercices spirituels [95].

[9] SAINT ALPHONSE-MAIRE DE LIGORIO, Pratique de l’amour pour Jésus-Christ, PS D.L., Madrid 1989, 69.