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Douleur avec le Christ douloureux

L’apôtre saint Thomas a approfondi la Passion de Notre Seigneur en plaçant son doigt et sa main dans les plaies des mains et du côté. Nous aussi, nous devons approfondir sa Passion.

Il y a quelques années, avec le P. José Hayes, IVE, nous étions en route pour rendre visite aux Pères qui étaient en Guyane, et pendant notre séjour à Bogotá, nous avons décidé d’aller à Carthagène des Indes. Carthagène des Indes est une ville colombienne située sur la côte Pacifique, à la hauteur des Caraïbes, très chaude, très humide et très pittoresque car c’est une ancienne ville coloniale, très colorée et typique, avec un centre historique fortifié, qui appartenait à la ville coloniale. Nous y sommes allés parce qu’un grand saint, saint Pierre Claver, est enterré dans l’église des Jésuites. Saint Pierre Claver était un disciple de saint Alonso Rodríguez, ce jésuite qui était portier, un homme d’une vie spirituelle sérieuse et profondément surnaturelle. Pierre Claver fut envoyé là-bas, en Colombie, pour être missionnaire. Il a voyagé dans différents endroits et s’est finalement retrouvé à Carthagène des Indes, où il a passé une grande partie de sa vie. Et là, il a réalisé un apostolat merveilleux, extraordinaire, auprès des hommes noirs qui étaient amenés comme esclaves d’Afrique et qui arrivaient à Carthagène des Indes pour, être envoyésdans toute l’Amérique. Ils venaient de différents pays d’Afrique, ils parlaient des dialectes différents, donc l’une des grandes préoccupations de saint Pierre Claver était d’avoir des traducteurs pour pouvoir communiquer avec ceux qui venaient. On estime qu’il y avait plus de vingt-quatre langues différentes, que saint Pierre Claver ne pouvait évidemment pas parler, il avait donc ses catéchistes pour chaque langue. Il a fait un travail si splendide, au cours de sa vie il a baptisé plus de 300 000 Africains, agissant ainsi comme « tampon » dans le nord de l’Amérique du Sud pour que ceux qui arrivaient comme esclaves deviennent chrétiens et ensuite, parce qu’ils étaient chrétiens, ils vivraient la vie chrétienne et témoigneraient de Jésus-Christ et ne seraient pas tombés dans les sectes ou devenus d’autre religion.

Je voudrais surtout rappeler son amour pour la Passion de Jésus. C’est lui qui dit : « Le seul livre à lire, c’est la Passion »[1]. Et le Livre de la Passion pour lui était ce qui est raconté par rapport à la Passion de notre Seigneur dans les quatre Évangiles. La nuit venue, avant d’aller se coucher il s’assit sur le lit, il avait une chaise à ses côtés, avec le livre de la Passion ouvert. Parfois, il s’agenouillait pour le lire, lisait un verset et commençait à pleurer. Et puis, non content de cela, il devait imiter Notre-Seigneur dans la Passion, il avait donc caché une couronne d’épines ; il mettait cette couronne sur sa tête ; il s’est flagellé, comme Notre-Seigneur qui avait reçu tant de coups de fouet. Et parfois, emporté par sa dévotion à la Passion, une dévotion vraie, réelle, ferme, forte ; Il portait une croix sur ses épaules et, pieds nus – il faisait déjà nuit, le couvent avait les lumières éteintes– il marchait dans le couloir jusqu’à l’église en chantant (des chants de deuil, des chants tristes, des chants pour participer à la Passion de Notre Seigneur). Arrivé à l’église, il s’arrêtait devant le Tabernacle pour prier et pleurer. Pour lui, la Passion n’était pas quelque chose de lointain, du passé, mais quelque chose de présent, de vivant, de vital, d’actuel, de maintenant, de cet instant ; comme c’est le cas, mystérieusement et sacramentellement, dans la Messe. Et la seule phrase que l’on connaît de ses pensées c’est : « Le seul livre qu’il faut lire est la Passion. »

Ce qui arrive malheureusement aujourd’hui dans la vie religieuse c’est parce que, ce que Notre Seigneur a souffert dans sa Passion n’est plus présent dans la pensée des âmes consacrées. Les stations du chemin de croix sont accrochées aux murs, mais quelle âme consacrée est unie avec ce qui est représenté sur les murs ? On dit, et je ne sais pas s’il peut encore le faire, que le Pape (Saint Jean Paul II) prie le chemin de croix tous les jours[2].

Comment comprenons-nous cela dans la vie de Saint Pierre Claver ? Il était jésuite, il avait fait les Exercices spirituels de saint Ignace, il saisissait parfaitement la demande que saint Ignace nous fait faire dans la Troisième Semaine, la semaine de la Passion, quand il nous dit dans les préambules de « demander ce que je veux » [3]. « Demander ce que je veux » signifie le but propre de la méditation ou de la contemplation à faire et qui sont liées à la Passion. Et c’est la pétition de grâce : demander, c’est-à-dire implorer, prier, crier à Dieu pour qu’il me donne ce dont j’ai besoin à ce moment-là. Et cela est exprimé par saint Ignace de Loyola, avec peu de mots, mais avec des paroles belles et profondes.

 Que nous apprend-il à demander ?

« La douleur avec le Christ douloureux, l’accablement avec le Christ accablé, les larmes, la peine intérieure pour la peine si grande que le Christ a endurée pour [lui] » (Ex. sp., 203).

« Douleur avec le Christ douloureux »

S’il existe une épouse du Christ qui n’a jamais éprouvé la douleur avec le Christ souffrant, quelle sorte d’épouse est-elle ? Comment se réalise en elle « qu’ils ne soient plus deux mais une seule chair » (Mt 19, 6) ? Comment cela se fait-il ? cela ne se donne pas. Qu’est-ce qu’elle a comme épouse ? Que le nom !… mais la réalité ? Saint Bernard disait : « Il n’est pas juste que la tête soit couronnée d’épines et que les membres choisissent une vie facile »[4]. C’est pourquoi les vraies épouses veulent s’unir à l’Époux dans le plus grand mystère de Sa vie, qui est le mystère de la Passion, et c’est pourquoi elles demandent encore et encore de « souffrir avec le Christ dans la douleur », et pour cela quand arrive la douleur, qui est toujours à nos portes, elles ne deviennent pas comme des petites fillettes stupides, qui gémissent et demandent du réconfort et de l’aide, mais elles sont heureuses de pouvoir souffrir quelque chose avec le Christ, qui a tant souffert. Elles profitent de la douleur pour être de véritables épouses de Celui qui a tant souffert.

« L’accablement avec le Christ accablé»

Il ne s’agit pas simplement d’une simple douleur sensible, qui reste en fin de compte une chose superficielle, une chose des sens, mais c’est quelque chose de beaucoup plus profond. C’est une douleur qui brise, c’est une douleur qui est capable – pour ainsi dire – de briser l’âme, de briser le cœur, de le bouleverser. Eh bien, si le Christ a souffert une telle douleur dans la Passion, et si nous voulons vraiment être ses disciples, suivre ses voies ; si nous voulons vraiment ce que nous disons chaque fois que nous faisons les Exercices : « Je désire l’opprobre et le mépris… »[5], nous devons faire l’expérience de l’accablement.

Et si tu n’arrives jamais à le vivre, eh bien, ma fille, ce sera parce que tu n’es pas une véritable épouse de Jésus-Christ, tu es un petit masque, tu as l’habit extérieur d’une épouse, mais ton cœur est dans autre chose. C’est pourquoi la véritable épouse du Christ n’a jamais peur de ce qu’elle doit souffrir. Elle ne croit pas que sa souffrance soit quelque chose d’extraordinairement grand, elle ne tombe pas dans ce que dit Saint Louis Marie Grignion de Montfort : « la croyance luciférienne de croire que nous sommes quelque chose de grand »[6] croyant qu’elle souffre beaucoup. Ce qu’elle souffre n’est jamais suffisant, car le Christ a souffert bien davantage. Dans ce monde faux et mensonger dans lequel nous vivons où les gens déchirent leurs vêtements devant le film de Mel Gibson « La Passion », par exemple : « Ah ! « Que de violence ! » Mais il s’avère que des milliers de personnes sont tuées à la télévision. J’ai lu une fois une statistique : 75 000 homicides par an sont constatés par une personne qui regarde trois heures de télévision par jour, ce qui est une moyenne très basse, et puis : « Oh, quelle violence! » Dans certains endroits, le film a même été interdit aux enfants de moins de 12 ans, si je me souviens bien en France, dans la fille aînée de l’Eglise. Scandalisés, “Oh !”… Tous les médias sont corrompus, sales, putrides, dégénérés, quelque chose d’inhabituel qui se voit, ce qui se passe ; et ils sont maintenant scandalisés parce que pour la première fois on considère ce que signifie la mort du Christ, la Passion ! Monde menteur et monde faux. Hier, je n’ai vu que quelques secondes, parce que c’est ce qu’ils ont montré aux informations, à Pampelune : un groupe de femmes nues, manifestant contre la tauromachie. Nous sommes tous fous. Heureusement qu’il y avait de vieilles femmes espagnoles sur les balcons qui leur criaient des choses ; c’est incroyable, honnêtement, incroyable ! Quand tout ce que le film représente en termes de douleur, de souffrance et de violence n’est qu’un pâle reflet de ce qu’était la réalité, car on ne peut pas voir dans la stricte réalité ce que signifient les douleurs morales de notre Seigneur, portant les péchés du monde entier ! Ce n’est pas du savon parfumé, ce n’est pas du jus d’orgeat. Monde faux et menteur ! Et fausses et menteuses sont les religieuses qui ne se rendent pas compte de cela, elles vivent des années dans la vie religieuse et sont si stupides qu’elles n’ont jamais pénétré le cœur de Jésus. C’est plus scandaleux que les femmes hystériques qui défendaient nues les taureaux !

«Larmes»… avec le Christ qui a pleuré dans la Passion

Larmes, combien de fois avez-vous pleuré la Passion du Christ ? Les femmes ne pleurent que pour rien, elles se piquent avec une aiguille et pleurent, elles saisissent la marmite aux poignées brûlantes et aïe ! Ellespleurent, elles voient un chiot qui pleure et ellespleurent… pauvre chiot…! Mais il faut considérer sérieusement ceci : si je ne pleure pas pour la Passion du Christ, alors je n’ai pas le droit de pleurer pour quoi que ce soit, pour quoi que ce soit d’autre. Je ne pleure pas pour mes péchés, qui ont conduit le Christ à prendre la Croix, à se crucifier sur elle et à mourir, et je vais me mettre à pleurer parce que j’ai une difficulté, parce que j’ai une incompréhension… ! Il n’y a aucun droit, surtout pas étant l’épouse de Jésus-Christ. Pleurez d’abord la Passion, non pas des larmes de crocodile mais de vraies larmes. Ce n’est pas pour rien que Martin Fierro dit : « Je ne crois pas aux larmes des femmes, ni à la boiterie d’un chien »[7].

Il faut pleurer la Passion de Notre Seigneur, il faut demander des larmes, des larmes ! Saint Pierre Claver pleurait et restait éveillé tard dans la nuit, même jusqu’au petit matin, parfois sans même aller se coucher. Il habitait une pièce qui existe encore aujourd’hui, avec une petite fenêtre carrée, de sorte que lorsque l’on rentre, on s’approche de la fenêtre pour respirer. Il se trouvait à cet endroit parce que de là, il pouvait voir la mer et les bateaux qui arrivaient et il se préparait ensuite à leur arrivée sur terre pour accueillir les esclaves qui venaient. Il pleurait. Pleurons-nous la Passion de notre Seigneur ? Est-ce que nous faisons nôtres, partageons-nous les sentiments de son cœur ? Saint Paul dit : Ayez les sentiments du Christ Jésus (Phil 2, 5). Avons-nous le sentiment d’une douleur profonde, d’un brisement du Christ qui le pousse à pleurer ?

« Peine intérieure pour la peine si grande que le Christ a endurée pour moi » 

Douleur intérieure, « peine intérieure due à toute la peine qu’Il traversée pour moi». Cette douleur intérieure qui n’est pas forcément quelque chose de sensible. Cette douleur intérieure qui est une considération spirituelle, interne, par laquelle je me sens moralement responsable de la mort du Christ, puisqu’Il va à la Croix pour mes péchés, parce que j’y participe, parce que je L’aime pour la douleur intérieure qu’Il a traversée dans la Passion pour moi. Afin que s’accomplisse ce que nous demandons dans les Exercices, ce qu’il nous enseigne dans la méditation sur le Christ-Roi : afin que celui qui « me suit dans la douleur me suive aussi dans la gloire »[8].

Notez donc : une partie intégrante et essentielle de notre charisme est la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ. Et si quelqu’un n’est pas décidé à vivre de tout son cœur la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ, qu’il se décide le plus tôt possible, car il n’ira pas très loin de cette façon, car il n’apprendra pas à aimer Dieu. « Le feu de l’amour de Dieu, dit saint Alphonse-Marie de Liguori, ne s’allume que par le bois de la Croix»[9]. Cela veut dire que quand on aime beaucoup Dieu, on aime beaucoup Dieu parce que ce feu a été allumé par la méditation, la contemplation et l’expérience de la Passion de notre Seigneur.

La Vierge se tenait au pied de la Croix, elle a participé d’abord, d’une certaine manière comme « associée » à Jésus et à la Passion comme personne d’autre, demandons-lui de nous apprendre à y participer.

+ P. Carlos Miguel Buela. IVE

Fondateur de la Famille Religieuse du Verbe Incarné.


[1] ANGEL VALTIERRA – RAFAEL M. DE HORNEDO, saint Pierre Claver, Esclave des esclaves, BAC, Madrid 1985, 89 et passim.

[2] Cette homélie a été prêchée le 6 juillet 2004, pendant le pontificat de Jean-Paul II. La veille de sa mort, le 1er avril 2005, il avait prié le chemin de croix.

[3] SAINT IGNACE DE LOYOLA, Exercices spirituels [203].

[4] SAINT-BERNARD, In festo omnium Sanctorum, s. 5, n. 9 (PL, CLXXXIII, 480 C).

[5] SAINT IGNACE DE LOYOLA, Exercices spirituels [146].

[6] SAINT LOUIS MARIE GRIGNION DE MONTFORT, Lettre circulaire aux Amis de la Croix, n° 1. 48.

[7] Cf. JOSE HERNANDEZ, Martín Fierro. Le retour de Martín Fierro, Editorial EDAF, Madrid 200613, Chant XV, est. 8, vers. 47-48, 160.

[8] SAINT IGNACE DE LOYOLA, Exercices spirituels [95].

[9] SAINT ALPHONSE-MAIRE DE LIGORIO, Pratique de l’amour pour Jésus-Christ, PS D.L., Madrid 1989, 69.

«Du cerveau et de l’énergie de ceux qui ne se résignent pas dépendra la direction du monde»

Sermon prêché le 20 juin 1998 dans la Paroisse Notre Dame des Douleurs, à l’occasion de la prise d’habit des novices de l’Institut des Servantesdu Seigneur et de la Vierge de Matara.

Nous célébrons la fête du Cœur Immaculé de Marie. C’est pour nous une fête particulièrement agréable, car notre congrégation a commencé sa vie publique le jour où le Pape et tous les évêques du monde ont consacré le monde – c’est-à-dire nous tous et toutes choses – au Cœur Immaculé de Marie. C’était le 25 mars 1984.

Je me souviens toujours qu’ici à San Rafael, le jour où nous avons commencé le séminaire diocésain, la consécration a été faite par Monseigneur León Kruk devant la paroisse de San José dont le curé était le Père Ortego, le « plus jeune » de tous les prêtres du diocèse avec son 80 ans de jeunesse. La messe a ensuite été célébrée sur le trottoir de sa paroisse et lors de la messe a été faite la consécration au Cœur Immaculé de Marie.

Tout comme elle a gardé les choses de son Fils dans son cœur (cf. Luc 2, 19), en ce jour où nous nous souvenons d’elle, nous voulons toujours la garder dans notre cœur.

Cette semaine, j’ai pu finir la lecture d’un livre qui a été publié il y a quelques années, mais très intéressant sur Saint Jacques en Espagne. Là, j’ai trouvé une phrase qui m’a semblé très belle pour le sermon d’aujourd’hui. L’auteur dit : «Du cerveau et de l’énergie de ceux qui ne se résignent pas dépendra la direction du monde»[1].

Cela semble être une occasion appropriée de développer ce que cela signifie. Je vais commencer par la dernière partie de cette phrase.

« Dépendra la direction du monde »

Nous, les hommes de notre temps, oublions – malheureusement souvent – ​​quelque chose de très important : c’est à nous de décider le cours de l’avenir.

Face à cela, trois positions diffèrent : selon les hébreux, les œuvres suffisent ; selon les protestants, seulement la foi ; la position des catholiques englobe les deux aspects : la foi et les œuvres.

La première position est celle qu’occupe le peuple juif en raison de sa culture, de son histoire et de sa façon de voir les choses. Ils sont convaincus qu’en agissant, ils changent. En fait, ils l’ont démontré : mille neuf cents ans après avoir perdu leur patrie, par leur ténacité, par leur action, ils l’ont récupérée ; un autre exemple est ce qui s’est passé avec la langue : la langue hébraïque, morte depuis mille neuf cents ans, est devenue – ce qui constitue jusqu’à présent un cas unique dans l’histoire du monde – une langue vivante et parlée ; C’est un langage que l’on entend à la radio et à la télévision ; elle est lue dans les journaux et prononcée par les gens dans la rue.

L’autre position est celle du protestantisme. Pour eux, comme le disait Luther, seule la foi suffit. Avec la foi sans avoir besoin des œuvres, c’est ainsi que change l’avenir.

La position catholique, qui n’est ni l’une ni l’autre, s’élève comme une montagne sur deux vallées. Le catholicisme enseigne : la foi vient en premier, mais les œuvres doivent accompagner la foi.

C’est-à-dire que c’est en raison de la foi et en raison des œuvres que l’on peut – et doit – changer le cours de l’avenir. Tout comme la Sainte Vierge l’a fait : elle a eu la foi, elle a cru à la Parole qu’elle portait déjà dans son Cœur, elle a dit « Oui » (cf. Lc 1, 38) et a commencé à porter sa Parole non seulement dans son cœur mais aussi dans son sein très saint en acceptant avec foi et en agissant en conséquence. Cela a changé le cours du futur ! Cette femme qui a gardé toutes les choses de son Fils (cf. Luc 2, 29) est la plus grande femme qui ait jamais existé parmi toutes les femmes. C’est pourquoi sa parente Elisabeth la salue : Tu es bénie entre toutes les femmes ! (Lc 1,42). Et plus le temps passera, plus la Sainte Vierge sera exaltée, comme le dit très bien saint Louis Marie Grignion de Montfort.

Et en regardant cette femme, en cherchant à imiter cette femme qui a su changer le cours de l’avenir, nous avons eu au cours de ce siècle un groupe de non résignés, qui sont les martyrs, les confesseurs de la foi, comme le cardinal Midzensty, par exemple, Stépinac −qui est sur le point d’être canonisé [2]− ; comme le cardinal chinois Ignacio Kung Pin Mei ; comme l’était et l’est encore Jean-Paul II. Ils n’ont pas démissionné. Ils ne croyaient pas à ce slogan politique désastreux – qui s’élevait même dans les rangs de l’Église – qui disait : « mieux vaut rouge que mort ». Et ils ont changé le cours de l’histoire ! Les théoriciens parlaient du cours de l’histoire inexorablement marqué par l’idéologie. Cela semblait inévitable. Et pourtant, ce groupe de non-démissionnaires a changé l’avenir.

On peut changer le cours de l’histoire…

Nous savons que le cours de l’histoire peut être changé en premier lieu parce que nous avons la foi et parce que nous savons que Dieu est le seul capable de faire bouger les volontés des hommes, et il les fait bouger. Afin de changer le futur, nous devons garder à l’esprit quand et où il change : ce futur est modifié dans le présent, il est modifié ici et maintenant ; c’est dans le présent que le futur est changé. J’aime toujours me souvenir du triomphe du général Wellington sur Napoléon. Après quelques années de cette éclatante victoire, il retourna au lieu où il avait étudié et devant tous les cadets qui l’admiraient comme un héros, il prononça ces sages paroles : « Waterloo a été gagné ici ». Dans les salles de classe, où il étudiait et se préparait.

Ces jeunes pourront dire de même, demain.  Comme la Vierge, elles prononcent aujourd’hui leur « oui », parce que c’est un oui qui jaillit de la foi, et s’il est accompagné des œuvres de la foi, il contribuera certainement à changer le cours de l’avenir.

« Du cerveau et de l’énergie »

L’auteur nomme deux éléments : le cerveau (ou intelligence) et l’énergie.

Le cerveau, c’est-à-dire l’intelligence, ce qui nous distingue, hommes et femmes, de l’irrationnel. Nous sommes capables de penser, les animaux ne pensent pas. Mais il ne suffit pas de penser, il faut penser et agir. On doit avoir une énergie de volonté, une énergie de caractère, pour vivre conformément à la vérité que connaît l’intelligence. L’avenir est changé précisément par l’utilisation correcte des deux facultés principales de l’âme : l’intelligence et la volonté. C’est similaire à ce que proposait Soljenitzin, l’un des grands hommes de ce siècle. Il a parlé de « lucidité et de courage ».

Pour changer le cours de l’histoire, il faut avoir de la lucidité, c’est-à-dire avoir une intelligence lucide capable de détecter les problèmes et de trouver des solutions appropriées ; et il faut avoir de la volonté pour ne pas s’incliner devant ceux qui veulent autre chose. Il faut se battre, et se battre est une grâce.

« De ceux qui ne se résignent pas »

Qui sont les non-résignés ?

Ce sont ces hommes et ces femmes qui ne se soumettent pas en se remettant, de manière inappropriée, entre les mains d’un autre.

Ce sont ceux qui ne condescendent pas devant l’opinion publique lorsqu’elle est contre l’Évangile, parce que la vérité ne dépend pas de la majorité. Quand Pilate demande à la majorité : Que voulez-vous que je fasse de celui que vous appelez roi des Juifs ? (Mc 15, 12), la majorité criait : Crucifiez-le ! Crucifiez-le ! (Mc 15,13).

Ce sont ceux qui ne se soumettent pas à l’esprit du monde, parce qu’il est contraire à l’Esprit Saint, à l’Esprit de Vérité, parce que l’esprit du monde suit d’autres voies, emprunte des chemins contraires à ceux de l’Esprit Saint.

Je veux donner quelques exemples de ce que sont les voies du monde et ses opinions et quelles sont les voies du Saint-Esprit, qui est la voie de ceux qui ne se résignent pas :

Aujourd’hui, la majorité tombe dans ce qu’on appelle la téléaddiction ; on vit comme l’esclave de la télévision, appelée télé-idiote en Espagne. Si l’on n’est pas résigné, on se demande : « Pourquoi devrais-je être un esclave ? » Je dois être libre. Par la grâce de Dieu, même jusqu’à présent, nous ne sommes pas esclaves de la télévision, nous n’avons pas l’habitude de la regarder.

Aujourd’hui, de nombreuses femmes sont esclaves des dernières tendances de la mode ; la mode n’a pas d’importance pour nos sœurs ; aujourd’hui, elles commencent à porter un habit qui ne changera probablement pas dans les années. Cela signifie n’est pas se résigner.

Aujourd’hui, nous vivons dans une culture pan-sexualiste ; ces Sœurs vont faire vœu de chasteté.

Aujourd’hui, les gens vivent dans la dépendance de l’argent, ils sont esclaves du consumérisme ; ces Sœurs font vœu de pauvreté.

Aujourd’hui, on exalte la liberté jusqu’à la débauche ; ces Sœurs feront vœu d’obéissance, ce qui n’est pas résignation, c’est non-résignation, car cela ne signifie pas se remettre entre les mains d’une autre personne humaine, mais plutôt s’abandonner, se remettre totalement entre les mains de Dieu, car cela signifie vouloir faire la volonté de Dieu. C’est exactement le contraire.

Il faut former des hommes et des femmes qui ne se résignent pas

Il faut chercher à former des hommes et des femmes qui ne se résignent pas.

On entend sans cesse dire : « il n’y a pas de vocations » ; « les jeunes d’aujourd’hui sont occupés à autre chose » ; « Avant, les familles étaient nombreuses et c’est pour cela qu’il y avait beaucoup d’enfants qui voulaient se consacrer, ce n’est plus le cas maintenant » ; « les prêtres ne sont pas nécessaires » ; « la place du prêtre est occupée par les laïcs… ». Mais si l’on n’est pas résigné, on sait que Dieu suscite des vocations, que Dieu ne se laisse surpasser en générosité par personne et que Dieu envoie des vocations. Et ici nous le constatons !

« De notre pays ne sont jamais sortis beaucoup de missionnaires… » Et pourquoi ne devraient-ils pas sortir maintenant ? Il ne faut pas se résigner ! Par la grâce de Dieu, nous avons envoyé des missionnaires sur les cinq continents, et par la grâce de Dieu vous pouvez répéter une phrase que j’ai déjà utilisée à une autre occasion : « Nous nous saignons à blanc en envoyant des missionnaires ».

On dit aussi :

« Il n’est pas nécessaire de demander beaucoup de sacrifices aux jeunes » ; nous proposons le sacrifice.

« Non, les jeunes vont être effrayés par la croix du Christ… » Et c’est la croix du Christ qui appelle les jeunes ! C’est exactement l’inverse !

« Les objectifs ambitieux font fuir les jeunes… » ; et ce sont des objectifs élevés qui appellent les jeunes : nous avons des jeunes qui étudient des langues très difficiles : le chinois, l’arabe, le russe, le quechua ; les langues des tribus : les chipibos, les kachipos…

« Les jeunes ne savent pas s’amuser… » Nous nous amusons.

« Le sens de la fête est perdu… » Retrouvons le sens de la fête. La phrase la plus célèbre des Constitutions est celle de saint Athanase : « De fête en fête nous allons vers la grande Fête »[3]. (C’est celle que les séminaristes aiment le plus… !). et c’est bien ; c’est « de fête en fête » notre pèlerinage à la « grande fête » du Ciel.

Cette position n’est pas gratuite et a un fondement profond : nous sommes des rebelles contre le monde pour suivre Jésus-Christ, et c’est pourquoi nous sommes un signe de contradiction !

Nous ne voulons pas de jeunes écrasés voyant des étoiles, mais des jeunes avec une étoile, qui sachent où aller, qui suivent l’étoile !

Non pas des jeunes « sellés », mais des jeunes à éperons, capables de lucidité et de courage !

Nous entendons former des hommes et des femmes libres avec la liberté des enfants de Dieu !

Il est possible de changer le cours de l’histoire

Il est possible de changer le cours de l’histoire, mais seulement avec des hommes et des femmes qui ne se résignent pas, qui suivent librement le chemin de l’Esprit Saint, qui les amènera à témoigner de Dieu à ceux qui ne le connaissent pas.

Si ces sœurs accompagnent aujourd’hui leur « oui » par des œuvres, elles contribueront certainement à changer le cours de l’histoire et celle de nombreuses âmes.

De combien de ces Sœurs dépendront tant d’âmes en tant d’endroits !

Combien de bien sont-elles appelées à faire, combien important est le témoignage courageux de considérer Dieu comme un Absolu dans leur vie !

Combien d’hommes et de femmes seront édifiés par le témoignage de ces sœurs !

Nous voulons des hommes et des femmes capables de changer le cours de l’histoire !

+ P. Carlos Miguel Buela IVE

Fondateur de la Famille Religieuse du Verbe Incarné


[1] Américo Castro, Santiago de España, Emecé Editores, Buenos Aires 1958, p. 137.

[2] Le 3 octobre 1998, le pape Jean-Paul II le proclame « bienheureux ».

[3] Cf. Saint Athanase, Lettres pascales, 5, 1-2 : « ab uno ad aliud festum pervenire », cit. dans Constitutions, 211.