Cette demande : Remettez-nous nos dettes, est-elle exaucée ?
Pour répondre à cette question, il faut avoir présent à l’esprit les deux éléments contenus en tout péché, à savoir la faute ou l’offense faite à Dieu, et le châtiment mérité par la faute.
Or la faute est remise par la contrition, si la contrition est accompagnée du propos de se confesser et de satisfaire. J’ai dit, déclare le Psalmiste (Ps 31, 5), je confesserai contre moi-même mon injustice au Seigneur, et vous nous avez pardonné l’impiété de mon péché.
Si donc, comme nous venons de le dire, la contrition des péchés avec le propos de les confesser, suffit à en obtenir la remise, le pécheur ne doit pas désespérer.
Mais peut-être quelqu’un peut dire: Puisque le péché est remis par la contrition, à quoi sert le prêtre ?
A cette question, il faut répondre : Dieu, par la contrition, remet la faute et change la peine éternelle en peine temporelle ; le pécheur contrit reste donc soumis à une peine temporelle. C’est pourquoi, s’il mourrait sans s’être confessé, non parce qu’il aurait méprisé la confession, mais parce que la mort arrive avant qu’il se confesse, il irait au purgatoire y souffrir, et, d’après saint Augustin, y souffrir extrêmement.
Mais si vous vous confessez, vous vous soumettez au pouvoir des clefs et en vertu de ce pouvoir, le prêtre vous pardonne de la peine temporelle due à vos fautes ; le Christ a dit aux Apôtres (Jn 20, 22-23) : Recevez le Saint-Esprit ; les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, ils sont retenus à ceux à qui vous les retiendrez.
Les successeurs des Apôtres trouvèrent un autre moyen de remettre la peine temporelle, à savoir le bienfait des indulgences.
Beaucoup de saints firent un grand nombre de bonnes œuvres, sans pécher du moins mortellement ; ils firent ces œuvres pour l’utilité de l’Eglise. De même, les mérites du Christ et de la bienheureuse Vierge sont réunis comme en un trésor. Le Souverain Pontife et ceux à qui il en a confié le soin, peuvent dispenser ces mérites, là où il y a nécessité.
Ainsi donc, les péchés sont remis, quant à la faute, par la contrition, et, quant à la peine, par la confession et par les indulgences.
Que devons-nous accomplir pour que le Seigneur exauce cette demande : “Pardonnes-nous nos offenses” ?
Il faut répondre : Dieu réclame de notre part, que nous pardonnions à notre prochain les offenses qu’il nous fait. C’est pourquoi il nous demande de dire :“comme nous, nous remettons leurs dettes à nos débiteurs”. Si nous agissions autrement, Dieu ne nous pardonnerait pas.
Il est dit de même dans l’Ecclésiastique (28, 2-5) :Pardonne au prochain son injustice, et alors, à ta prière, tes péchés seront remis. L’homme conserve de la colère contre un autre homme, et il demande à Dieu sa guérison ! Il n’a pas pitié de son semblable, et il supplie pour ses propres fautes! Lui, qui n’est que chair, garde rancune ; qui donc lui obtiendra le pardon de ses péchés ? Et aussi: Pardonnez donc, dit Jésus (Luc 6, 37), et il vous sera pardonné.
Et c’est pourquoi dans cette cinquième demande du « Notre Père » le Seigneur pose cette seule condition : pardonner à autrui. Si nous ne la réalisons pas, à nous non plus, il ne nous sera pas pardonné.
Notre cœur doit donc ratifier cette demande, quand nos lèvres la prononcent.
Alors on se demande aussi si quelqu’un qui n’a pas le propos intérieur de pardonner son prochain doit dire encore : comme nous, nous remettons à nos débiteurs.
Il semble que non, car alors il mentirait. Mais il faut répondre qu’il n’est pas pourtant dispensé de le dire.
En fait, il ne ment pas, parce qu’il ne prie pas en son nom, mais au nom de l’Eglise qui, elle, ne s’y trompe pas ; c’est pourquoi d’ailleurs cette demande est exprimée au pluriel.
Il est bon de le savoir ; il y a deux manières de pardonner au prochain.
- La première est la manière des parfaits ; elle pousse l’offensé à aller au-devant de l’offenseur, pour lui pardonner, conformément à ce que dit le Psalmiste (Ps 33, 15) : Recherche la paix.
- La deuxième manière de pardonner est commune à tous et obligatoire pour tous ; elle consiste à accorder le pardon à qui le sollicite. Pardonne au prochain son injustice, dit l’Ecclésiastique (28, 2), alors à ta prière, tes péchés te seront remis.
A cette cinquième demande de l’oraison dominicale se rattache la béatitude : Bienheureux les miséricordieux. La miséricorde, en effet, nous porte à avoir pitié de notre prochain.
Commentaire au Notre Père
Saint Thomas d’Aquin