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Trois exclamations et trois signes

Trois exclamations et trois signes semblent dominer le mystère de la Semaine Sainte, le mystère pascal, comme une sorte de musique de fond.

I

Le premier est ce dimanche : Hosanna ! Hosanna! Hosanna! criait la foule excitée tandis que Jésus passait sur l’âne, se dirigeant vers la ville de Jérusalem. Hosanna est une acclamation joyeuse qui vient du mot hébreu « hoshia na », qui signifie « sauve-nous », en latin hosanna. (Nous le disons deux fois par jour dans le Sanctus de la Messe : Hosanna au ciel.)

Hosanna! c’est la musique de fond de ce dimanche des Rameaux. Les évangélistes rapportent, par exemple, saint Matthieu : « Dans la foule, la plupart étendirent leurs manteaux sur le chemin ; d’autres coupaient des branches aux arbres et en jonchaient la route. Les foules qui marchaient devant Jésus et celles qui suivaient criaient : « Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux ! » Comme Jésus entrait à Jérusalem, toute la ville fut en proie à l’agitation, et disait : « Qui est cet homme ? » (21, 8-10) ; et saint Marc dit : Ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient criaient : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni soit le Règne qui vient, celui de David, notre père. Hosanna au plus haut des cieux ! » (11, 9-10) ; mais, comme cela arrive souvent, c’est saint Jean qui précise : «Les gens prirent des branches de palmiers et sortirent à sa rencontre. Ils criaient : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni soit le roi d’Israël ! »» (12, 13). Ce dimanche tire son nom de cette référence.

Et pourquoi des rameaux et pas des branches ? Parce que le palmier n’a pas de branches, mais des rameaux (à proprement parler ce sont des feuilles qu’on appelle des palmes), qui sont comme des branches de second ordre, ou encore, des branches coupées de l’arbre (comme des rameaux d’olivier). Le palmier (héb. tamar ; gr. phoenix ; lat. palma) est un arbre de la famille du même nom, dont il existe plus de 2 600 espèces connues, qui peut atteindre plus de 20 m. de hauteur, avec un tronc cylindrique et rugueux… une couronne sans branches formée de feuilles pétiolées, de trois ou quatre mètres de long, avec une nervure centrale ligneuse et dure, de section triangulaire et divisée en de nombreuses bandes vertes, dures, coriaces, pointues, d’environ 40 centimètres de long et deux de large… Jéricho est connue dans la Bible comme « la ville des palmiers » (cf. Deut 34, 3 ; Juges 1, 16 ; 3, 13 ; etc.)

Un poète dit des palmiers : « Moulins à vent verts, moulins à vent végétaux. » Rose des vents de la renommée, leurs flèches vertes sont là depuis la nuit des temps, au sommet de leurs troncs élancés et ondulants, se pliant à tous les caprices arbitraires de la gloire. En raison de leur grâce inviolable, séparée du sol, en raison de leur inclination facile et respectueuse, en raison de leur tendance soumise à se courber en une canopée, le monde s’est immémorialement concentré sur la feuille de palmier, l’imprégnant de significations triomphantes emphatiques. Et ainsi, insolent et présomptueux, conscient de son symbolisme glorieux, il s’ouvre, comme une étoile, sur sa hauteur inaccessible, comme pour dire ironiquement que la gloire souffle de ce côté aujourd’hui et de ce côté demain, dans une roue arbitraire et divergente.

Ce dimanche des Rameaux à Jérusalem, la gloire triomphante souffla vers l’Orient, où Jésus venait sur son âne. Comme des siècles auparavant, il avait soufflé sur Judas Maccabée, qui, victorieux et ensanglanté, entra à Jérusalem, « avec des cris de joie et des palmes, au son de la harpe et des cymbales » (1 Macc. 13,51) ; comme un autre jour, il soufflait vers Vespasien, lorsque, au milieu des applaudissements, selon Flavius ​​Josèphe, il entra victorieux à Rome ; ou vers Titus, lorsqu’il entra à Antioche en foulant les palmiers.

Ainsi, sans fixité ni sérieux, le palmier accomplit le signe de la Renommée humaine, son destin incongru et arbitraire de désigner tous les quadrants du vent : aujourd’hui, un tyran, demain, un général ; après-demain, un prophète. Une triste histoire des palmes triomphantes des hommes : un jour, flatterie du vainqueur, un autre jour, consolidation du butin ; un autre, vanité d’or délavé brodée sur l’uniforme académique.

Mais un jour, les palmiers étaient étendus comme un tapis à l’entrée de Jérusalem, tandis que Jésus passait. Était-ce une heure de joie et de victoire pour Jésus ? Je crois plutôt que Jésus a commencé sa Passion là, au plus profond de son cœur. Parce qu’il a dû entendre les syllabes tragiques de « Enlève-le » et de « Crucifie-le »[1], silencieusement liées dans les syllabes jubilatoires de « Hosanna »… »[2].

Les palmes, elles aussi, reçoivent l’éclaboussure du baptême rouge et inversent leur sens. De signes bruyants de victoire visible et de triomphe matériel, elles deviennent des signes purs de victoires intérieures, silencieuses et paradoxales, qui ont le visage de la défaite aux yeux du monde : le martyre et la virginité. Le type du martyr apparaît, aux yeux du monde, à l’opposé humain du type du vainqueur honoré par les anciennes palmes triomphales : le martyr est le vaincu, celui sur lequel on crache dessus, l’humilié, celui qu’on brûle sur les grils. La vierge apparaît aussi, aux yeux du monde, l’inversion de tout triomphe vital bruyant : la vierge est l’abandonnée, l’oubliée, la silencieuse, la méprisée de tout un monde antique imprégné de cultes de la moisson et de la maternité. Mais Jésus était venu renverser la situation. En mourant, il conquiert la Mort ; il règne avec un sceptre de roseau. Il est donc juste que, déjà en plein paradoxe, les palmes bruyantes de Titus et de Vespasien passent aux mains de ceux qui sont brulés sur les grils ou cachés dans le cloître : les mains des vaincus, qui étaient, à l’intérieur, vainqueurs”[3]. C’est pourquoi nous disons qu’ils ont obtenu la palme du martyre et la palme de la virginité.

« C’est pourquoi Jésus, monté sur son âne, avançait, un peu triste, sur la route qui descend du mont des Oliviers, et entrait à Jérusalem, cet après-midi-là, entouré de palmiers en délire. Car il savait que les palmes du monde, au sommet du palmier, sont une étoile ronde et divergente, une perplexité végétale, qui semble interroger le vent : Par ici ? Par-là ? (car ils se balancent habituellement comme des jouets au vent). Et Il rêvait des légions de ses martyrs, de ses vierges, qui, jaillissant du pied de la Croix comme des fleuves d’abnégation et de sacrifice, traverseraient les siècles de l’histoire, les palmes tremblantes à la main ; mais avec des palmes hautes, droites, verticales, avec une direction ferme et unique vers le ciel : c’est par ici, c’est par là !! L’éternelle perplexité du palmier a été résolue et a trouvé une réponse »[4]… par le témoignage de milliers et de milliers de vierges et par le témoignage de milliers et de milliers de martyrs, à travers ces deux mille ans de christianisme.

II

La deuxième exclamation est le vendredi : Crucifie-le ! Crucifie-le ! Crucifie-le ! répété en deux occasions (cf. Mt 27, 22.23 ; Mc 15, 13.14 ; Lc 23, 21.23 ; Jn 19, 6.15) …il n’y a plus de signes de gloire et de triomphe des palmes du dimanche précédent. Il y a un grand signe de douleur et de deuil. Il y a des funérailles cosmiques, car le Fils du Dieu vivant meurt sur une Croix, crucifié : « Il était environ la sixième heure, lorsque le soleil s’éclipsa, et les ténèbres couvrirent toute la terre jusqu’à la neuvième heure » (Lc 23, 44 ; cf. Mt 27, 45 ; Mc 15, 33). « Et voici que le voile du sanctuaire se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas ; la terre trembla, et les rochers se fendirent » (Mt 27, 51).

Le poète dit : « Mais maintenant, au moment de la mort du Christ et de la consommation de son œuvre rédemptrice, il semble y avoir une sorte d’ébranlement final et puissant du style déjà expirant de l’Ancienne Loi ; une sorte d’appel final à la nature terrible et tonitruante du Sinaï…

Trois années de douces paraboles n’ont pas pu faire en Pierre ce qu’une minute d’obscurité théâtrale a pu faire pour le centurion. Le monde qui avait voulu un Messie ostentatoire et puissant exigeait désormais une grande métaphore cosmique pour la mort d’un Dieu. Il voulait un Dieu qui mourrait entre les éclipses et les tremblements de terre. Comme si le pardon de ses bourreaux n’était pas un certificat plus authentique de divinité !

Jésus insiste sur les signes spirituels purs du vin, de l’eau et du pain. Ce n’est qu’à la fin, comme un élan désespéré de la dureté charnelle des hommes, qu’apparaissent les signes cosmiques et sinaïtiques éclatants : l’éclipse et le tremblement de terre »[5] .

« Mais les hommes, durs et obstinés, persistent à ne pas entendre ce doux murmure de la Loi d’Amour, et Dieu doit de temps à autre ébranler leur intelligence par des guerres, des révolutions et des persécutions, afin que les hommes, comme le centurion, croient en Lui « quand ils voient le tremblement de terre ». Le monde d’aujourd’hui en sait quelque chose… Fous, fous, pourquoi n’évitez-vous pas le tremblement de terre et les ténèbres, en profitant du temps de l’eau, du vin et du pain ? »[6].

III

La troisième exclamation a retenti le dimanche de Pâques : « Il est ressuscité. Il n’est pas ici ! », « Il est ressuscité. Il n’est pas ici ! », « Il est ressuscité. Il n’est pas ici ! » (cf. Mt 28, 6 ; Mc 16, 6 ; Lc 24, 6). Il y a un tombeau vide depuis 2 000 ans. Jean-Paul II – comme Pierre à Pâques – était là ! Il était là ! Il y a à peine 20 jours… le monde entier l’a vu !

IV

En cette Semaine Sainte des chrétiens, apprenons à écouter la triple exclamation et à voir l’éloquence inouïe des palmes, des ténèbres et du tombeau vide. Et surtout, apprenons à découvrir son contenu profond, capable d’illuminer toute notre vie et de faire de nous le sel de la terre et la lumière du monde.

Marie entendit les exclamations.

Marie a vu les signes clairs.

Marie les a déchiffrés mieux que quiconque.

+ P. Carlos Miguel Buela. IVE

Fondateur de la Famille Religieuse du Verbe Incarné.


[1] Cf. Jn. 19, 15.

[2] José María Pemán, La Passion selon Pemán, Edibesa, Madrid, 1997, pp. 56-57.

[3] Ibid., p.58.

[4] Ibid., parenthèses de l’auteur.

[5] Ibid., pp.70-71.

[6] Ibid., p. 72.

Deux perspectives de la Croix

Le Vendredi Saint, jour où Notre Seigneur meurt sur la croix, j’ai pensé qu’il était opportun de réfléchir sur la croix elle-même. Une réflexion qui est comme un double regard sur la croix. Ou mieux, la croix vue sous deux perspectives.

I. La première est la perspective la plus commune   à laquelle nous sommes habitués.

      Il s’agit de voir le signe même de la croix, qui en ayant porté sur elle le Fils unique de Dieu, nous montre avec son pied qu’elle ferme les portes de l’enfer. Grâce à la croix, les hommes peuvent avoir l’espérance du salut ; et c’est pourquoi saint Jean dit : « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn. 3, 17-18). Et l’apôtre saint Paul, dans sa lettre à Timothée, nous dit comment Dieu veut le salut de tous les hommes : « Dieu notre Sauveur, dit-il, veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » ( 1 Tim. 2 , 3-4). Et il insiste sur cette idée dans la lettre aux Colossiens : « Vous étiez des morts, parce que vous aviez commis des fautes et n’aviez pas reçu de circoncision dans votre chair. Il a effacé le billet de la dette qui nous accablait en raison des prescriptions légales pesant sur nous : il l’a annulé en le clouant à la croix. Ainsi, Dieu a dépouillé les Puissances de l’univers ; il les a publiquement données en spectacle et les a traînées dans le cortège triomphal du Christ » (Col. 2, 13-15). La croix est le triomphe sur la puissance du mal et sur l’enfer, sur les principautés et les puissances qui sont dépouillées. Il meurt sur la croix pour nous fermer l’enfer.

      En plus, si nous regardons la croix, nous voyons que non seulement elle ferme l’enfer avec son pied, mais qu’elle ouvre aussi le ciel avec sa tête. Jésus meurt sur la croix pour nous ouvrir le ciel. C’est ce que note l’Apôtre dans différents passages : « C’est par grâce que vous avez été sauvés, dit-il dans la lettre aux Éphésiens, et qu’Il nous a ressuscités et assis au ciel en Jésus-Christ » (Eph. 2, 6). Et le premier Pape, Pierre, nous dit qu’« il nous a fait renaître pour un héritage incorruptible (le ciel), intact et qui ne se flétrit pas, qui vous est réservé dans le ciel » (1 Pierre 1, 4). De telle sorte que, spécialement en cette Année Sainte du grand Jubilé de l’Incarnation du Verbe, nous devons nous rappeler que tel est l’objectif de l’Incarnation du Verbe. Il se fait homme dans le sein de la Vierge pour avoir un corps, pour pouvoir ensuite le porter à la croix puis nous sauver. Pierre continue en disant : « ayant accompli le but de votre foi, le salut des âmes » (1 Pierre 1,9). Et saint Paul à ceux de Corinthe : « La doctrine de la croix du Christ est une folie pour ceux qui périssent, mais elle est une puissance de Dieu pour ceux qui se sauvent » (1 Co 1, 18). Il meurt sur la croix pour nous ouvrir le ciel.

      Nous ne devons jamais oublier cette grande vérité. C’est notre destinée ultime : la vie éternelle. Dans ce monde, nous sommes de passage. Certains passent avant, d’autres après ; certains avec beaucoup de souffrances, d’autres avec peu. Cependant, ce qui compte ici importe peu, voire rien, si nous n’en profitons pas pour acquérir des mérites pour la vie éternelle. « Il est vrai et digne d’être reçu de tous que le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dit saint Paul, dont je suis le premier » (1 Tim. 1, 15). Le Christ n’est pas venu pour les justes mais pour les pécheurs, comme Il l’a dit lui-même à maintes reprises et de tant de manières.

      Et en plus, en voyant les bras de la croix, nous comprenons comment le Christ se fait homme et meurt sur la croix, pour tous. Il y avait une hérésie, celle de l’évêque Jansénius, qui disait que le Christ était mort pour peu. Ils ( les jansénistes)  se caractérisaient par le fait de sculpter le Christ crucifié non pas avec les bras ouverts, comme ils sont normalement, grands ouverts, mais avec les bras presque fermés, ce qui implique qu’Il est mort pour quelques-uns… Mais non ; Il est mort pour tous, pour tous les hommes et toutes les femmes. Sans exclure personne, pour tout le monde. Pour les sages et pour les ignorants ; pour les riches et pour les pauvres ; pour les bons et les mauvais ; pour tous. C’est pourquoi nous ne devons jamais exclure personne, car le Christ est mort pour tous. Parfois, on entend des critiques selon lesquelles certains des jeunes qui viennent au Patronage ne sont pas des saints, il semble même que certains soient des criminels… Et qui va s’occuper d’eux, sinon nous ? Le Christ n’est-il pas mort pour eux aussi ? Ce jeune homme à qui on a appris à commettre des crimes chez lui et qui vit de ses crimes risque de finir en prison. Mais l’attention qui lui était autrefois accordée au Patronage a une immense valeur. Un jour peut-être il tombera malade, il ira à l’hôpital, et voyant passer une petite religieuse, il dira : « Ah, j’allais au Patronage du Séminaire ! « Pourquoi le prêtre ne vient-il pas pour que je puisse me confesser ? Et il sauve son âme ! C’est de ça qu’il s’agit. Non pas qu’ils soient ici dans ce monde et qu’ils se comportent bien (il faudrait qu’ils se comportent bien) ; mais leur âme est bien plus grande que tout le reste, parce qu’elle a une valeur en quelque sorte infinie, puisque le sang du Christ, qui a une valeur infinie, a été versé pour eux aussi.

      C’est pourquoi il ne faut pas oublier, dit saint Jean, qu’« Il est victime de propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier » (1 Jn 2, 2). Christ est mort pour tous. C’est pourquoi un poète dit magnifiquement :

      Jésus ​​​​​​meurt au sommet du Golgotha

      avec amour, pardonnant à ceux qui l’ont blessé :

      Le cœur de Marie est brisé

      de douleur dans l’immense tristesse.

      La foule s’éloigne de peur

      la sainte prophétie déjà accomplie ;

      la terre tremble ; le luminaire du jour,

      aveuglé par tant d’horreur, perd sa lumière.

      Les tombeaux s’ouvrent, le voile se déchire

      et, sous l’impulsion d’un amour grand et fécond,

      il semble y avoir la croix, signe de deuil,

      fermant, auguste, avec le pied, le profond,

      avec la tête haute ouvrant le ciel

      et avec les bras, embrassant le monde.

      II. Deuxièmement, la deuxième perspective ou le deuxième regard sur la croix.

       Jean Paul II dit : « La Croix, qui semble se lever de terre, en réalité pend du ciel, comme le geste divin d’embrasser l’univers »[1]. Il n’est pas courant de penser de cette façon. C’est une autre vision ; une vision très intéressante. Parce que nous voyons toujours raisonnablement que la croix s’élève de terre. Mais nous ne réalisons pas que ce fait que la croix se soulève physiquement de la terre est dû au fait qu’en réalité cette croix est suspendue du ciel. Ainsi, dans les Évangiles, par exemple, lorsque Notre-Seigneur est baptisé au Jourdain ou transfiguré sur le mont Thabor, le Père fait entendre sa voix en s’adressant à son Fils : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, écoutez-le » ( Mt 3, 17; 17,5; Mc 9,7; Lc 9,35; 2 Pe 1,17). Très aimé ! Jésus n’est aimé d’une certaine façon, mais Il est très aimé du Père céleste. Et il est également intéressant de réaliser que le Père céleste, de la même manière, nous aime dans le Fils. Quand le Père voit que nous sommes malades, que nous souffrons, que nous avons des difficultés, Il nous voit suspendus à la croix, comme Il a vu son Fils bien-aimé suspendu à la croix. C’est pourquoi saint Jean dit : « le Père aime le Fils » (Jn 3, 35). Et saint Paul : « Il nous a placés dans le Royaume de son Fils bien-aimé » (Col. 1, 13). Et à travers le Christ, Il nous aime tous, comme le prouve l’Évangile de saint Jean : « Dieu a tant aimé le monde », tant !, « Dieu a tant aimé le monde qu’Il a donné son Fils unique pour que tous ceux qui croient en lui ne meurent pas, mais qu’ils aient la vie éternelle » (Jn 3, 16-17). Tant…!

      Et c’est aussi l’apôtre saint Jean qui se souvient de la phrase sans équivoque de Jésus : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour” (Jn 13,1). Ce n’est pas n’importe quel amour, c’est un amour semblable à l’amour du Père pour Lui et l’apôtre saint Paul : « celui qui n’a pas épargné son propre Fils (il n’a pas épargné son propre Fils !), mais qui l’a livré pour nous tous, comment ne pourrait-il pas nous donner toutes choses avec lui » (Rom. 8 , 32). Et l’amour du même crucifié pour chacun de nous : « ayant aimé les siens, Il les aima jusqu’au bout » (Jn 15, 9), jusqu’à l’extrême, jusqu’à ne plus pouvoir donner davantage. « Mais dans toutes ces choses (dans la tribulation, la détresse, la persécution, la famine), nous avons vaincu grâce à Celui qui nous a aimés. » C’est pourquoi, en ce jour, en regardant la croix et en voyant que cette croix est réellement suspendue du ciel, à cause de l’amour du Père pour nous, apprenons à aimer. Nous avons placé un panneau au pied de la croix qui dit : « C’est ainsi qu’on aime ». Je l’ai vu au couvent de San Diego, à Quito. La fondatrice des sœurs qui sont là l’a fait placer et cela a fortement retenu mon attention. Parce que ce sont trois mots ( Así se ama, en espagnol), mais comme c’est bien dit et comme le signe est bien placé au pied de la croix ! : « C’est ainsi qu’on aime. » C’est ainsi qu’on aime, comme aime notre Père céleste ; comme le Fils aime. Comme ça ! Pas autrement !

      De quelle manière « c’est ainsi… » ? Tout d’abord, donner le meilleur de soi-même. Comme le Père, qui donne le meilleur de Lui, qui est le Fils. Ne pas « donner des choses », comme cela arrive parfois. Certains pensent qu’en donnant de l’argent ou des choses matérielles ils donnent le meilleur. Ce n’est pas le meilleur ; le mieux, c’est chaque personne, c’est se donner soi-même. Donner de son temps, savoir dialoguer, savoir partager. Donner le meilleur de soi, c’est aimer. Et donner le meilleur de soi signifie toujours, quand l’amour est vrai, sacrifice, don de soi et dévouement généreux ; mort à soi-même, à ses goûts, à ses opinions, à ses projets, au temps qui nous est si précieux.

      « C’est ainsi qu’on aime ». Si cet amour existe, il est pétri du pardon : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23 :34). Cet amour est pétri de confiance en l’autre et c’est un amour qui offre confiance. Il croit que l’autre peut s’améliorer, qu’il peut sortir du trou ; croit que l’autre peut vraiment être sanctifié, qu’il peut accéder à la vie éternelle. Comme le fait Dieu le Père, comme le fait Notre Seigneur Jésus-Christ. « C’est ainsi qu’on aime »

       « C’est ainsi qu’on aime ». Un proverbe africain dit joliment : « le fils est comme la hache, même si l’on se coupe avec, on la porte à nouveau sur son épaule ». Cet amour, quand il est vrai, pardonne encore et encore et encore ; et il a confiance et croit qu’il peut y avoir un changement. Et même si on est blessé, comme lorsque vous vous coupez avec la hache (mais la hache est nécessaire pour abattre des arbres), on la porte à nouveau sur son épaule. C’est l’amour. C’est ainsi qu’on aime!

       Demandons à la Sainte Vierge la grâce de comprendre toute cette profondeur et cette richesse de l’amour de Dieu pour nous, de l’amour de Jésus-Christ pour nous et comment nous devons apprendre cette leçon pour aimer de la même manière. Parce que c’est la seule façon d’aimer !

      + P. Carlos Miguel Buela IVE

      Fondateur de la Famille Religieuse du Verbe Incarné


      [1] Message du Pape aux jeunes à l’occasion des XVe Journées Mondiales de la Jeunesse. 29 juin 1999.