Homélie pour le Dimanche XII, année B du temps ordinaire (Mc 4, 35-41)
L’évangile de ce dimanche nous parle de la tempête et de la mer apaisées par le Seigneur qui quelques minutes avant de faire le miracle, dormait dans la barque. Notre Seigneur se révèle comme le maître de la création, surtout pensons que la mer et les phénomènes climatiques étaient ce que l’homme n’a jamais pu contrôler, ce qui échappe vraiment à notre domaine.

Cet épisode de l’évangile a été souvent interprété par les pères de l’Eglise et plusieurs saints, comme l’image de notre vie dans ce monde, secouée par les épreuves et les difficultés, mais aussi par les tentations. C’est aussi une image de l’Eglise et de sa vie tout au long de l’histoire dans ce monde, elle aussi toujours attaquée par les vagues du mal qui semblent l’engloutir, mais qui porte en elle le Christ, gage de son triomphe.
Nous allons partager deux petits commentaires de saint Augustin sur l’évangile de ce dimanche. Bien qu’il ait vécu, il y a plus d’un millénaire, sa pensée est toujours actuelle, car les saints sont nos contemporains.
Dans le premier des commentaires, le grand père de l’Eglise fait une belle application de l’image de la barque à notre âme, lorsque nous sommes tentés de penser que Dieu nous abandonne au milieu du mal dans ce monde :
« Nous aussi nous naviguons sur un lac où ne manquent ni vent ni tempêtes ; les tentations quotidiennes de ce monde submergent presque notre barque.
D’où cela vient-il, sinon de ce que Jésus dort ? Si Jésus ne dormait pas en toi, tu ne subirais pas ces tempêtes, mais tu jouirais d’une grande tranquillité intérieure, parce que Jésus veillerait avec toi.
Que veut dire ceci : ‘Jésus dort ?’. Cela signifie que ta foi en Jésus est en sommeil (endormi). Les tempêtes du lac se soulèvent : tu vois prospérer les méchants et les bons souffrir ; c’est une tentation, un choc des flots. Et tu dis dans ton âme : « O Dieu, est-ce donc là ta justice, que les méchants prospèrent et que les bons soient abandonnés à la souffrance ? » Et Dieu te répond : ‘Est-ce donc là ta foi ? Que t’ai-je promis en effet ? Est-ce que tu t’es fait chrétien pour réussir en ce monde ? Tu es tourmenté par le sort des méchants ici-bas, alors que tu ne connais pas leur sort dans l’autre monde ?’

D’où vient que tu parles ainsi et que tu sois secoué par les flots du lac et par la tempête ? C’est que Jésus dort, je veux dire que ta foi en Jésus s’est endormi dans ton cœur.
Que feras-tu pour être délivré ? Et saint Augustin conclut en disant : Réveille Jésus et dis-lui : ‘Maître, nous sommes perdus’. Les incertitudes de notre traversée du lac nous troublent ; nous sommes perdus. Mais lui s’éveillera c’est-à-dire que ta foi reviendra en toi ; et avec l’aide de Jésus, tu réfléchiras en ton cœur et tu remarqueras que les biens accordés aujourd’hui aux méchants ne dureront pas. Ces biens leur échappent pendant leur vie ou ils devront les abandonner au moment de leur mort. Pour toi, au contraire, ce qui t’est promis te restera pour l’éternité… Tourne donc le dos à ce qui tombe en ruine, et tourne ton visage vers ce qui demeure. Quand le Christ se réveillera, la tempête ne secouera plus ton cœur, les flots ne submergeront pas ta barque, parce que ta foi commandera aux vents et aux flots, et que le danger disparaîtra. » (Les Discours sur les psaumes, Psaume 25).
Dans le deuxième commentaire, saint Augustin applique l’image à la vie de l’Eglise, mais il fait aussi référence à notre âme, lorsqu’elle est tentée de se laisser emporter par la tempête de la colère, de la haine et de la vengeance :

« Je vais avec la grâce du Seigneur, vous entretenir de la lecture du saint Evangile que vous venez d’entendre, et avec sa grâce encore vous exciter à ne pas laisser la foi sommeiller dans vos cœurs en face des tempêtes et des vagues de ce siècle.
Si le Christ notre Seigneur a été réellement le maître de la mort, n’a-t-il pas été aussi le maître du sommeil ? Serait-il vrai que le sommeil ait accablé malgré lui le Tout-Puissant sur les flots ? Le croire serait une preuve qu’il dort en vous.
S’il n’y dort pas, c’est que votre foi veille; car l’Apôtre enseigne que par ‘la foi le Christ habite en vos cœurs’ (Eph. 3,17).
Le sommeil du Christ signifie donc aussi quelque mystère. Les navigateurs figurent les âmes qui traversent le siècle, appuyées sur le bois sacré (la croix). La barque du Sauveur représente aussi l’Eglise, car chaque fidèle est comme le sanctuaire de Dieu; et le cœur de chacun est comme une petite barque préservée du naufrage si elle est occupée (chargée) de bonnes pensées.
Tu as entendu une parole outrageuse, c’est un coup de vent; tu t’irrites, c’est le flot qui monte. Or quand le vent souffle, quand le flot s’élève, le vaisseau est en péril, ton cœur est exposé, il est agité par la vague.
Tu désires te venger de cette injure, tu te venges en effet; tu cèdes ainsi sous le poids de la faute d’autrui et tu fais naufrage. Pourquoi? Parce que le Christ sommeille dans ton âme. Qu’est-ce à dire: le Christ sommeille dans ton âme? C’est-à-dire que tu l’oublies ! Réveille-le donc, rappelle son souvenir, que le Christ s’éveille en toi; arrête la vue sur lui.
Que prétendais-tu? Te venger. Tu oublies donc qu’au moment où on le crucifiait il disait: ‘Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font’ (Lc.23,34)? Celui qui dort dans ton cœur n’a point voulu se venger.
Réveille-le, pense à lui. Son souvenir, c’est sa parole ; son souvenir, c’est son commandement. Et quand il sera éveillé en toi tu diras : ‘Qui suis-je pour vouloir me venger ? Qui suis-je pour menacer un homme comme moi ? Peut-être mourrai-je avant de m’être vengé. Et lorsque haletant, enflammé de colère et altéré de vengeance je quitterai mon corps, je ne serai pas reçu par Celui qui a refusé de se venger, je ne serai pas reçu par Celui qui a dit : ‘Donnez et on vous donnera ; pardonnez et on vous pardonnera’. Aussi vais-je apaiser mon irritation et revenir au repos du cœur. Le Christ alors a commandé à la mer, et le calme s’est rétabli.
Ce que j’ai dit de la colère, appliquez-le exactement à toutes vos tentations. Une tentation se fait sentir, c’est le vent qui souffle ; tu t’émeus, c’est la vague qui s’élève. Réveille le Christ, qu’avec toi il élève la voix. ‘Qui est-il pour que même le vent et la mer lui obéissent ?’ Qui est-il, puisque la mer lui obéit ? La mer est à lui, c’est lui qui l’a faite . Tout a été fait par lui.
Toi (chrétien) surtout imite les vents et la mer, obéis à ton Créateur. La mer s’incline à la voix du Christ, et tu restes sourd ? La mer s’arrête, les vents s’apaisent, et tu souffles encore ? Qu’est-ce à dire ? Parler, réagir, protester encore, n’est-ce pas souffler toujours et refuser de s’arrêter devant l’ordre du Christ ?

Que les flots ne vous submergent pas en troublant votre cœur. Si néanmoins, comme nous sommes des hommes, si le vent nous abat, s’il altère les affections de notre âme, ne désespérons point ; réveillons le Christ, afin de poursuivre tranquillement notre navigation et de parvenir à la patrie. »
Demandons cette grâce à la très sainte Vierge Marie et à saint Augustin.
P. Luis Martinez IVE.