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“L’Eglise, peut-elle nous trahir?” Deuxième Partie

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3. Une histoire incroyable

Groeschel apporte « « une histoire incroyable » comme il l’intitule lui-même. C’est l’histoire d’un évêque qui a été « terriblement blessé par l’Église pendant 30 ans et qui a vécu à New York : Bonaventure Brodrick[1]. Il a été vicaire des religieux de l’archidiocèse de New York de 1940 à 1943. Mgr Brodrick, cependant, a gagné sa vie pendant la majeure partie de son existence en gérant une station-service. Jusqu’à l’arrivée des nouvelles stations-service ultramodernes, il y avait un joli petit gadget au bout de la pompe qui provoquait l’arrêt automatique de l’essence lorsque le réservoir était plein. Cet artefact a été inventé et breveté par l’évêque Bonaventure Brodrick. Il vivait en partie de ce qu’il gagnait grâce à cette invention.

Cette histoire remonte à l’époque qui a suivi la guerre hispano-américaine au cours de laquelle les États-Unis ont occupé Cuba. Pour une raison quelconque, il a été décidé de nommer comme évêque auxiliaire de La Havane un prêtre américain, jusque-là, le père Brodrick. L’évêque Brodrick est allé à Cuba, et peu de temps après, les Cubains ont décidé qu’ils ne voulaient pas d’un évêque américain. Alors ils l’ont renvoyé à New York, mais personne n’avait besoin d’un évêque auxiliaire. L’archidiocèse a donc dû lui trouver un emploi. Il a été chargé de la quête annuelle pour le Saint-Siège, mais personne ne voulait d’un évêque à ce poste, il s’est donc retrouvé sans emploi. Après une longue attente, il a écrit une lettre suggérant qu’il pourrait être scandaleux qu’un évêque soit sans emploi. La réponse est venue : « Attendez ». Et il a attendu. Pour gagner sa vie, il a ouvert une station-service.

Des décennies plus tard, Francis Spellman a été nommé archevêque de New York. Selon l’histoire, le pape Pie XII lui a demandé de se renseigner sur ce qui était arrivé à l’évêque Brodrick. Personne dans l’archidiocèse n’avait la moindre idée de ce qu’il était devenu, mais ils ont trouvé une ancienne adresse dans une ville du nord de l’État de New York. L’archevêque Spellman est allé en voiture, se rendant à cette adresse. C’était une station-service. Quand il est arrivé, il est descendu et a demandé au jeune homme qui travaillait à la station : « À qui appartient cette station-service ? Le jeune homme répondit « à Doc Brodrick ». L’archevêque demande ensuite où il habitait. Le jeune homme indiqua une petite maison près de là. Le futur ‘Cardinal Spellman’ s’y rendit et frappa à la porte, et un vieil homme vêtu d’une combinaison en sortit. « L’évêque Brodrick ? » L’homme répondit : “Oui.” Il a dit : « Je suis l’archevêque Spellman et je suis venu voir si je peux faire quelque chose pour vous ». A quoi le vieil homme répondit : « Entrez, je vous attends depuis trente ans. » L’archevêque Spellman le nomma évêque auxiliaire de New York et vicaire pour les religieux. « Je ne connais personne d’autre qui ait été aussi blessé par l’Église », dit le père Groeschel.

La question évidente est comment l’Église du Christ peut-elle nous décevoir ? Comment cela peut-il arriver dans l’Église fondée par le Christ ? Si l’Église est censée nourrir et garder notre foi, comment se fait-il qu’elle constitue elle-même une épreuve pour notre foi ? La réponse se trouve dans l’Evangile. Il suffit de regarder ce qui est arrivé aux apôtres : ils ont abandonné le Christ quand il avait le plus besoin d’eux. Le jour même où il les a faits ses ministres sacrés, ils se sont enfuis de lui. Chaque année, le jeudi saint, nous célébrons le jour du sacerdoce catholique. Et si nous y réfléchissons, c’est aussi le jour où les premiers prêtres ont terriblement déçu le Christ. Le soir même où ils ont été institués « alter Christus », le même soir, ils se sont enfuis. Cela ne nous dit-il pas quelque chose sur « l’Église » ? (c’est-à-dire des hommes d’Église). Nous l’avons déjà mentionné, l’Église catholique est composée de plus de mil milliard de personnes avec péché originel[2]. C’est déjà beaucoup de péché. Et ces gens font des choses extraordinairement bonnes, et certains d’entre eux font des choses extraordinairement mauvaises. Ce n’est que dans la vie éternelle que les membres de l’Église sont parfaits et reflètent avec cette même perfection ce qu’est réellement l’Église, Corps mystique du Christ, comme le dit saint Paul, sans tache ni ride [3]. Ce n’est pas le cas de ceux d’entre nous qui sont encore des voyageurs ou des pèlerins.

Ce monde est plein de situations qui sont tout simplement absurdes, et nous nous référons ici au monde des croyants et des non-croyants. « Dans ma vie – dit le P. Groeschel – j’ai rencontré des jésuites insensés, des dominicains confus, des capucins orgueilleux, des franciscains riches et des salésiens qui ne supportaient pas les enfants. J’ai rencontré des Sœurs de la Miséricorde sans pitié, des Missionnaires de la Charité sans charité et des Filles de la Sagesse stupides. […] Allez visiter Rome. On dit que c’est la ville où prient les communistes et pas les prélats. Tout dans ce monde est un peu en désordre, et parfois il vaut mieux rire que pleurer. Lorsqu’on pense que tout est parfait et planifié dans la vie, il manque sûrement des pièces importantes du puzzle. Parce que la vie est mystérieuse »[4].

4. Alors, que faire ?

La grande majorité d’entre nous – au niveau de l’Institution et au niveau personnel – s’est un jour sentie trompée et peut-être même « trahie » par « l’Église », c’est-à-dire par des membres de l’Église, comme nous l’avons expliqué. Et quand cela arrive, la première chose à faire est de se calmer. C’est une très bonne règle à garder à l’esprit lorsque nous sommes blessés par quelqu’un : le supérieur, le sacristain, la dame de la Légion de Marie, le confrère en mission, le secrétaire de l’évêque, bref, n’importe qui. Les irlandais ont un dicton qui dit : « Prenez conseil avec votre oreiller ». Et une fois que nous sommes calmes, on se demande : Dois-je vraiment créer un problème pour cela ? N’attends-je pas beaucoup des êtres mortels et faillibles comme moi ? Est-ce bien légitime ce que je recherche ou attends de ces hommes d’Église ? La réponse est très probablement « oui ». Et très probablement, c’est raisonnable et même juste. Mais, le fait est que je ne peux pas « exiger » un traitement absolument gentil, respectueux ou attentif car le Christ lui-même ne l’a pas eu dans les premiers membres de la même Église qu’il a établie. De plus, Jésus-Christ lui-même nous a avertis : « dans le monde, vous aurez à souffrir »[5].

D’autre part, selon Sainte Catherine de Sienne « nous devons nous considérer comme “ceux qui méritent toutes les afflictions” »[6]. Eh bien, parmi ces afflictions, il y a aussi les mauvais traitements, l’injustice, les injures, les soupçons injustifiés, le fait de dire du mal de nous, la mauvaise interprétation de nos intentions, l’humiliation de la part de ceux qui devraient précisément nous aider, l’opposition ou l’obstruction à tous nos projets… et chacun pourrait ajouter quelque chose à la liste.

Nous l’avons déjà dit : l’Église est composée d’individus faibles et faillibles comme nous. Et par conséquence, les membres de l’Église peuvent être très bons un jour et très mauvais le lendemain. Il arrive qu’on peut trouver parfois le même jour et dans la même paroisse, dans le même diocèse, dans le même bureau du Vatican, des gens incroyablement charitables et d’autres terriblement cruels.

De plus, c’est vrai, et nous le mentionnons afin de pouvoir également éduquer les autres à ce sujet, ces « déceptions » de la part de « l’Église » sont nécessaires pour purifier notre foi. Beaucoup – vraiment beaucoup – ont été éduqués dans des écoles catholiques, ont fait des Exercices Spirituels, sont allés en mission à tel ou tel endroit, et ils ont très bien réussi. Nous-mêmes avons été aidés par beaucoup dans l’Église et l’expérience a été extrêmement positive et pleine d’espoir, et c’est très bien. Mais il ne faut pas penser que ce sera toujours le cas. Toutes les choses terrestres passent. Et de même que lorsque nous éprouvons une consolation, nous devons appliquer la 10e règle de discernement de saint Ignace pour la première semaine d’exercices spirituels lorsque nous sommes consolés par « l’Église » : « celui qui est dans la consolation pense comment il sera dans la désolation qui viendra plus tard, prenant alors des nouvelles forces ». Ces épreuves sont permises par Dieu pour que nous l’aimions davantage et que nous valions davantage. Nous dépendons de Dieu, non d’une personne, d’un organisme, d’une section de l’Église, mais de Jésus-Christ, le Verbe Incarné lui-même.

Combien de fidèles, de religieux, combien de prêtres s’affligent trop par « les contradictions des bons» – et bien que leur inquiétude soit justifiée – tombent dans la tentation de ne voir que le mal « qu’ils nous font » ou combien « l’Église est mauvaise » pour arriver à perdre de vue la forêt des choses qui sont bonnes, ce qui conduit à la terrible expérience de se sentir trompé ou grandement déçu. C’est un problème, une tentation contre la foi dans l’Église, Corps Mystique du Christ indissolublement uni à son Chef, qui l’a épousée[7]. Lorsque cette tentation s’approche des portes de notre âme et que la foi soit plus éprouvée, il convient de relire ce passage d’une des lettres de saint Jean de la Croix où il dit : « Que voulez-vous ? Quelle vie ou manière de procéder se dessine-t-elle dans cette vie ? […] qu’y a-t-il d’autre à faire que d’aller sur le simple chemin de la loi de Dieu et de l’Église, et de ne vivre que dans une foi sombre et vraie (et une certaine espérance et une entière charité, et attendre) désirant nos biens d’en haut, vivant ici comme des pèlerins, pauvres, exilés, orphelins, secs, sans chemin et sans rien, attendant tout là-bas ? »[8].

Le cas de saint Jean de la Croix est vraiment paradigmatique et exemplaire. Après avoir entamé la réforme carmélitaine sous la direction de sainte Thérèse d’Avila, sa vie « donne l’impression d’un homme continuellement déplacé et marginalisé. Un pèlerinage continu dans la solitude : « banni et seul », comme il disait dans une lettre de 1581 à mère Catalina de Jésus de Baeza »[9].

À ce jour, le crime spécifique dont le frère Jean de la Croix a été accusé et pour lequel il a reçu le traitement indiqué dans les Constitutions pour les « criminels du délit de rébellion », est ignoré, mais très probablement parce qu’il était jugé complice de la rébellion des religieuses de l’Incarnation lorsqu’elles ont élu Sainte Thérèse comme prieure contre l’indication et le mandat du provincial qui a présidé l’élection. Beaucoup d’entre vous savent déjà que pendant son incarcération à Tolède, on le descendait au réfectoire, étant là les frères, trois ou quatre fois, pour qu’il y reçoive la discipline (être fouetté par eux). Après s’être évadé de la prison de Tolède, parlant avec sœur Ana de San Bartolomé, de la prison injuste, le saint a déclaré : « Quand Dieu veut faire des saints, il prend comme bourreaux des frères eux-mêmes ou des enfants avec les parents pour pouvoir le faire. Et dans ces temps, il a utilisé ces moyens, comme cela est évident »[10].

Ce n’est pas pour rien que saint Joseph de Calasanz enseignait « Malheur aux supérieurs qui détruisent avec leur exemple ce qu’ils prêchent par leur parole ! »[11], et on peut en dire autant de n’importe quel sujet. Car « tout anti-témoignage, toute incohérence entre la manière dont les valeurs ou les idéaux sont exprimés et la manière dont ils sont effectivement vécus, toute recherche de soi et non du Royaume de Dieu et de sa justice[12], toute falsification de la parole de Dieu, bien souvent démoralise, scandalise et rend difficile la persévérance des autres.

Même ainsi, saint Jean de la Croix n’a jamais eu rancune contre le prieur. En effet, lui-même, en tant que quelqu’un qui a subi la purification et l’abandon des supérieurs, écrira plus tard dans la troisième mise en garde contre le monde, qui peut très bien s’appliquer à tout membre ou secteur de l’Église, et qui nous aide à savoir comment nous conduire dans ces cas dont nous parlons : « ne te scandalise non plus jamais ni ne t’étonne de choses que tu vois ou entends, veillant toi à garder ton âme en oubli de tout cela. Parce que si tu veux regarder à cela, quoique tu vives avec des anges, beaucoup de choses ne te paraîtront pas bonnes, car toi tu n’en pénètres pas la substance[…]. [Et] même si tu vivais avec des démons, Dieu veut que tu vives avec eux de telle manière, que tu ne tournes pas la tête de ta pensée vers leurs affaires, mais que tu les laisses totalement, essayant toi de garder ton âme pure et entière en Dieu, sans qu’une pensée de ceci ni de cela t’en empêche.»[13]. Et dans la seconde précaution contre le diable il dit : « jamais tu ne regardes le supérieur d’un œil moindre que Dieu, car tu l’as en sa place. Et ainsi, veille avec une grande vigilance à ne regarder ni à son humeur, ni à sa façon, ni à son talent, ni à ses autres façons de procéder ; car tu en recevras un si grand détriment que tu en viendras à changer l’obéissance de divine en humaine, en te portant ou ne te portant pas à obéir d’après les façons visibles que tu verras dans le supérieur et non selon le Dieu invisible que tu sers en lui. Et ainsi ton obéissance sera vaine et d’autant plus infructueuse que tu t’attristes davantage de l’humeur fâcheuse de ton supérieur, ou que tu te réjouisses plus de sa bonne humeur. »

Il y a plus qu’un grain de vérité dans tout ce que dit le Maître de Fontiveros. Car souvent, ce sont les gens que nous aimons qui nous font le plus de mal. Ceux que nous n’aimons pas ne peuvent pas nous faire beaucoup de mal. Et donc nous ne devons pas croire que nous sommes exempts de blesser les autres. Sur cela, nous devons faire la remarque des dommages causés par les commérages parmi les membres d’une communauté, comme nous l’apprend saint Marcellin Champagnat  : «  Le frère diffamé devant ceux du monde, peut se consoler de la satisfaction qu’il éprouve de jouir de l’appréciation et de la confiance de ses confrères ; mais s’il est dénigré parmi les siens, parmi ceux avec qui il est forcé de vivre, la vie en communauté lui devient insupportable, à moins qu’il ne soit doué d’une vertu extraordinaire »[14].

Le conseil du Docteur Mystique signifie-t-il que nous devons renoncer au sens moral, renoncer à discerner entre le bien et le mal moral ? Non. « A aucun moment du message évangélique, le pardon, pas même la miséricorde comme sa source, ne signifie indulgence pour le mal, pour le scandale, l’injure ou l’outrage commis »[15]. « S’ils me font une injustice, je dois voir que c’est une injustice ; ce qu’il ne faut pas faire, c’est condamner immédiatement l’autre à l’enfer. […] Avant d’accorder confiance ou méfiance à une personne, il faut réfléchir ; et pour cela il faut suspendre le jugement, ne pas le précipiter ; c’est-à-dire qu’il faut être prudent »[16].

Saint Jean de la Croix n’est pas mort comme quelqu’un amer ou triste, même si après avoir été le premier conseiller général de l’ordre, ses frères – ceux à qui il avait lui-même donné l’habit – l’ont sérieusement discrédité. Personne ne l’a défendu. Le même supérieur du couvent de « La Peñuela » où il est allé mourir, a retiré de son travail le frère infirmier qui l’accompagnait avec le prétexte qu’il n’aimait pas l’attention que ce frère avait avec frère Jean. Puis toujours ce même supérieur interdit aussi aux religieux de visiter souvent le père Jean de la Croix, pour que « le recueillement et le silence » ne manquent pas et il ne fit que se plaindre de la pauvreté du couvent, disant : « et en plus on m’amène ce malade (en référence à saint Jean de la Croix) ».

Je suppose qu’on peut dire que « l’Église » – ou cette petite partie de l’Église qui lui était la plus importante et la plus chère – l’a déçu ou, d’une certaine manière, l’a trahi. Le saint souffrit tellement qu’on pourrait bien dire que sa vie religieuse fut un martyre, aussi douloureux que celui qu’il désirait avec tant de ferveur. Mais il resta en paix et c’est ainsi que, pendant ce temps, il écrivit à une religieuse : « Aimez beaucoup ceux qui vous contredisent et ne vous aiment pas, car cela engendre l’amour dans le cœur où il n’y en avait pas ; comme Dieu fait de nous, qui nous aime pour que nous l’aimions par l’amour qu’il a pour nous »[17].

De grands dangers pèsent sur l’Église aujourd’hui. Pour cela, nous devons voir comment sont les choses dans leur perspective réelle. Il y a ceux qui se plaignent de la musique de la messe ou qui s’inquiètent pour les forêts et les plantes ou pour savoir si les frères portent ou non des habits rapiécés, alors que l’Église fait face à un ouragan qui la secoue de toutes parts, face auquel elle ne sera jamais abandonnée parce qu’Elle est indéfectible[18]. Le comportement de ces derniers ressemble à celui de ces passagers qui jouaient sur le pont du Titanic pendant qu’il coulait. C’est un moment où nous devons être fidèles à l’Église. Cela signifie que, comme nous l’avons déjà dit, ce sont des moments merveilleux à vivre. « L’Église est l’incarnation du Christ comme le Christ incarné est l’incarnation de Dieu. […] Le Christ a aimé l’Église et s’est livré pour elle, pour la consacrer, la purifiant avec de l’eau et avec la parole, afin qu’il puisse la présenter toute glorieuse, sans tache ni ride, ni rien de cette sorte, mais plutôt sainte et immaculé. […] Le Christ revit sa vie dans l’Église. […] Nous ne voyons pas plus la beauté cachée dans Son Corps Mystique que nous n’aurions vu la gloire cachée dans Son Corps physique.

Le Corps du Christ est devenu aujourd’hui la cible d’un jeu de fléchettes théologique. Alors que les sécularistes disent que « Dieu est mort », les nécro-ecclésiologues proclament solennellement : « L’Église est morte ». Pour certains, elle trop sainte ; pour d’autres trop humaine; tout comme Caïphe a rejeté le Christ parce qu’Il a affirmé être divin, et Pilate l’a crucifié parce qu’il n’était pas suffisamment un avec César.

[…] La loi du Corps est la loi de la Tête : Crucifixion et Tombeau Vide. […] Maintenant, le christianisme est attaqué. Cela signifie que ce sont des jours merveilleux pour vivre. Maintenant, nous devons nous mettre debout et être comptés parmi ceux qui luttent. Il est facile de flotter au gré du courant. Les cadavres flottent aussi descendant le fleuve au fil de l’eau. Mais il faut des corps vivants pour résister au courant. […] La vraie vie catholique n’est pas faite d’actes de piété routiniers, mais d’une crise qui nous présente un grand choix […] C’est pourquoi ce sont des jours splendides à vivre. Nous pouvons prendre des décisions qui auront un impact dans l’éternité »[19].

5. Travailler pour être du blé

Pour cette raison, nous devons travailler pour être du blé, pas de l’ivraie. De notre côté, nous devons faire tout ce qui est possible pour que le visage de l’Église soit sans tache ni ride ou autre chose semblable, mais sainte et irréprochable[20]. Fidèles au don de Dieu, il faut savoir « fructifier ». Nous devons être attentifs car le Seigneur veut que nous soyons féconds. Nous devons prendre soin du blé mais ne pas perdre la paix à cause de l’ivraie. Le semeur, lorsqu’il voit l’ivraie apparaître au milieu du blé, n’a pas de réactions de plainte ou d’alarme. Trouvons un moyen pour que la Parole s’incarne dans une situation concrète et porte des fruits de vie nouvelle, même s’ils sont apparemment imparfaits ou inachevés. Le disciple sait donner sa vie entière et la risquer jusqu’au martyre en témoignage de Jésus-Christ, mais son rêve n’est pas d’être rempli d’ennemis, mais plutôt que la Parole soit accueillie et manifeste sa puissance libératrice et rénovatrice[21].

Alors apprenons la leçon ! Tous les chrétiens et surtout les prêtres et les consacrés, qu’ils soient encore dans des maisons de formation, dans un monastère ou dans une mission, ont le privilège de côtoyer de nombreuses personnes, dont beaucoup ont des styles de vie différents, des niveaux d’éducation différents, des problèmes différents, et qui viennent chez nous pour différentes raisons. Et c’est vrai qu’il y a des gens plus difficiles que d’autres, tout comme il y a des gens très vertueux et très saints.  En tout cas, pour la plupart d’entre eux, nous sommes le visage de l’Église… et nous ne pouvons pas leur faire défaut. Si nous ne les traitons pas bien, il peut leur sembler que l’Église ne les traite pas bien, si nous ne nous intéressons pas à eux, c’est comme si l’Église ne s’intéressait pas à eux ou à leurs soucis et douleurs ; si nous ne faisons pas notre travail, c’est comme si l’Église ne faisait pas le sien. Nous ne pouvons laisser aucune des âmes qui se présentent aux portes de nos paroisses, de nos missions, de nos monastères, de nos séminaires, de nos couvents, etc. se sentir abandonnée, ignorée, incomprise ou refusée sans explication. Parce que le plus souvent nous traitons avec ce qui est au plus profond de leur âme : leur désir de Dieu… leur foi. Et cela vaut aussi entre nous : nous devons vivre la charité les uns avec les autres jusqu’à donner notre vie pour les autres, comme nous l’exhorte saint Jean : en cela nous avons reconnu ce qu’est l’amour : en ce qu’Il a donné sa vie pour nous. Nous aussi devons donner notre vie pour nos frères[22].

Fulton Sheen a déclaré : « L’amour et le service sont inséparables. Le service aux autres est le service le plus élevé envers soi-même, et la meilleure façon pour tout homme de grandir dans la grâce est de suivre le chemin du service. La roue du moulin cesse de moudre lorsque les eaux du torrent sont coupées ; le train en mouvement s’arrête alors que la chaleur incandescente se refroidit cachée à l’intérieur de la chaudière ; et la charité en ce monde dégénérera en simples horaires professionnels et moyennes statistiques sans inspiration, sans pouvoir et sans amour, si l’on oublie l’inspiration de celui qui a dit : Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis[23] »[24].

C’est pourquoi, en même temps que nous reconnaissons au Souverain Pontife la première et suprême autorité et nous lui professons non seulement obéissance, mais aussi fidélité, soumission filiale, adhésion, nous manifestons aussi notre disponibilité pour le service de l’Église universelle ». Sainte Thérèse d’Avila nous dit comme elle disait à ses sœurs : « Pour cela (le salut des âmes), il vous a réunies ici ; c’est votre vocation et votre désir, c’est la raison de vos larmes et de vos prières… Le jour où vos prières, pénitences, aspirations et jeûnes ne seront pas consacrés à ce que je vous ai dit, vous n’atteindrez pas – sachez-le – la fin pour laquelle que le Seigneur nous a réunis ici »[25].

Ce qui signifie que nos prières, notre sainteté de vie et tout notre travail missionnaire sont dirigés vers le bien de l’Église universelle et particulièrement l’Église dans le lieu où nous accomplissons notre mission et envers lequel nous avons des devoirs et des responsabilités.

C’est pourquoi nous devons contribuer non seulement avec la force de la prière mais aussi avec un dur travail missionnaire à cultiver l’Église locale et à la réjouir avec les fruits d’une foi aimante. Le fait d’être le blé dans l’Église de Notre-Seigneur implique de témoigner de la primauté du Christ, de cette « primauté que le Christ a sur les âmes et les corps des membres de son Corps Mystique et, aussi, sur tous les hommes de tous les âges. Cela implique de témoigner de la primauté de la charité de Dieu où que nous soyons et quelle que soit la fonction qui nous est confiée dans le Corps Mystique du Christ. Et comme nous savons très bien, témoin signifie « martyr » et l’Église est fidèle dans le martyre, dans le témoignage. C’est pourquoi nous devons nous sentir participants de cette mission, surtout lorsque nous devons subir ces revers douloureux de « l’Église » qui nous déconcertent tant, quand les scandales ecclésiaux s’amoncellent à la une des journaux, quand celui que nous attendions pour guider nous laisse encore plus confus et perplexe…

Oui, affirme le P. Groeschel, « l’Église » a blessé ou déçu beaucoup de ses proches tout au long de son existence, non pas toute l’Église, mais une partie de celle-ci, des membres de celle-ci. Cependant, nous ne devons pas oublier que nous faisons partie de l’Église militante, pas de l’Église triomphante. Maintenant, nous nous préparons à cela, pour faire un jour partie de l’Église céleste. Mais si nous ne nous efforçons pas d’être fidèles à l’Église dans ce monde et même d’être fidèles quand les autres ne le sont pas… alors tout ce que nous faisons est inutile, puisque nous ne travaillerons tout simplement pas pour le service et l’honneur de Dieu. Le service de Jésus-Christ est le même que le service de l’Église, qui est le Christ lui-même, prolongé dans l’histoire.

Ce sont des temps difficiles et nous devons être disposés au martyre à cause de la fidélité à Dieu. Parfois nous imaginons que le martyre viendra à nous de manière sanglante, comme les martyrs de Barbastro[26], comme Jerzy Popiełuszko ou saint Maximilien Kolbe. Cependant, que chacun soit convaincu que rester fidèle à l’Église, à son Magistère, à la Tradition vivante de l’Église, au charisme de l’Institut, l’ordre ou congrégation, approuvé par l’Église elle-même aujourd’hui implique sa part – parfois très large – de martyre.

C’est ainsi que l’enseigne saint Jean de la Croix lui-même : « Voici une âme qui est embrasée du désir de souffrir le martyre. Peut-être que Dieu lui dira : Oui, tu seras martyre, et il la remplit intérieurement d’une grande consolation et de la confiance qu’elle sera martyre; or il peut se faire qu’elle ne meure pas martyre, et cependant la prophétie sera très véritable. Mais comment ne s’accomplit-elle pas ainsi que l’âme l’attendait ? Elle s’accomplira dans le sens principal et essentiel qu’elle renfermait. Dieu lui donnera assez d’amour pour qu’elle mérite la gloire essentielle du martyre ; il la fera martyre d’amour, il la fera passer par une suite d’épreuves dont la durée sera plus pénible que la mort, et de la sorte lui conférera véritablement la grâce qu’elle désirait formellement et qu’il lui avait promise. Le désir formel de l’âme, en effet, n’était point d’endurer ce genre de mort, mais de glorifier Dieu par le martyre et de lui témoigner son amour comme on le fait dans le martyre.

Car ce genre de mort en soi n’a aucune valeur, s’il n’est pas accompagné de l’amour de Dieu; et Dieu a d’autres moyens de donner d’une façon beaucoup plu parfaite l’amour, la générosité et le mérite qui sont renfermés dans le martyre. Aussi, bien qu’elle ne meure pas martyre, elle peut être très satisfaite, car Dieu lui a donné ce qu’elle désirait. De tels désirs, en effet, et autres semblables, quand ils proviennent d’un amour ardent, ne se réalisent peut-être pas de la façon que l’on a pensée et imaginée ; mais ils s’accomplissent d’une autre manière qui est bien plus excellente et plus glorieuse pour Dieu qu’on n’aurait su le demander. » [27].

Que la Sainte Vierge, Mère de l’Église et Reine des martyrs, nous accorde la grâce de nous garder de l’ennemi qui nuit et trompe. Il est vrai que nous ne pouvons pas empêcher l’ennemi de faire ses malveillances, mais nous pouvons empêcher que les siennes deviennent les nôtres.

Traduction et adaptation faites par les moines de l’Institut du Verbe Incarné


[1] https://www.catholic-hierarchy.org/bishop/bbrob.html

[2] Il y a actuellement 1,345 million de catholiques inscrits fin 2019, soit 17,7% de la population mondiale.

[3] Eph. 5, 27.

[4] Cf. Arise from Darkness, chap. 4.

[5] Jean 16, 13.

[6] Sainte Catherine de Sienne, « Le Dialogue », in Œuvres, c. 100.

[7] Cf. Eph. 5, 25-32.

[8] Lettres, Lettre 19, à Doña Juana de Pedraza, à Grenade Ségovie, 12 octobre 1589.

[9] José Vicente Rodríguez en « Saint Jean de la Croix – La biographie ». Épilogue.

[10] José Vicente Rodríguez en « Saint Jean de la Croix – La biographie », chap. 14.

[11] Saint Joseph de Calasanz, Vie, 31, sentence 46.

[12] Cf. 2 Cor. 4, 2.

[13] Troisième précaution contre le monde, 3,8-9.

[14] Saint Marcellin Champagnat, Chroniques de l’Institut des Frères Maristes, “Sentences, Enseignements et Avertissements”.

[15] Dives in Misericordia, 14.

[16] Leonardo Castellani, Sermons du dimanche II, Dimanche V après l’Épiphanie.

[17] Lettre 33, à une carmélite déchaussée, à Ségovie Úbeda, fin 1591.

[18] Cf. Mt 16, 18.

[19] Those Mysterious Priests, chap. 10.

[20] Ef 5, 27.

[21] Cf. Evangelii Gaudium, 24.

[22] 1 Jn 3, 16.

[23] Jn. 15, 13.

[24] Way to Happiness, chap. 45.

[25] Sainte Thérèse de Jésus, Chemin de perfection, 1, 4-5. 3, 10.

[26] Un séminaire martyr, 51 religieux (prêtres, frères et séminaristes) assassinés pendant la guerre civile espagnole, 1936. Proclamés « bienheureux » par saint Jean Paul II en 1992.

[27] Saint Jean de la Croix, Montée du Mont Carmel, Livre 2, chap. 19, 13.

“L’Eglise, peut-elle nous trahir?” Première Partie

De temps en temps, les gens tombent sur de faux dollars, et pourtant nous n’entendons personne dire que la monnaie américaine ne vaut rien. Les astronomes ont vu des taches sur le soleil, cependant, nous n’avons jamais entendu quelqu’un nier que le soleil est la lumière qui illumine le monde. Pourtant, on en connaît beaucoup qui s’accrochent aux chutes – souvent scandaleuses – et aux péchés de quelques catholiques pour dire : « Ils (les membres de l’Eglise) ne te disent pas tout ! L’Église est l’œuvre du diable !

Ce point de vue extrême part d’un fait : il y a des scandales. Juste pour illustrer, mentionnons, par exemple, les politiciens qui se disent « catholiques» et ont un programme tout à fait contraire à la doctrine évangélique et malgré cela, viennent recevoir la communion; des hauts ecclésiastiques impliqués dans des affaires de corruption, des religieuses « catholiques » qui soutiennent le sacerdoce féminin… et ainsi nous pourrions continuer la liste. Rien de nouveau sous le soleil. Déjà Pie XI, en 1937, parlait de « cette incohérence et cette discontinuité dans la vie chrétienne que nous avons plusieurs fois déplorées, et qui fait que certains, alors qu’ils sont apparemment fidèles à l’accomplissement de leurs devoirs religieux, plus tard, dans le domaine du travail , ou dans l’industrie, ou dans la profession, ou dans le commerce, ou dans l’emploi, en raison d’un déplorable dédoublement de conscience, mènent une vie trop incompatible avec les normes claires de la justice et de la charité chrétienne, donnant ainsi un sérieux scandale aux faibles et offrant aux méchants un prétexte facile pour discréditer l’Église elle-même »[1].

Qu’est-ce que tout cela prouve ? Cela prouve que notre Seigneur a épousé l’humanité telle qu’elle est. Le Christ ne s’attendait pas à ce que son Corps Mystique n’ait pas de scandales car Lui-même était une pierre de scandale et était entouré de faiblesse[2]. Le Vénérable Fulton Sheen l’a dit ainsi : « Si la nature humaine de notre Seigneur pouvait subir une défaite physique et être un scandale, pourquoi n’y aurait-il pas de scandales dans son Corps Mystique composé de pauvres mortels comme nous ? »[3] .

Soyons réalistes : « L’expérience de l’Église est aussi l’expérience qu’il y a du mal parmi les hommes d’Église. Jésus lui-même a dit : il y aura du froment et de l’ivraie [4]. Si nous n’étions que du blé, le monde entier serait catholique. Mais il y a du blé et de l’ivraie […]. Ainsi, par exemple, nous voyons que Judas était au Collège apostolique. Du blé et de l’ivraie ! Et il en sera ainsi jusqu’à la fin des temps, et quiconque pense le contraire est un utopiste. L’Église du seul bien n’existe pas. L’Église est sainte parce que le commencement, les moyens et la fin sont saints. Mais l’Église a en elle des pécheurs qui sont nous. C’est pourquoi nous devons prier le « confiteor (je confesse) » au début de chaque messe, c’est pourquoi nous devons nous confesser souvent ; nous ne sommes pas des anges, nous sommes nés avec le péché originel, nous commettons beaucoup de péchés chaque jour, le juste pèche sept fois par jour[5]. Et précisément voir le mal dans l’Église, qui est l’une des plus grandes tentations qu’un chrétien puisse avoir, doit nous amener à avoir plus de foi en Jésus-Christ, car Il l’a déjà prophétisé, Il l’a dit il y a deux mille ans : Il y aura le blé et l’ivraie »[6]. En d’autres termes, nous devons bien comprendre que, comme l’a dit le P. Castellani S. I., « dans l’Église de toute l’histoire et dans l’Église du futur et, il y a eu et il y aura toujours, non seulement des justes et des pécheurs, mais encore plus, des hérétiques »[7].

Pourtant, « difficilement passe une semaine sans que quelqu’un ne dise que l’Église ou l’un de ses représentants l’a déçu ou gravement blessé »[8]. Et bien que souvent ces chrétiens qui se sentent blessés deviennent tristes, le plus souvent ils se mettent en colère et surtout se sentent gravement déçus et même trahis, car ils oublient qu’aucun prêtre, religieux, évêque ou cardinal ne représente toute l’Église. Il est douloureux, personne ne le nie, de voir que des membres de l’Église – certains hauts ecclésiastiques de la Curie romaine, certains prêtres, les ordres religieux – apparaissent à la une des journaux, des blogs, etc., en tant que protagonistes de quelque scandale et de la déception conséquente du peuple et même du clergé lui-même. Et la vérité est que – comme l’a dit le Père Groeschel – il est très probable que plus on est proche de l’Église, plus on a de chances d’être blessé ou déçu par Elle [9].

Alors on peut se demander – que ce soit un laïc, un évêque, un séminariste ou un prêtre – « Comment l’Église peut-elle nous laisser tomber si souvent et continuer encore à être le Corps Mystique du Christ ? Parce qu’évidemment, nous avons suffisamment de raisons d’attendre un meilleur soin et un meilleur exemple de qui est le représentant historique de notre adorable Sauveur dans le monde.

Une partie du problème est que nous utilisons le terme « l’Église » pour décrire une myriade de choses qui sont liées mais, à des degrés divers, très différentes les unes des autres. Ainsi, par exemple, Église peut indiquer un bâtiment matériel. Cela peut également signifier une dénomination chrétienne particulière, telle que « l’Église orthodoxe ». Cela peut faire allusion à une certaine paroisse ou à un diocèse et ainsi quelqu’un peut dire : « J’ai des problèmes avec l’église locale ». Il peut se référer à tous ceux qui sont chrétiens dans le monde, ou à tous les catholiques du monde, ou à un membre de « l’Église catholique».

Une autre source de confusion est ce que nous entendons par « membre de l’Église catholique ». On parle souvent de catholiques dans tel ou tel pays, et on lit souvent qu’un pourcentage de ces catholiques n’est pas d’accord avec les lois de l’Église sur le célibat sacerdotal ou avec ce que dit le Pape sur la contraception, pour donner un exemple. Et les journaux publient ces pourcentages dans les gros titres. Alors que nous n’avons aucune idée si ces “catholiques” vont à la messe, ou s’ils contribuent au soutien de l’Église ou quel genre d’éducation catéchétique ont-ils reçue. Groeschel cite l’exemple d’une jeune femme, une parente à lui, qui est allée dans une école catholique où on lui a appris non seulement que Dieu était une femme, mais que Jésus était une femme. Et l’auteur ajoute : « ses professeurs avaient besoin d’une thérapie, une thérapie de longue durée ». Le fait est que vous pouvez déjà imaginer le genre de « catholicité » de cette jeune femme.

Donc, il faut faire attention quand on dit « je suis membre de l’Église catholique ». Car qu’est-ce que cela signifie quand un politicien corrompu ou un journaliste sans une goutte d’amour pour la vérité dit : « Je suis catholique » ; ou quand une actrice blasphématoire dit : « Je suis catholique » ? Ils abusent de l’Église catholique et prétendent y jouer un rôle plus actif qu’ils ne l’ont jamais fait.

1. Que signifie alors Église ?

Nous trouvons une belle définition de l’Eglise que voici : « L’Église, c’est Jésus-Christ continué, répandu et communiqué ; c’est comme le prolongement de l’Incarnation rédemptrice en poursuivant la triple fonction : prophétique, sacerdotale et royale ; c’est le nouveau Peuple de Dieu; « elle est dans le Christ comme sacrement ou signe, et instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain »[10] ; c’est une communauté organiquement structurée[11], « un peuple rassemblé par l’unité du Père et du Fils et du Saint-Esprit »[12].

Dès lors, tous les scandales – la perte de la foi des religieux et la conduite qui en émane, le péché, la corruption, les hérésies, les schismes, les sacrilèges, les abus de pouvoir des ecclésiastiques, etc. – ne prouvent-ils en rien que la nature de l’Église ne soit pas intimement divine, pas plus que la crucifixion n’a prouvé que Jésus-Christ n’était pas Dieu. Si nos mains sont sales, cela ne veut pas dire que tout notre corps l’est. Nous devons être convaincus que les scandales constatés dans le Corps Mystique du Christ ne peuvent détruire la sainteté « substantielle » de l’Église. L’Église est sainte et elle n’est pas le sujet de péchés ou de scandales : les hommes le sont, mais pas l’Église en tant que telle.

Le vénérable Fulton Sheen cite l’un des plus grands scandales de l’Église : celui du pape Alexandre VI[13]. Et il commente : « Comment un homme comme Alexandre VI pourrait-il être le Vicaire infaillible du Christ et le chef de son Corps Mystique ? Pour une réponse – continue Fulton Sheen – allons au texte de l’Evangile où notre Seigneur change le nom de Simon en Pierre, et fait de lui le Rocher sur lequel Il bâtira « Son Église ». Notre Seigneur, à cette occasion même, a fait une distinction à laquelle très peu de gens pensent : Il a distingué entre l’infaillibilité, ou l’immunité contre l’erreur, et l’impeccabilité, ou l’immunité contre le péché. L’infaillibilité est l’incapacité d’enseigner ce qui est mal ; l’impeccabilité est l’incapacité de faire ce qui est mal. Notre-Seigneur a fait Pierre « le Rocher infaillible », non « impeccable » (qui ne puisse pas faire de péché)[14].

En tout cas, la plupart du temps, quand les gens disent qu’ils se sentent déçus par l’Église, ils se réfèrent à l’Église visible, extérieure, guidée par les évêques et le Pape et aussi par toutes les autres personnes qui ont une certaine responsabilité dans l’Église : le clergé, les religieux, les missionnaires, quelque institution de l’Église, quelque groupe de la paroisse, etc. Et bien des fois il peut arriver que nous tombions nous aussi dans la tentation de dire : « l’Église m’a déçu… l’Église m’a manqué… ou même m’a trahi ».

Selon le Père Groeschel, c’est quelque chose qui nous arrive tôt ou tard à tous. “Presque tous les prêtres ou religieux peuvent dire la même chose, et ils ont des plaintes ou des ennuis légitimes à propos de quelque chose qui leur est arrivé au cours de leur longue vie au service de l’Église – un moment ou lieu où ils ont été laissés de côté, négligés, méprisés, incompris, ou injustement accusés-. Je suis religieux depuis 45 ans maintenant, et je peux vous dire – poursuit le P. Groeschel – que je me trouve souvent en colère contre un certain secteur de l’Église. Les chances d’être blessé sont énormes, et elles sont plus grandes quand on est plus engagé. Par exemple, des personnes très généreuses s’approchent de l’Église à la recherche d’une occasion de servir, de donner de leur temps et de leur énergie. Peut-être donneront-ils leur vie dans la vocation religieuse. Pendant des années, les choses vont bien, on les apprécie ou on leur donne au moins la possibilité de travailler dur et de réaliser quelque chose. Mais à un moment donné, il y a un changement de « garde ». De nouveaux dirigeants apparaissent et la «vieille garde» s’en va. Tout ce qu’ils ont fait est minimisé avec une reconnaissance personnelle minimale ou presque. Et les envahit le sentiment que Dieu lui-même ne tient pas compte de ce qu’ils ont fait. Alors, en quelque sorte de façon compréhensible peut-être mais à tort, ils se fâchent contre Dieu, ou contre toute l’Église, depuis le Pape jusqu’en bas. C’est une sensation terrible. Je sais. À plus petite échelle, cela peut arriver à n’importe quel fidèle paroissien ou membre de l’Église. Ils ont été généreux jusqu’au sacrifice. Ils ont donné même jusqu’au bout, mais un nouveau prêtre ou administrateur arrive, et ils sont complètement oubliés. Ils savent que Dieu n’a pas fait cela, mais émotionnellement ils se sentent rejetés »[15].

Peut-être l’une des pires expériences à cet égard c’est lorsque «quelqu’un de l’Église» enseigne à l’un de nos proches quelque chose de contraire aux enseignements de l’Évangile et de l’Église et que celui-ci finit par s’égarer. Combien ont appris qu’il n’était pas nécessaire de se confesser, ou ont été encouragés à adopter la contraception “pour prendre soin d’eux-mêmes”, pour ne citer que quelques exemples, ou on leur a dit qu’il était acceptable d’avoir une nouvelle union après l’échec de leur propre mariage, ce mariage étant valide.

Certes, ceux qui occupent des postes d’autorité dans l’Église sont parfois assez limités dans ce qu’ils peuvent faire, plus que ne le supposent les gens. Nous le voyons, par exemple, dans la curie romaine où, à côté d’une grande sainteté chez beaucoup, il y a aussi une inaptitude notable chez certains. Mais encore, le sentiment de ceux qui ont été blessés c’est que l’Église les a laissés tomber, ou les a déçus.

2. Blessés par “l’Église”

Nous devons être très clairs sur le fait que lorsque nous disons que « l’Église » ou les dirigeants de l’Église nous déçoivent, nous ne faisons évidemment pas référence au Corps Mystique du Christ. Ce n’est pas le Verbe Incarné, qui est une seule personne mystique avec son Epouse, qui nous fait défaut. C’était peut-être quelqu’un qui exerce une certaine autorité dans l’Église, mais pas l’Église.

Et si « l’Église » nous déçoit, c’est simplement parce qu’elle est composée d’êtres humains. En effet, si nous y réfléchissons, l’Église est une grande communauté de personnes avec le péché originel et avec des péchés personnels. Nous ne parlons pas ici de l’Église triomphante, ni des saints, ni du Magistère et de la Tradition de l’Église, mais de ce côté humain de l’Église qui peut nous blesser et qui, en fait, l’a fait et le fait encore à maintes reprises. Cela nous arrive à tous, cela est aussi arrivé aux saints et les témoignages de ce genre de cas dans l’histoire de l’Église sont accablants.

« Un bouton suffit comme échantillon » affirme un dicton espagnol, prenons donc quelques exemples de personnes qui à l’époque ont été gravement blessées par « l’Église ».

Pío de Pietrelcina, par exemple, est demeuré pratiquement condamné aux arrêts à domicile pendant des décennies sur ordre du Saint-Siège. Il n’a jamais quitté la petite ville où il vivait, San Giovanni Rotondo. Jamais! Ils lui ont même interdit pendant des années de célébrer la messe en public.

Bx. Solanus Casey

Autre exemple : le bienheureux Solanus Casey[16], prêtre capucin, n’a jamais pu entendre les confessions. Et seulement une ou deux fois il a prêché un sermon. Il est d’abord entré dans un séminaire diocésain et après quatre ans de formation, il a été renvoyé parce qu’ils pensaient qu’il n’avait pas la capacité intellectuelle pour être prêtre. Il ne les a pas contredits et est rentré chez lui. Puis il rejoignit les Capucins et réussit également mal ses études (les deux séminaires enseignaient en allemand et en latin et il ne connaissait que l’anglais, étant le fils de paysans immigrés irlandais) et ses supérieurs pensaient également qu’il ne pouvait pas être ordonné prêtre, mais sa forte vie spirituelle – comme ils le percevaient – ​​était assez avancée. Cela a poussé les responsables de sa formation à prendre la décision de l’admettre comme candidat à la prêtrise, mais pas comme Solanus l’aurait souhaité. Il a été ordonné comme « simplex sacerdos », comme on appelait à cette époque les prêtres qui ne disaient que la messe. Il ne pouvait pas prêcher, entendre des confessions ou donner l’absolution, ni être supérieur ou voter pour les chapitres de son ordre. Les gens le connaissaient comme « le frère qui dit la messe ». Mille fois dans sa vie, il a dû expliquer pourquoi il ne pouvait pas entendre les confessions. Sa première affectation était dans une paroisse de Yonkers, New York. Le curé, ne sachant comment employer un prêtre qui ne pouvait ni confesser ni prêcher, lui donna la charge de sacristain et de portier. Ceux qui l’ont connu disent que c’est l’acceptation de cette humiliation qui a fait de lui un saint et en a fait le meilleur capucin qui ait jamais vécu sur le sol américain.

En remontant dans le temps, nous trouvons Saint Alphonse de Liguori, désormais honoré comme Docteur de l’Église, qui a été contraint de quitter l’ordre qu’il avait fondé, les Rédemptoristes, afin qu’il ne soit pas supprimé. Et un détail non de moindres est le fait qu’il n’était pas autorisé à célébrer la messe dans les États pontificaux, même s’il était évêque. Incroyable ! Sainte Jeanne d’Arc a été brûlée sur le bûcher par sentence de l’évêque de Beauvais et de 11 théologiens. Dans la tour de la prison de Rouen, on peut voir d’un côté le décret de condamnation qui a conduit à l’exécution de Sainte Jeanne, et de l’autre côté de la tour, il y a le décret papal qui, 20 ans plus tard, l’avait absoute et qui condamnait les juges. Bien qu’elle ait fait appel au pape, l’évêque n’a pas accédé à sa demande ; et il a lui-même subi ensuite, à cause de cela, une sanction ecclésiastique.

Et combien d’autres!, tant!, d’innombrables exemples que nous pourrions donner ; sachant que cela est arrivé d’une manière particulière à de nombreux fondateurs d’ordres religieux.

Lire la deuxième partie


[1] Divini Redemptoris, 56.

[2] Cf. Hébreux 5,2 ; 2 Cor. 13,4.

[3] The Rock Plunged into Eternity, chap. 5. (Traduction)

[4] Cf. Mt 13,25 et ss.

[5] Proverbes 24,16.

[6] Cf. Carlos Buela, IVE, L’Art du Père, Partie 3, chap. 15.

[7] Sermons du dimanche II, dimanche V après l’Epiphanie.

[8] Nous suivons librement Benedict Groeschel, Arise from Darkness, chap. 4. (Traduit de l’anglais)

[9] P. Benedict Groeschel, Arise from Darkness, chap. 4.

[10] Lumen Gentium, 1.

[11] Cf. Ibidem, 11.

[12] Saint Cyprien, De oratione Dominica, 23 ; PL 4, 553. Cf. Lumen Gentium, 4.

[13] Il fut pape du 11 août 1492 au 18 août 1503.

[14] Cf. The Rock Plunged into Eternity, chap. 5.

[15] Cf. P. Benedict Groeschel, Arise from Darkness, chap. 4.

[16] Il est né le 25 novembre 1870 et mort le 31 juillet 1957. Il a été béatifié par le pape François le 18 novembre 2017.