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Parlez-nous du monde, mais d’abord de Dieu

Lettre ouverte à un nouveau cardinal 

J’imagine votre sentiment quand vous avez été appelé à cet honneur et à cette noble mission. On n’entre pas dans l’Église pour faire carrière, ni pour gagner de l’argent, ni pour la gloire qui vient des hommes. Il est prestigieux pourtant d’être cardinal. Les gardes suisses vous saluent avec le respect dû à votre rang. Ils lèvent bien haut leur hallebarde, le regard fixe, quand vous passez dans un froissement de soutane rouge à la ceinture moirée. Rouge comme le sang des martyrs. Rouge comme l’amour qui ne passera jamais. Vous êtes spontanément invité, écouté, flatté. Pas toujours pour ce que vous êtes, plus souvent pour ce que vous représentez. Vous êtes aussi persécuté pour une part, à la mesure de votre fidélité au Christ. S’il vous arrive d’être ridiculisé par les hommes, si le monde vous « prend en haine » (Jn 15, 18) comme nous l’a annoncé notre Maître, vous voyez rapidement qui sont vos amis véritables. Vous garderez toujours le soutien des petits et des humbles, qui ont un sens très sûr pour suivre les témoins de la foi.

Vous connaissez la joie de servir. Je pense que vous connaissez aussi la part des peines, le souci de toutes les Églises (2 Co 11, 28), la charge de votre responsabilité et surtout celle d’élire le successeur de Pierre, avec la gravité de voter en conscience et dans une intense prière pour choisir celui dont la mission est d’affermir le peuple de Dieu et de veiller à son unité. L’impression diffuse d’être incapable d’honorer la charge vous guette sans doute, comme elle tourmente les prophètes et les saints, ceux qui sont revenus des illusions que nous façonnons sur nous-mêmes.

Je voudrais vous confier que cette année, lors des ordinations sacerdotales, j’ai éprouvé en imposant les mains aux jeunes prêtres dans la longue procession un sentiment de joie mêlée d’effroi tant l’Église me semble anémiée et flottante comme une adolescente narcissique qui se palpe le nombril et s’épuise à se définir et se redéfinir sans cesse, sans savoir où elle va car elle a trop oublié d’où elle vient.

Jamais je n’ai regretté d’être prêtre et je suis sûr que vous pourriez en dire autant. Mais il est sain et légitime, vu que l’Église n’est pas une dictature – pas plus qu’elle n’est une démocratie – de vous dire mon inquiétude diffuse, celle de beaucoup de mes frères prêtres et de fidèles engagés concernant le chemin qui se dessine dans l’instrumentum laboris du synodesur la synodalité. Ce document de travail me semble considérablement éloigné des préoccupations de la jeunesse, faible en nombre mais fervente, qui anime nos paroisses et n’y a d’ailleurs que très peu participé. Il me semble aussi très loin des attentes des communautés d’origine étrangères, comme les africains ou les antillais, qui font vivre nos sanctuaires avec leur piété fervente, joyeuse et populaire.

Comme prêtres, nous avons donné toute notre vie pour professer et annoncer la foi reçue des apôtres, fondée sur une saine anthropologie, avec délicatesse et intelligence pastorale. Nous n’avons sans doute pas toujours été parfaits, ni su répondre à toutes les demandes, mais nous sommes sur le terrain et nous « sentons l’odeur des brebis » comme le demandait le pape François. Nous n’avons pas donné notre vie pour autre chose que l’intégralité de la foi catholique en Jésus-Christ, qui seul a les paroles de la Vie éternelle. Nous ne rêvons pas d’une « autre Église » que celle que nous servons, avec sa beauté immuable qui vient de Dieu et son clair-obscur qui vient des hommes. Avec sa tradition vivante qui scrute avec bienveillance et vigilance les changements du monde, mais qui ne peut trahir ni l’ordre divin inscrit dans la Création, ni l’obéissance à la Révélation, ni la structure de l’Église telle que le Christ en a posé les pierres de fondation.

Je pense que vous avez été surpris d’être appelé à devenir cardinal. Il est bon qu’il en soit ainsi. C’est le signe que vous ne l’avez pas cherché. Le Saint Père a choisi des hommes qui, pour la plupart, ne s’y attendaient pas, quels que soient leurs mérites. Il n’a pas donné la pourpre à des sièges historiquement cardinalices dont les évêques assument pourtant d’écrasantes responsabilités ecclésiales. Cela peut surprendre, car cela assurait au collège des cardinaux une objectivité que ses prédécesseurs observaient et qui favorisait une large diversité de sensibilités, mais il en est ainsi. Le pape est le pape. Il a sans doute voulu honorer des pasteurs plus cachés. Les papes ne se ressemblent pas mais le Christ demeure. Je me dis qu’il faut recueillir le meilleur de ce qu’ils donnent et demander à Dieu un regard surnaturel sur l’Église, sans se laisser déstabiliser par les scandales, ni aigrir par les injustices, ni décourager par les incompréhensions.

Il faut aujourd’hui beaucoup de courage pour être évêque et il est trop facile de critiquer l’épiscopat sans toucher d’un seul doigt son fardeau. Sans doute en faut-il aussi, même si je pense que cela demeure mêlé d’un sentiment de fierté, pour accepter la barrette rouge. Je voudrais vous dire ma prière et mon filial respect. Un respect dépourvu d’arrière-pensée et bien loin de l’onctuosité ecclésiastique des prélats de salon. Je ne suis pas un courtisan ni une précieuse ridicule. J’ai vive conscience que tout honneur dans l’Église est une charge qui consiste à laisser un autre vous mettre la ceinture et vous conduire là où vous n’auriez sans doute pas prévu d’aller (Jn 21, 18). J’ai conscience que la seule vraie gloire est celle de la Croix et qu’il sera beaucoup demandé à ceux qui acceptent cet honneur, puisqu’il leur est beaucoup donné.

Si je me permettais cette audace, j’aimerais vous demander ceci, même si je ne suis que vicaire dans une humble paroisse : affermissez nos mains défaillantes. Je n’ai aucune leçon à vous donner, mais je voudrais simplement vous dire, avec confiance, ce que je porte dans le cœur et ce que j’entends des fidèles que j’accompagne, particulièrement des jeunes. Ayez le souci des périphéries, mais encouragez d’abord les chrétiens qui portent le poids du jour et sont restés dans la barque de Pierre. Ayez le souci des LGBTQI+ car l’Église ne peut laisser personne en chemin, mais d’abord de soutenir et d’encourager les couples fidèles qui ont le courage de donner la vie et d’élever leurs enfants dans la foi. Sans eux l’Église meurt.  Insistez sur « l’intégration » mais tout autant sur la conversion, comme le Christ ne cesse de le faire dans son Évangile. Ayez pour nous l’ambition du Père qui nous veut saints en Jésus-Christ.

Parlez-nous de fraternité universelle aux JMJ, mais n’oubliez pas que nous, les aumôniers, ne passons pas des nuits blanches dans les cars pour emmener des jeunes à Woodstock mais pour favoriser leur rencontre avec le Christ et son Église et la conversion à son amour, source de toute libération véritable. Rendez-nous sensibles à l’implication des laïcs et des femmes – ce que nous vivons déjà dans nos paroisses – mais évoquez aussi la beauté du sacerdoce catholique et son absolue nécessité pour la vie de l’Église. Parlez-nous de « notre mère la terre », mais d’abord de notre Père du Ciel. En un mot, parlez-nous du monde, mais d’abord de Dieu.

Source: Famille Chrétienne

“Faut-il croire aux prêtres ?”

         Dans les Mémoires de Don Bosco, on rapporte qu’il disait à ses salésiens : « Le prêtre est toujours prêtre et doit se manifester ainsi dans toutes ses paroles. Être prêtre signifie avoir continuellement l’obligation de veiller aux intérêts de Dieu et au salut des âmes. Un prêtre ne doit jamais permettre à quiconque s’approche de lui de s’éloigner, sans avoir entendu une parole qui exprime le désir du salut éternel de son âme»[1].

         Mais Don Bosco lui-même, lorsqu’il entendait parler de défections ou de scandales publics de personnes importantes ou de prêtres, disait aussi à ses disciples : « Il ne faut s’étonner de rien ; là où il y a des hommes, il y a de la misère »[2].

         Il me semble que ces deux références contiennent le juste équilibre pour juger le prêtre et régler notre relation avec lui.

         Le prêtre est appelé, par sa vocation, à une grande sainteté ; mais il reste un homme, et comme tel, fragile et entouré de faiblesse. Parmi les apôtres du Christ lui-même, l’un l’a trahi (Judas), un autre l’a renié (Pierre), et les autres l’ont abandonné lors de sa Passion. Mais cela ne les rendait pas moins prêtres ; et il leur a donné le pouvoir de consacrer son Corps et son Sang (Faites ceci en mémoire de moi: Lc 22,19), et de pardonner les péchés en son nom (cf. Jn 20,23).

         Nous devons prier pour nos prêtres, afin qu’ils soient saints et qu’ils soient un reflet fidèle du Grand et Éternel Prêtre, qui est Jésus-Christ. Mais nous devons considérer le prêtre comme un “sacrement” du Christ ; c’est-à-dire que pendant que nous voyons un homme, avec des défauts et des misères, la foi doit nous faire “découvrir” le Christ lui-même. C’est pourquoi saint Augustin demande : « Est-ce Pierre qui baptise ? Est-ce Judas qui baptise ? C’est le Christ qui baptise». C’est le Christ qui consacre pour nous sur l’autel, et c’est le Christ qui pardonne nos péchés. L’efficacité vient du Christ; pas du ministre. Les paroles du Christ (Faites ceci en mémoire de moi ; Pardonnez à qui les péchés…) conservent toujours toute leur fraîcheur et leur efficacité, malgré le fait que le ministre qui les prononce soit un pécheur confirmé. C’est pourquoi Innocent III condamnait ceux qui affirmaient que le prêtre qui administre les sacrements en état de péché mortel agissait invalidement[3] ; et la même chose a été répétée par le Concile de Trente[4].

A tout cela s’ajoute quelque chose qui se produit avec une certaine fréquence, et c’est le fait qu’une grande partie de ceux qui disent « je ne crois pas aux prêtres »…, et avec cette accusation, cachent un problème personnel sous-jacent. Plus que de ne pas croire, leur problème est qu’ils ne veulent pas croire. Et ils ne veulent pas parce qu’ils ne vivent pas de façon honnête leurs fiançailles, ou leur mariage, ou leurs affaires. Et le problème qu’ils ont, c’est que croire aux prêtres, c’est croire au sacerdoce : à la nécessité du prêtre comme médiateur entre Dieu et les hommes ; croire dans le besoin de se tourner vers lui pour nous pardonner nos péchés, dans le besoin d’assister à la messe dominicale, dans le besoin d’accomplir les commandements. Croire au sacerdoce implique d’accepter toutes ces choses comme une obligation personnelle, indépendamment que les prêtres qui célèbrent la messe et pardonnent les péchés soient ou non eux-mêmes des saints.

         Lorsque les dix lépreux s’approchèrent de Jésus pour lui demander la guérison, le Seigneur leur dit : Allez vous présenter aux prêtres, comme la loi le prescrivait (Lc 17, 14), bien qu’il savait que ces prêtres laissaient beaucoup à désirer, comme le démontrait l’opposition qu’eux-mêmes ont fait au Christ.

         Jésus-Christ demandera à chacun de nous de rendre compte de ce qu’il a fait, selon les commandements qu’il a donnés à chacun de nous. Il ne nous jugera pas pour les péchés de nos prêtres ou leur sainteté.

         Nous avons toujours l’obligation de prier pour nos pasteurs, afin qu’ils aient un cœur comme celui du Divin Pasteur.

Père Miguel A Fuentes, IVE

Site: elteologoresponde.org


[1] Mémoires biographiques, vol 3, p. 68 (édition espagnole).

[2] Mémoires biographiques, vol 7, p. 158 (édition espagnole).

[3] Cf. Denzinger-Hünermann, n. 793.

[4] Cf. ibid., n. 1612.