À la foule et à ses disciples, Jésus déclare : « Vous
n’avez qu’un seul Père » (Mt 23, 9). Il n’est en effet de paternité
que celle de Dieu le Père, l’unique Créateur « du monde visible et invisible ».
Il a cependant été donné à l’homme, créé à l’image de Dieu, de participer à
l’unique paternité de Dieu (cf. Ep 3, 15). Saint Joseph
illustre cela d’une façon saisissante, lui qui est père sans avoir exercé une
paternité charnelle. Il n’est pas le père biologique de Jésus dont Dieu seul
est le Père, et pourtant il va exercer une paternité pleine et entière. Être père, c’est avant tout être serviteur
de la vie et de la croissance. Saint Joseph a fait preuve, en ce sens, d’un
grand dévouement. Pour le Christ, il a connu la persécution, l’exil et la
pauvreté qui en découle. Il a dû s’installer ailleurs que dans son village. Sa seule récompense fut celle d’être avec
le Christ. Cette disponibilité illustre les paroles de saint Paul : « Le
maître, c’est le Christ, et vous êtes à son service » (Col 3, 24).
Il s’agit de ne pas être un serviteur médiocre, mais d’être, un serviteur « fidèle et avisé ». La
rencontre des deux adjectifs n’est pas fortuite : elle suggère que
l’intelligence sans la fidélité comme la fidélité sans la sagesse sont des
qualités insuffisantes. L’une dépourvue de l’autre ne permet pas d’assumer
pleinement la responsabilité que Dieu nous confie.
Origène écrivait : « Joseph comprenait que Jésus lui était
supérieur tout en lui étant soumis, et, connaissant la supériorité de son
inférieur, Joseph lui commandait avec crainte et mesure. Que chacun y
réfléchisse : souvent un homme de moindre valeur est placé au-dessus des gens
meilleurs que lui, et il arrive quelquefois que l’inférieur a plus de valeur
que celui qui semble lui commander. Lorsque celui qui est élevé en dignité aura
compris cela, il ne s’enflera pas d’orgueil à cause de son rang plus élevé,
mais il saura que son inférieur peut être meilleur que lui, tout comme Jésus
fut soumis à Joseph » (Homélie sur St Luc XX, 5, S.C. p. 287).
Lorsque Marie reçoit la visite de l’ange lors de
l’Annonciation, elle est déjà promise en mariage à Joseph. En s’adressant
personnellement à Marie, le Seigneur associe donc déjà intimement Joseph au
mystère de l’Incarnation. Celui-ci a consenti à se lier à cette histoire que
Dieu avait commencé d’écrire dans le sein de son épouse. Il a alors pris chez
lui Marie. Il a accueilli le mystère qui était en elle et le mystère qu’elle
était elle-même. Il l’aima avec ce grand respect qui est le sceau des amours
authentiques. Saint Joseph nous apprend
que l’on peut aimer sans posséder. En le contemplant, tout homme, ou toute
femme, peut, avec la grâce de Dieu, être conduit à la guérison de ses blessures
affectives à condition d’entrer dans le projet que Dieu a déjà commencé à
réaliser dans les êtres qui sont auprès de lui, tout comme Joseph est entré
dans l’œuvre de la rédemption à travers la figure de Marie et grâce à ce que
Dieu avait déjà fait en elle.
Joseph a en effet vécu dans le rayonnement du mystère de l’Incarnation. Non seulement dans une proximité physique, mais aussi dans l’attention du cœur. Joseph nous livre le secret d’une humanité qui vit en présence du mystère, ouverte à lui à travers les détails les plus concrets de l’existence. Chez lui, il n’y a pas de séparation entre la foi et l’action. Sa foi oriente de façon décisive ses actions. Paradoxalement, c’est en agissant, en prenant donc ses responsabilités, qu’il s’efface le mieux pour laisser à Dieu la liberté de réaliser son œuvre, sans y faire obstacle. Joseph est un « homme juste » (Mt 1, 19) parce que son existence est ajustée à la Parole de Dieu.