« In manus tuas… » (Lc. 23,46)
“Père, mon esprit, ma vie, mes désirs et mes espoirs, mon avenir éternel Je laisse, tout, tout entre tes mains !»
L’abandon n’est, tout compte fait, qu’une conséquence logique de l’esprit de foi et le sommet naturel auquel conduit l’amour confiant, quand il est ardent et fort comme la mort.
Bien sûr, il n’y a rien de commun entre un « quiétisme stupide », un repli indolent des bras, laissant Dieu tout faire sans ma coopération et mon sacrifice, et le véritable « abandon », expression suprême de l’amour véritable.
En cela, comme en tout, Jésus peut nous dire : « Je vous ai donné un exemple » (Jn 13, 15). Voyez, sinon, comment Il s’abandonne dans la Communion. Ne parlons pas de son abandon au jour de l’Incarnation dans le Cœur de sa Mère Immaculée, ni de son abandon à Nazareth, à la merci de Marie et de Joseph, non.
Je fais une mention spéciale de son abandon dans le cœur indifférent, oublieux, frivole, souvent déloyal et parfois horriblement ingrat de celui qui communie. Supposons que vous soyez en état de grâce de Dieu à ce moment-là. Mais était-ce hier ? Sera-ce demain ?
Avec quelle raison, en entendant les manifestations de fidélité, pouvait-il nous interrompre et dire: «Assez, ne me répètes pas que tu m’aimes, ne me promets pas que tu m’aimeras…; cent mille fois je t’ai entendu dire les mêmes paroles et bien d’autres, mais tu as transpercé mon Cœur par la suite».
Jésus parle-t-il ainsi ? Non! Repentants, bien que pauvres et faibles, nous nous approchons de lui, nous le recevons, nous lui assurons que nous sommes et serons à lui… Et Il accepte cette parole avec amour. Il ne dit pas : « Je ne te crois plus ». Et moins encore, Il ferme le Tabernacle à qui l’a cruellement blessé hier.
Il vous tend les bras, ferme les yeux et s’approche de vous, et se donne et se donne tout entier, sans hésitation, Il se donne en corps, âme, sang et divinité… Jésus est tout à vous, comme si vous étiez des saints, comme si vous l’aviez toujours été, comme s’Il était suffisamment sûr de votre éternelle fidélité. Il s’abandonne dans vos bras par amour !
Il nous donne un exemple sublime, affolant… ; faisons de même.
Et comme il est raisonnable de s’abandonner, vases d’argile, dans l’arche d’or de son Cœur ! Et quelle folie divine que Lui, le ciel des cieux, s’abandonne dans le vase d’argile, dans le calice d’argile, cent fois brisé et souillé de notre pauvre petit cœur !…
« Je vous donne l’exemple : copiez-le, suivez-moi ! »
La preuve la plus éloquente de l’amour en Jésus, comme en nous, est dans l’abandon réciproque.
C’est ainsi que le fils s’abandonne à sa mère, la femme à son mari.
Quelle mère ou quel mari est comparable à Jésus ? Si je crois donc et d’une grande foi en sa Sagesse, en sa Justice et surtout en son Amour miséricordieux, je dois logiquement m’abandonner à son Cœur et à ses desseins.
Personne ne sait ce qu’Il sait, personne ne voit ce qu’Il voit, personne ne comprend mes intérêts temporels et éternels comme Jésus, personne ne se soucie de moi comme Lui, personne comme Lui n’est capable, guidé par un amour infini, de tout combiner pour Sa gloire et pour mon bien… N’est-ce donc pas suprême sagesse de lui dire : « Fais, Seigneur, ce qu’il te plaira, dispose de moi, brûle et taille, guéris et blesse comme tu voudras, tu es béni dans la vie et dans la mort »?
L’abandon d’un enfant entre les mains de sa mère, pour jouer comme pour manger, pour soigner comme pour dormir, est le geste le plus instinctif et le plus raisonnable à la fois. Pourquoi pas dans l’ordre de la grâce, quand il s’agit de m’abandonner, non à un père très intelligent, non à une mère idéale, mais à Jésus ?
Puis-je vraiment l’aimer et ne pas m’abandonner ?…
N’est-ce pas là, par hasard, la réalisation la plus simple et la plus sublime, par amour, de ce « que Ta volonté soit faite…, que Ton Règne arrive » ?
Que sais-je si la santé ou la maladie, si la richesse ou la pauvreté me rendent actuellement, bon ou mauvais ? Mais, Il sait… Eh bien, qu’Il procède d’une main libre et d’un cœur de Père… Qu’Il décide, qu’Il décide sans me consulter, l’enfant capricieux et ignorant.
N’est-ce pas cela être sage et prudent ? N’est-ce pas cela aimer Dieu par-dessus tout ?
Ma place ?… Dans tes bras, Jésus, sur ton Cœur, combattant ou reposant, comme Tu veux. Le reste, montant ou descendant, douceur ou amertume, m’est indifférent. Pas à ma nature, pas cela, puisqu’elle ne peut pas osciller entre l’amer et le doucereux ; mais avec ta lumière et avec ta grâce, oui, Jésus, me voici : je viens te dire “ce que je veux faire en toute ta volonté, en m’abandonnant”.
Naturellement, j’accomplirai mon devoir –si je suis donc malade, j’appellerai le médecin et je prendrai le médicament- . Mais une fois cela fait, mon obligation accomplie avec foi, de te prouver que je t’aime, je t’abandonnerai en paix ma santé… Si je m’améliore, merci ! Si j’empire et que je m’aggrave, si je meurs, merci aussi ! Ta volonté est toujours bonne. Tu es en tout, sagesse et amour !
C’était le secret de la paix inaltérable des saints. Ils ont traversé, comme nous et bien d’autres, mille vicissitudes douloureuses – la tentation et les créatures les ont éprouvés dans un creuset de feu –, et malgré cela, ils ont joui d’une tranquillité intérieure ; je dis plus : ils ont connu un bonheur si profond et si enivrant, que l’exil avait parfois le goût d’un Paradis anticipé.
Oh, si nous savions comme il est bon de vivre dans le Cœur de Jésus, entièrement abandonné à sa volonté et à son bon plaisir, sans rien désirer, sans rien refuser, acceptant également tout avec amour : l’épine et la fleur !
Proposons-nous d’atteindre ce sommet, où règne un calme parfait, où tout ce qui n’est pas Jésus nous soit indifférent. Que son Cœur nous trouve parfaitement malléables afin de nous sanctifier.
Alors oui, Il pourrait nous répéter ce qu’Il a dit à sainte Marguerite-Marie : « Je suis un très sage directeur qui sait guider les âmes sans le moindre danger, quand elles savent s’abandonner à Moi et s’oublier » (Vie et œuvres, t .II, p.69).
Ce directeur n’échoue jamais, ni ne part, ni n’est changé, ni ne meurt ; vous le trouverez toujours à portée de main, et toujours fidèle et vigilant. Oh, donnez-lui, confiez-lui sans réserve le gouvernail de la petite barque !… Quel saint ramage que le vôtre, alors…, quel doux réveil sur l’autre rive, portés, conduits, guidés par Jésus !
Abandonnez-vous aveuglément dans ses bras ; abandonnez-vous à son Divin Cœur !
P. Mateo Crawley ss.cc., dans « Jesús, Rey de Amor »,
BAC – Madrid 2019 – pp.142-145.