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« Dieu ne rendra-t-il pas justice à ses élus?

Homélie pour le Dimanche XXIX, année C (Lc 18, 1-8)

L’Evangile de ce dimanche nous présente une parabole, communément appelée « de la veuve insistante et du juge », qui, comme le dit le Seigneur, doit nous apprendre qu’il faut toujours prier, sans se décourager.

Cependant, lorsque ce passage est lu dans le contexte de l’évangile de saint Luc, surtout dans la langue originale, en grec, on remarque que cette parabole a une particule de liaison en guise d’introduction, que nous traduisons par “alors”.

Alors il leur dit une parabole…” (Lc 18, 1). Ce « alors » nous dit que la parabole est une conséquence de ce qui a été dit auparavant. De quoi parlait Jésus juste avant ? Jésus parlait du Jour du Seigneur, c’est-à-dire de sa seconde venue ou parousie.

Mais ce n’est pas tout. Jésus parle de sa seconde venue ou parousie pas seulement avant le texte évangélique. Toujours à la fin de la parabole, il dit : « Maintenant, quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? (Lc 18,8). Par conséquent, la parabole d’aujourd’hui est parfaitement encadrée par deux textes qui parlent du même thème : la seconde venue de Jésus-Christ et le jugement à la fin du monde.

Par conséquent, nous pouvons valablement interpréter que la veuve représente les élus de Dieu qui seront dans le monde subissant l’oppression du mal. Les veuves, sans mari et avec des enfants à nourrir et à élever, ont toujours été, dans le langage biblique, le paradigme de l’abandon et de la désolation. La veuve nous représente, nous les chrétiens, présents dans le monde et qui devons supporter l’immense mal du monde cherchant à détruire le bien.

Pour compléter cette pensée, il faut dire que dans la parabole d’aujourd’hui, il y a aussi une mention de Satan.

En effet, lorsque la veuve dit au juge : “Rendez-moi justice contre mon adversaire” (Lc 18,3), pour dire ‘adversaire’ elle utilise le mot grec ‘antidikós’, terme qui signifie ‘adversaire dans un procès’ , ‘partie adverse’, ‘ennemi’. Or, saint Pierre, dans sa première lettre, applique ce même terme à Satan : “Soyez sobres et vigilants, car votre adversaire (antidikós), le diable, rôde comme un lion rugissant cherchant quelqu’un à dévorer” (1Pierre 5,8 ).

Or, poursuivant la méditation de notre évangile, nous voyons que l’insistance dont fait preuve la veuve et le contenu de sa demande de justice au juge est, au fond, la deuxième demande du Notre Père : « Que ton règne vienne ». Et la réponse du Juste Juge : « Dieu ne rendra-t-il pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit, même s’il les fait attendre ? » (Lc 18,7), signifie que, grâce à la prière la plus affligée et la plus persévérante des chrétiens, Dieu enverra la rosée du ciel, c’est-à-dire le Christ dans sa seconde venue.

C’est précisément la vision de Saint Jean l’Évangéliste dans l’Apocalypse : « J’ai vu sous l’autel les âmes de ceux qui avaient été décapités à cause de la Parole de Dieu et du témoignage qu’ils soutenaient. Ils se mirent à crier d’une voix forte : ‘Combien de temps, saint et vrai Maître, vas-tu rester sans rendre justice et sans venger notre sang des habitants de la terre ?’ on leur dit d’attendre encore un peu, jusqu’à ce que soit achevé le nombre de leurs compagnons de service et de leurs frères qui devaient être tués comme eux » (Apocalypse 6,9-11).

Et le Seigneur ajoute même un trait d’humour : malgré sa méchanceté, le juge indigne a un peu peur de la veuve, car il dit littéralement : « Qu’à la fin sa venue ne me laisse pas le visage marqué d’un coup » et ceci étant toujours une note d’humour, le Seigneur, pour attirer encore plus l’attention sur ses disciples, veut nous montrer quelque chose de plus en Dieu. Précisément, la parabole compare Dieu à ce juge qui justement « ne craignait pas Dieu ni ne se souciait des hommes » et qui va enfin l’écouter, lui prêter attention ; en effet, Dieu n’ignore pas ou n’oublie pas non plus ses enfants, Lui qui est la bonté par essence, écoutera les supplications de ses enfants.

Dans les mots d’introduction de la parabole, le Seigneur dit qu’il faut prier sans se décourager. Le verbe grec qui est traduit habituellement par « abandonner » ou « se décourager » est le verbe ekkakéo. Saint Jérôme traduit ce verbe avec le verbe latin defícere, qui signifie ‘séparer’, ‘s’éloigner’, ‘manquer’, ‘échouer’, ‘abandonner’, ‘trahir’. Il a une correspondance parfaite avec le mot français ‘faire défection qui indique l’action de ‘se séparer déloyalement de la cause à laquelle on appartient’.

Nous devons relier cette idée à la propre conclusion du Seigneur : « Mais quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il cette foi sur la terre ? » En effet, Jésus demande à ses disciples de ne pas abandonner la foi, de ne pas abandonner l’esprit de foi pour demander le retour du Seigneur et la venue conséquente de son royaume sur terre. Selon un auteur : « La venue du Fils de l’homme tarde à venir. Les difficultés sont grandes (Lc 17,22), les persécutions tourmentent, la tentation de l’apostasie menace. Sur les lèvres est la question pressante : ‘Jusqu’à quand, Seigneur ?’ (Ap 6:10). (…) La grande tentation au temps de la tribulation est d’apostasier de la foi (abandonner la foi, manquer à la foi) ; cette tentation menace aussi les élus ». Beaucoup de catholiques, même pratiquants, se demandent ces jours-ci : dans la situation mondiale, vaut-il la peine de continuer à croire en Jésus-Christ et dans l’Église fondée par lui ?

L’ensemble du message de la parabole d’aujourd’hui peut se résumer ainsi : il faut toujours prier pour ne pas apostasier ; celui qui prie sera toujours exaucé, c’est-à-dire qu’il n’apostasiera pas, et Dieu enverra son Fils, peu importe combien Il les fera attendre. “ L’Église opprimée peut espérer en toute sécurité que sa prière sera entendue. Elle est, en effet, la communauté des élus de Dieu.”

Mais nous devons faire attention à ne pas comprendre « priez toujours » comme s’il s’agissait seulement de l’exercice de la prière. Certes, il s’agit de cela, mais pas seulement de cela. Dans ce cas, le terme « prière » doit être pris dans le sens où il est utilisé par les grands maîtres de la spiritualité, saint Jean de la Croix ou sainte Thérèse de Jésus. Pour eux, la prière n’est pas d’abord un exercice spirituel mais un état.

La prière sera parfaite lorsque, dans l’âme transformée par l’amour, toutes les énergies seront constamment fermes et souples, à la disposition des mouvements délicats de l’Esprit de Dieu.

Par conséquent, l’expression ” toujours prier” afin de ne pas faire défection et l’appel persévérant du chrétien affligé qui demande la seconde venue de Jésus-Christ impliquent un désir intense et ininterrompu de perfection, c’est-à-dire un grand désir d’union spirituelle avec Christ. Ce souhait et cette aspiration doivent être manifestés par un effort personnel mené avec une grande énergie morale.

Et ce dernier est très bien représenté en première lecture, image matérielle qu’il faut interpréter spirituellement. Dieu était avec son peuple, il voulait sa victoire, mais il a conditionné son intervention à ce que Moïse lève les mains. Cela semble incroyable, mais c’est ainsi : Dieu a besoin des mains levées de son serviteur. Les bras levés de Moïse rappellent ceux de Jésus sur la croix : bras étendus et cloués avec lesquels le Rédempteur a remporté la bataille décisive contre l’ennemi infernal. Justement, dans l’œuvre du salut, Dieu nous associe à son dessein de salut ; et malgré le fait que dans le monde nous ne voyons qu’une apostasie lente et croissante, un christianisme extérieur et vide, Dieu demande et requiert que  nos mains soient toujours levées, et aussi notre fidélité et notre persévérance pour ne pas le rejeter.

Dieu demande que ses élus persévèrent, intimement unis à lui et à sa volonté. Que la Bienheureuse Vierge Marie nous accorde cette grâce.

P. Luis Martinez IVE.

Celui qui fait quelque chose pour Dieu ne voit que Dieu dans son cœur

Homélie pour le Dimanche XXXII, année B (Mc 12, 38-44).

L’évangile de ce dimanche est divisé en deux parties que l’on peut bien distinguer. Dans la première partie le Seigneur dévoile, comme il l’a fait à plusieurs reprises, la malice des scribes, ceux qui devaient guider la foi du peuple d’Israël ; et Il nous apprend, dans la deuxième partie à travers l’exemple de la veuve, quelle doit être notre véritable esprit religieux devant Dieu, en d’autres mots, l’authenticité de notre foi.   

D’abord, le Seigneur met en garde donc ses disciples, par rapport à l’hypocrisie des scribes, et il est intéressant pour nous le commentaire de saint Bède à ces versets :

« Remarquez que Notre-Seigneur ne défend point de recevoir le salut sur les places publiques ou d’occuper les premières places dans les assemblées ou dans les festins à ceux qui ont droit à ces honneurs en raison de leur dignité ou de leur position ; mais qu’il blâme seulement ici ceux qui exigent ces marques d’honneur, qu’ils y aient droit ou non, et leur reproche de donner en cela un mauvais exemple qu’il faut éviter. C’est donc la disposition du cœur, et non la place elle-même que le Seigneur condamne ici. Le Sauveur nous met en garde contre ces hommes avides de vaine gloire, pour deux raisons, pour nous prémunir contre la séduction de leur conduite, que nous serions tentés de regarder comme irréprochable, ou contre une vaine émulation, qui nous porterait à les imiter, en nous réjouissant des louanges données à des actions qui n’ont que les dehors de la vertu. »

En opposition à cela, Notre Seigneur fera l’éloge de la pauvre veuve venue au temple. D’abord, car elle vient donner au Seigneur de tout son cœur ce qu’elle avait ; à côté d’autres qui donnaient de leur fortune, cette femme offre deux petites pièces d’argent, pensons qu’un simple ouvrier gagnait 16 fois la quantité offerte par la veuve, dans une seule journée du travail ; et encore, Jésus nous indique qu’elle donnera de son indigence, c’est-à-dire, de tout ce que cette femme avait pour vivre, s’abandonnant à la Providence de Dieu. Mais son offrande est seulement faite pour le culte car à cet endroit, les richesses reçues par les prêtres du Temple de Jérusalem étaient destinées au culte à Dieu, pour les sacrifices et la liturgie du grand Temple.

“Lepton”, pièces de monnaies semblables à celles offertes par la femme de l’évangile

Nous pouvons appliquer à cette femme les paroles de saint Jean Chrysostome quant à l’intention de nos actes : « Celui qui ne cherche pas à être vu des hommes, même lorsqu’il fait quelque chose en leur présence, on ne peut pas dire qu’il agit en leur présence : celui qui fait quelque chose pour Dieu ne voit que Dieu dans son cœur, pour qui il fait ce qu’il fait , car l’artiste a toujours présent dans sa pensée, la personne qui lui a confié la réalisation de l’œuvre pour laquelle il s’occupe. » (Saint Jean Chrysostome).

Mais, bien que la rectitude d’intention soit importante dans notre façon de vivre la religion pour ne pas tomber dans le péché des pharisiens, voulant montrer de la piété et gardant le mal dans leur cœur, cette rectitude, cet agir droit devant Dieu et les hommes doit se prolonger dans toutes nos actions, dans toute notre vie.

Notre intention droite dépend de la décision claire et ferme d’agir dans notre vie par amour pour Dieu, non par ambition ou par toute autre forme d’égoïsme ; de le faire devant Dieu et en vue de sa gloire, non pas devant les hommes pour rechercher notre propre gloire, c’est-à-dire une satisfaction personnelle ou l’admiration des autres. On ne peut pas servir deux maîtres, nous rappelle le Seigneur dans l’évangile.

L’intention de notre cœur doit être transparente. Cependant, il est possible d’expérimenter que, même en voulant vivre pour la gloire de Dieu, la rectitude de la volonté soit facilement déformée dans les actions concrètes, dans lesquelles, à côté de motifs saints, se trouvent souvent des aspirations moins claires. Pour cette raison, il est nécessaire de purifier la volonté, en rectifiant constamment l’intention et marquant comme but de nos actes la Gloire de Dieu. « Nous devons examiner très attentivement notre intention dans tout ce que nous faisons, et ne pas rechercher nos propres intérêts, si nous voulons servir le Seigneur » enseignait saint Grégoire le grand. (S. Grégoire le grand, Hom. sur Ézéchiel 2).

Dans la vie quotidienne, celui qui travaille avec rectitude d’intention essaie toujours de bien faire son travail. Il ne fonctionne pas dans un sens quand les autres le voient et dans un autre quand personne ne le voit. Il sait que Dieu le regarde et c’est pourquoi il essaie de remplir son devoir avec perfection, comme Dieu aime.

En effet, l’on dit que les moments de réussite ou d’échec mettent à l’épreuve la qualité de notre intention, face à la tentation du gonflement de l’orgueil ou du découragement. Saint Josémaria Escriva de Balaguer enseigne comment se préparer à ces circonstances, qui pourraient conduire au repli sur soi : déformant l’intention de la volonté, il recommandait à ses disciples : « Vous devez rester vigilant, afin que vos réussites professionnelles ou vos échecs – qui viendront ! – ne vous fassent pas oublier, ne serait-ce que momentanément, quel est le véritable but de votre travail : la gloire de Dieu !

Et pour renforcer la rectitude de l’intention, il faut rechercher la présence de Dieu dans notre vie quotidienne –  offrir la journée et ses défis au début, renouveler cette offre quand c’est possible, rendre grâce à la fin – et faire en sorte que les pratiques de piété, en particulier la Sainte Messe s’il nous est possible d’y assister, se diffusent tout au long de la journée dans une relation continue avec le Seigneur. Celui qui aime vraiment n’oublie pas l’Aimé !

Concernant la propension à se faire remarquer des autres, saint Augustin écrit : « Il n’est pas dit dans l’évangile qu’il est défendu d’être vu par les hommes, mais plutôt d’agir pour être vu par eux. Il est superflu de répéter toujours la même chose, puisque la règle à observer est une seule : craindre et éviter, non pas que les hommes connaissent nos bonnes œuvres, mais les faire avec l’intention que notre récompense soit les applaudissements des hommes. (S. AGUSTIN, Sur le Sermon sur la montagne, 2).

« Nous ne comprendrons jamais le degré de gloire que chaque bonne action nous apportera au ciel, si nous le faisons purement pour Dieu », prêchait le saint Curé d’Ars. (SAINT CURE D’ARS, Sermon sur l’espérance).

Nous allons conclure avec une belle application à l’Eglise que fait encore saint Bède à l’évangile de ce dimanche, nous pouvons aussi penser à chaque âme chrétienne: « Cette pauvre veuve représente la simplicité de l’Eglise ; elle est pauvre, parce qu’elle s’est dépouillée de l’esprit d’orgueil et des concupiscences de la terre ; elle est veuve, parce que son époux a souffert la mort pour elle. Elle met deux petites pièces de monnaie dans le tronc, parce qu’elle vient apporter l’offrande soit de l’amour de Dieu et du prochain, soit de la foi et de la prière. C’est une bien petite offrande, eu égard à notre misère personnelle, mais les pieuses dispositions de notre âme la rendent agréable à Dieu, et elle l’emporte de beaucoup sur toutes les œuvres des hommes orgueilleux ».

Que la sainte Vierge Marie nous obtienne la grâce d’une véritable piété dans notre esprit religieux. 

P. Luis Martinez IVE.