De temps en temps, les gens tombent sur de faux dollars, et pourtant nous n’entendons personne dire que la monnaie américaine ne vaut rien. Les astronomes ont vu des taches sur le soleil, cependant, nous n’avons jamais entendu quelqu’un nier que le soleil est la lumière qui illumine le monde. Pourtant, on en connaît beaucoup qui s’accrochent aux chutes – souvent scandaleuses – et aux péchés de quelques catholiques pour dire : « Ils (les membres de l’Eglise) ne te disent pas tout ! L’Église est l’œuvre du diable !
Ce point de vue extrême part d’un fait : il y a des scandales. Juste pour illustrer, mentionnons, par exemple, les politiciens qui se disent « catholiques» et ont un programme tout à fait contraire à la doctrine évangélique et malgré cela, viennent recevoir la communion; des hauts ecclésiastiques impliqués dans des affaires de corruption, des religieuses « catholiques » qui soutiennent le sacerdoce féminin… et ainsi nous pourrions continuer la liste. Rien de nouveau sous le soleil. Déjà Pie XI, en 1937, parlait de « cette incohérence et cette discontinuité dans la vie chrétienne que nous avons plusieurs fois déplorées, et qui fait que certains, alors qu’ils sont apparemment fidèles à l’accomplissement de leurs devoirs religieux, plus tard, dans le domaine du travail , ou dans l’industrie, ou dans la profession, ou dans le commerce, ou dans l’emploi, en raison d’un déplorable dédoublement de conscience, mènent une vie trop incompatible avec les normes claires de la justice et de la charité chrétienne, donnant ainsi un sérieux scandale aux faibles et offrant aux méchants un prétexte facile pour discréditer l’Église elle-même »[1].
Qu’est-ce que tout cela prouve ? Cela prouve que notre Seigneur a épousé l’humanité telle qu’elle est. Le Christ ne s’attendait pas à ce que son Corps Mystique n’ait pas de scandales car Lui-même était une pierre de scandale et était entouré de faiblesse[2]. Le Vénérable Fulton Sheen l’a dit ainsi : « Si la nature humaine de notre Seigneur pouvait subir une défaite physique et être un scandale, pourquoi n’y aurait-il pas de scandales dans son Corps Mystique composé de pauvres mortels comme nous ? »[3] .

Soyons réalistes : « L’expérience de l’Église est aussi l’expérience qu’il y a du mal parmi les hommes d’Église. Jésus lui-même a dit : il y aura du froment et de l’ivraie [4]. Si nous n’étions que du blé, le monde entier serait catholique. Mais il y a du blé et de l’ivraie […]. Ainsi, par exemple, nous voyons que Judas était au Collège apostolique. Du blé et de l’ivraie ! Et il en sera ainsi jusqu’à la fin des temps, et quiconque pense le contraire est un utopiste. L’Église du seul bien n’existe pas. L’Église est sainte parce que le commencement, les moyens et la fin sont saints. Mais l’Église a en elle des pécheurs qui sont nous. C’est pourquoi nous devons prier le « confiteor (je confesse) » au début de chaque messe, c’est pourquoi nous devons nous confesser souvent ; nous ne sommes pas des anges, nous sommes nés avec le péché originel, nous commettons beaucoup de péchés chaque jour, le juste pèche sept fois par jour[5]. Et précisément voir le mal dans l’Église, qui est l’une des plus grandes tentations qu’un chrétien puisse avoir, doit nous amener à avoir plus de foi en Jésus-Christ, car Il l’a déjà prophétisé, Il l’a dit il y a deux mille ans : Il y aura le blé et l’ivraie »[6]. En d’autres termes, nous devons bien comprendre que, comme l’a dit le P. Castellani S. I., « dans l’Église de toute l’histoire et dans l’Église du futur et, il y a eu et il y aura toujours, non seulement des justes et des pécheurs, mais encore plus, des hérétiques »[7].
Pourtant, « difficilement passe une semaine sans que quelqu’un ne dise que l’Église ou l’un de ses représentants l’a déçu ou gravement blessé »[8]. Et bien que souvent ces chrétiens qui se sentent blessés deviennent tristes, le plus souvent ils se mettent en colère et surtout se sentent gravement déçus et même trahis, car ils oublient qu’aucun prêtre, religieux, évêque ou cardinal ne représente toute l’Église. Il est douloureux, personne ne le nie, de voir que des membres de l’Église – certains hauts ecclésiastiques de la Curie romaine, certains prêtres, les ordres religieux – apparaissent à la une des journaux, des blogs, etc., en tant que protagonistes de quelque scandale et de la déception conséquente du peuple et même du clergé lui-même. Et la vérité est que – comme l’a dit le Père Groeschel – il est très probable que plus on est proche de l’Église, plus on a de chances d’être blessé ou déçu par Elle [9].
Alors on peut se demander – que ce soit un laïc, un évêque, un séminariste ou un prêtre – « Comment l’Église peut-elle nous laisser tomber si souvent et continuer encore à être le Corps Mystique du Christ ? Parce qu’évidemment, nous avons suffisamment de raisons d’attendre un meilleur soin et un meilleur exemple de qui est le représentant historique de notre adorable Sauveur dans le monde.

Une partie du problème est que nous utilisons le terme « l’Église » pour décrire une myriade de choses qui sont liées mais, à des degrés divers, très différentes les unes des autres. Ainsi, par exemple, Église peut indiquer un bâtiment matériel. Cela peut également signifier une dénomination chrétienne particulière, telle que « l’Église orthodoxe ». Cela peut faire allusion à une certaine paroisse ou à un diocèse et ainsi quelqu’un peut dire : « J’ai des problèmes avec l’église locale ». Il peut se référer à tous ceux qui sont chrétiens dans le monde, ou à tous les catholiques du monde, ou à un membre de « l’Église catholique».
Une autre source de confusion est ce que nous entendons par « membre de l’Église catholique ». On parle souvent de catholiques dans tel ou tel pays, et on lit souvent qu’un pourcentage de ces catholiques n’est pas d’accord avec les lois de l’Église sur le célibat sacerdotal ou avec ce que dit le Pape sur la contraception, pour donner un exemple. Et les journaux publient ces pourcentages dans les gros titres. Alors que nous n’avons aucune idée si ces “catholiques” vont à la messe, ou s’ils contribuent au soutien de l’Église ou quel genre d’éducation catéchétique ont-ils reçue. Groeschel cite l’exemple d’une jeune femme, une parente à lui, qui est allée dans une école catholique où on lui a appris non seulement que Dieu était une femme, mais que Jésus était une femme. Et l’auteur ajoute : « ses professeurs avaient besoin d’une thérapie, une thérapie de longue durée ». Le fait est que vous pouvez déjà imaginer le genre de « catholicité » de cette jeune femme.

Donc, il faut faire attention quand on dit « je suis membre de l’Église catholique ». Car qu’est-ce que cela signifie quand un politicien corrompu ou un journaliste sans une goutte d’amour pour la vérité dit : « Je suis catholique » ; ou quand une actrice blasphématoire dit : « Je suis catholique » ? Ils abusent de l’Église catholique et prétendent y jouer un rôle plus actif qu’ils ne l’ont jamais fait.
1. Que signifie alors Église ?
Nous trouvons une belle définition de l’Eglise que voici : « L’Église, c’est Jésus-Christ continué, répandu et communiqué ; c’est comme le prolongement de l’Incarnation rédemptrice en poursuivant la triple fonction : prophétique, sacerdotale et royale ; c’est le nouveau Peuple de Dieu; « elle est dans le Christ comme sacrement ou signe, et instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain »[10] ; c’est une communauté organiquement structurée[11], « un peuple rassemblé par l’unité du Père et du Fils et du Saint-Esprit »[12].
Dès lors, tous les scandales – la perte de la foi des religieux et la conduite qui en émane, le péché, la corruption, les hérésies, les schismes, les sacrilèges, les abus de pouvoir des ecclésiastiques, etc. – ne prouvent-ils en rien que la nature de l’Église ne soit pas intimement divine, pas plus que la crucifixion n’a prouvé que Jésus-Christ n’était pas Dieu. Si nos mains sont sales, cela ne veut pas dire que tout notre corps l’est. Nous devons être convaincus que les scandales constatés dans le Corps Mystique du Christ ne peuvent détruire la sainteté « substantielle » de l’Église. L’Église est sainte et elle n’est pas le sujet de péchés ou de scandales : les hommes le sont, mais pas l’Église en tant que telle.

Le vénérable Fulton Sheen cite l’un des plus grands scandales de l’Église : celui du pape Alexandre VI[13]. Et il commente : « Comment un homme comme Alexandre VI pourrait-il être le Vicaire infaillible du Christ et le chef de son Corps Mystique ? Pour une réponse – continue Fulton Sheen – allons au texte de l’Evangile où notre Seigneur change le nom de Simon en Pierre, et fait de lui le Rocher sur lequel Il bâtira « Son Église ». Notre Seigneur, à cette occasion même, a fait une distinction à laquelle très peu de gens pensent : Il a distingué entre l’infaillibilité, ou l’immunité contre l’erreur, et l’impeccabilité, ou l’immunité contre le péché. L’infaillibilité est l’incapacité d’enseigner ce qui est mal ; l’impeccabilité est l’incapacité de faire ce qui est mal. Notre-Seigneur a fait Pierre « le Rocher infaillible », non « impeccable » (qui ne puisse pas faire de péché)[14].
En tout cas, la plupart du temps, quand les gens disent qu’ils se sentent déçus par l’Église, ils se réfèrent à l’Église visible, extérieure, guidée par les évêques et le Pape et aussi par toutes les autres personnes qui ont une certaine responsabilité dans l’Église : le clergé, les religieux, les missionnaires, quelque institution de l’Église, quelque groupe de la paroisse, etc. Et bien des fois il peut arriver que nous tombions nous aussi dans la tentation de dire : « l’Église m’a déçu… l’Église m’a manqué… ou même m’a trahi ».
Selon le Père Groeschel, c’est quelque chose qui nous arrive tôt ou tard à tous. “Presque tous les prêtres ou religieux peuvent dire la même chose, et ils ont des plaintes ou des ennuis légitimes à propos de quelque chose qui leur est arrivé au cours de leur longue vie au service de l’Église – un moment ou lieu où ils ont été laissés de côté, négligés, méprisés, incompris, ou injustement accusés-. Je suis religieux depuis 45 ans maintenant, et je peux vous dire – poursuit le P. Groeschel – que je me trouve souvent en colère contre un certain secteur de l’Église. Les chances d’être blessé sont énormes, et elles sont plus grandes quand on est plus engagé. Par exemple, des personnes très généreuses s’approchent de l’Église à la recherche d’une occasion de servir, de donner de leur temps et de leur énergie. Peut-être donneront-ils leur vie dans la vocation religieuse. Pendant des années, les choses vont bien, on les apprécie ou on leur donne au moins la possibilité de travailler dur et de réaliser quelque chose. Mais à un moment donné, il y a un changement de « garde ». De nouveaux dirigeants apparaissent et la «vieille garde» s’en va. Tout ce qu’ils ont fait est minimisé avec une reconnaissance personnelle minimale ou presque. Et les envahit le sentiment que Dieu lui-même ne tient pas compte de ce qu’ils ont fait. Alors, en quelque sorte de façon compréhensible peut-être mais à tort, ils se fâchent contre Dieu, ou contre toute l’Église, depuis le Pape jusqu’en bas. C’est une sensation terrible. Je sais. À plus petite échelle, cela peut arriver à n’importe quel fidèle paroissien ou membre de l’Église. Ils ont été généreux jusqu’au sacrifice. Ils ont donné même jusqu’au bout, mais un nouveau prêtre ou administrateur arrive, et ils sont complètement oubliés. Ils savent que Dieu n’a pas fait cela, mais émotionnellement ils se sentent rejetés »[15].

Peut-être l’une des pires expériences à cet égard c’est lorsque «quelqu’un de l’Église» enseigne à l’un de nos proches quelque chose de contraire aux enseignements de l’Évangile et de l’Église et que celui-ci finit par s’égarer. Combien ont appris qu’il n’était pas nécessaire de se confesser, ou ont été encouragés à adopter la contraception “pour prendre soin d’eux-mêmes”, pour ne citer que quelques exemples, ou on leur a dit qu’il était acceptable d’avoir une nouvelle union après l’échec de leur propre mariage, ce mariage étant valide.
Certes, ceux qui occupent des postes d’autorité dans l’Église sont parfois assez limités dans ce qu’ils peuvent faire, plus que ne le supposent les gens. Nous le voyons, par exemple, dans la curie romaine où, à côté d’une grande sainteté chez beaucoup, il y a aussi une inaptitude notable chez certains. Mais encore, le sentiment de ceux qui ont été blessés c’est que l’Église les a laissés tomber, ou les a déçus.
2. Blessés par “l’Église”
Nous devons être très clairs sur le fait que lorsque nous disons que « l’Église » ou les dirigeants de l’Église nous déçoivent, nous ne faisons évidemment pas référence au Corps Mystique du Christ. Ce n’est pas le Verbe Incarné, qui est une seule personne mystique avec son Epouse, qui nous fait défaut. C’était peut-être quelqu’un qui exerce une certaine autorité dans l’Église, mais pas l’Église.
Et si « l’Église » nous déçoit, c’est simplement parce qu’elle est composée d’êtres humains. En effet, si nous y réfléchissons, l’Église est une grande communauté de personnes avec le péché originel et avec des péchés personnels. Nous ne parlons pas ici de l’Église triomphante, ni des saints, ni du Magistère et de la Tradition de l’Église, mais de ce côté humain de l’Église qui peut nous blesser et qui, en fait, l’a fait et le fait encore à maintes reprises. Cela nous arrive à tous, cela est aussi arrivé aux saints et les témoignages de ce genre de cas dans l’histoire de l’Église sont accablants.
« Un bouton suffit comme échantillon » affirme un dicton espagnol, prenons donc quelques exemples de personnes qui à l’époque ont été gravement blessées par « l’Église ».
Pío de Pietrelcina, par exemple, est demeuré pratiquement condamné aux arrêts à domicile pendant des décennies sur ordre du Saint-Siège. Il n’a jamais quitté la petite ville où il vivait, San Giovanni Rotondo. Jamais! Ils lui ont même interdit pendant des années de célébrer la messe en public.

Autre exemple : le bienheureux Solanus Casey[16], prêtre capucin, n’a jamais pu entendre les confessions. Et seulement une ou deux fois il a prêché un sermon. Il est d’abord entré dans un séminaire diocésain et après quatre ans de formation, il a été renvoyé parce qu’ils pensaient qu’il n’avait pas la capacité intellectuelle pour être prêtre. Il ne les a pas contredits et est rentré chez lui. Puis il rejoignit les Capucins et réussit également mal ses études (les deux séminaires enseignaient en allemand et en latin et il ne connaissait que l’anglais, étant le fils de paysans immigrés irlandais) et ses supérieurs pensaient également qu’il ne pouvait pas être ordonné prêtre, mais sa forte vie spirituelle – comme ils le percevaient – était assez avancée. Cela a poussé les responsables de sa formation à prendre la décision de l’admettre comme candidat à la prêtrise, mais pas comme Solanus l’aurait souhaité. Il a été ordonné comme « simplex sacerdos », comme on appelait à cette époque les prêtres qui ne disaient que la messe. Il ne pouvait pas prêcher, entendre des confessions ou donner l’absolution, ni être supérieur ou voter pour les chapitres de son ordre. Les gens le connaissaient comme « le frère qui dit la messe ». Mille fois dans sa vie, il a dû expliquer pourquoi il ne pouvait pas entendre les confessions. Sa première affectation était dans une paroisse de Yonkers, New York. Le curé, ne sachant comment employer un prêtre qui ne pouvait ni confesser ni prêcher, lui donna la charge de sacristain et de portier. Ceux qui l’ont connu disent que c’est l’acceptation de cette humiliation qui a fait de lui un saint et en a fait le meilleur capucin qui ait jamais vécu sur le sol américain.
En remontant dans le temps, nous trouvons Saint Alphonse de Liguori, désormais honoré comme Docteur de l’Église, qui a été contraint de quitter l’ordre qu’il avait fondé, les Rédemptoristes, afin qu’il ne soit pas supprimé. Et un détail non de moindres est le fait qu’il n’était pas autorisé à célébrer la messe dans les États pontificaux, même s’il était évêque. Incroyable ! Sainte Jeanne d’Arc a été brûlée sur le bûcher par sentence de l’évêque de Beauvais et de 11 théologiens. Dans la tour de la prison de Rouen, on peut voir d’un côté le décret de condamnation qui a conduit à l’exécution de Sainte Jeanne, et de l’autre côté de la tour, il y a le décret papal qui, 20 ans plus tard, l’avait absoute et qui condamnait les juges. Bien qu’elle ait fait appel au pape, l’évêque n’a pas accédé à sa demande ; et il a lui-même subi ensuite, à cause de cela, une sanction ecclésiastique.
Et combien d’autres!, tant!, d’innombrables exemples que nous pourrions donner ; sachant que cela est arrivé d’une manière particulière à de nombreux fondateurs d’ordres religieux.
Lire la deuxième partie
[1] Divini Redemptoris, 56.
[2] Cf. Hébreux 5,2 ; 2 Cor. 13,4.
[3] The Rock Plunged into Eternity, chap. 5. (Traduction)
[4] Cf. Mt 13,25 et ss.
[5] Proverbes 24,16.
[6] Cf. Carlos Buela, IVE, L’Art du Père, Partie 3, chap. 15.
[7] Sermons du dimanche II, dimanche V après l’Epiphanie.
[8] Nous suivons librement Benedict Groeschel, Arise from Darkness, chap. 4. (Traduit de l’anglais)
[9] P. Benedict Groeschel, Arise from Darkness, chap. 4.
[10] Lumen Gentium, 1.
[11] Cf. Ibidem, 11.
[12] Saint Cyprien, De oratione Dominica, 23 ; PL 4, 553. Cf. Lumen Gentium, 4.
[13] Il fut pape du 11 août 1492 au 18 août 1503.
[14] Cf. The Rock Plunged into Eternity, chap. 5.
[15] Cf. P. Benedict Groeschel, Arise from Darkness, chap. 4.
[16] Il est né le 25 novembre 1870 et mort le 31 juillet 1957. Il a été béatifié par le pape François le 18 novembre 2017.