Passons maintenant à l’année où il devait quitter cette vie : à tous il annonça le jour de sa mort, signifiant à tous ceux qui étaient présents qu’ils devaient tenir secret ce qu’ils avaient entendu et indiquant aux absents quel signe, et de quelle sorte, se produirait lorsque son âme sortirait de son corps.
Six jours avant son départ, il se fait ouvrir son tombeau. Peu après, il est pris d’accès de fièvre dont l’ardeur véhémente commence à l’accabler. Comme sa langueur s’aggravait de jour en jour, au sixième jour, il se fit porter par ses disciples à l’oratoire et là, il s’assura pour son départ en recevant le Corps et le Sang du Seigneur, puis, entouré de ses disciples qui soutenaient de leurs mains ses membres affaiblis, il rendit le dernier souffle en prononçant des paroles de prière.
Ce jour-là, deux de ses frères, l’un étant resté en sa cellule et l’autre se trouvant au loin, eurent la révélation d’une même et unique vision : ils virent qu’une voie recouverte de tissus précieux et illuminée de lampes innombrables, s’étendait de sa cellule jusqu’au ciel, empruntant un chemin tout droit, à l’Orient. Au sommet se tenait un homme brillant, majestueusement vêtu, qui leur demanda : ” Cette voie que vous contemplez, de qui est-elle ? ” Ils reconnurent qu’ils ne le savaient pas. Alors il leur dit : ” C’est la voie par laquelle Benoît, le bien-aimé de Dieu, est monté au ciel. ” La mort du saint homme donc, les disciples présents la virent de leurs yeux tandis que les absents en eurent connaissance grâce au signe qui leur avait été prédit.
Il fut enseveli dans l’Oratoire de Saint-Jean-Baptiste que lui-même avait construit sur les ruines de l’autel d’Apollon.
Saint Jean Paul II, en 1982, est allé en
pèlerinage devant la tombe de saint Jean de la Croix à Segovie, et l’a reconnu
comme « le grand maître des sentiers qui conduisent à la union à Dieu ».
Et c’est vrai que saint Jean de la Croix est
un guide sûr, même des plus sûrs (comme saint et comme docteur de l’Eglise)
dans notre effort à atteindre ce qui est réellement le but de notre vie
spirituelle, de toute notre vie intérieure, c’est-à-dire, l’union de notre âme
à Dieu, la perfection chrétienne, ou encore la sainteté qui, d’après Saint
Thomas d’Aquin, « en ceci consiste : que l’homme aille vers Dieu »
(Commentaire de l’Evangile de st. Jean,
ch. 13).
Et nous l’appelons « grand maître » des
chemins qui nous emmènent à l’union à Dieu, parce que comme peu de saints et
comme peu de maîtres, saint Jean de la Croix l’a souligné par sa doctrine, et
l’a montré par l’exemple de sa vie,
– quelle est cette union, qui est la fin de
notre vie,
– et quelle voie emprunter pour y arriver.
Connu est le schéma de perfection que saint
Jean de la Croix tracé sur le dessin de une montagne, le Monte Carmel, qui nous
devons monter tout droit, sans hésiter, par un sentier caillouteux, pavé d’une
seule parole répétée aussi souvent que nécessaire : rien. Il veut nous montrer par là qu’il
n’y a pas d’autre chemin qui conduise à Dieu à part celui-ci : se défaire
de tout ce qui n’est pas Dieu pour amour de Lui : « Celui qui veut être
mon disciple, doit s’oublier, prendre la croix et me suivre » (Mt, 16,
24).
C’est seulement par la croix
portée pour le Christ et avec le Christ, que nous devenons « aptes » –pour
ainsi dire– à l’union avec Dieu. « L’union »
–d’après st. Jean de la Croix– « ne consiste donc point dans les
jouissances, dans les consolations, dans les sentiments spirituels, mais dans
la mort réelle de la Croix au point de vue sensitif et spirituel, intérieur et
extérieur » (La Montée du Carmel,
liv. II, ch. VI). Et
la raison la plus profonde est que cette union telle que Saint Jean de la Croix
nous l’enseigne si bien, est une union de deux volontés, de deux amours, de
charité. Et la volonté ne peut pas avoir deux maîtres à la fois (cf. Mt 6, 24).
Ecrit saint Jean de la Croix : « Deux contraires ne peuvent pas
exister à la fois dans le même sujet ; or l’amour de Dieu et l’amour de la
créature sont deux contraires ; ils ne peuvent exister en même temps dans
une âme. Quel rapport y a-t-il entre la créature et le Créateur ? entre le
sensible et le spirituel ? entre le visible et l’invisible ? entre le
temporel et l’éternel ? entre l’aliment céleste, pur et spirituel, et la
nourriture grossière de sens ? entre le dénûment du Christ et
l’attachement à un objet quelconque ? » (La Montée du
Carmel, l. I, ch. VI).
L’union en amour avec Dieu est la seule
finalité de notre vie, et c’est déjà là le ciel. Mais pour y arriver il faut se
battre pour ne pas être comme ceux qui « ne veulent pas que Dieu leur
coûte plus cher que de parler, et même cela est mauvais ; et pour Lui ils ne
veulent pas faire presque tout ce qui leur coûte quelque chose […] pour
aller à la recherche du Bien-Aimé, l’âme doit s’exercer à pratiquer les vertus
et les mortifications propres à la vie contemplative et à la vie active ;
dans ce but elle renoncera à tous les biens et à tous les plaisirs » (Cantique B, str. 3).
En effet, de manière particulière, nous, des religieux
et des contemplatifs, que devons-nous efforcer, nous dépêcher, pour terminer le
mouvement du retour de toute la création au Créateur, « en renonçant à
tout et en visant uniquement cette fin » (Directoire de vie contemplative, 3) ; nous devons prendre
cette voie crucifiée. Nous devons commencer par nous-mêmes, avec la hâte ceux
qui aiment, en gardant toute notre force pour Dieu et en oubliant tout autre amour.
« La force de l’âme se trouve dans ses
puissances, dans ses passions et dans ses tendances, qui toutes sont gouvernées
par la volonté. Or quand la volonté les détourne de ce qui n’est pas Dieu et
les dirige vers Dieu, elle garde alors la force de son âme pour Dieu ;
c’est ainsi qu’elle parvient à aimer Dieu de toutes ses forces. Pour que l’âme
atteigne ce but, nous nous occuperons ici de purifier la volonté de toutes ses
affections désordonnées, qui sont la source d’où procèdent ses tendances, ses
attaches et ses ouvres désordonnées, et d’où vient également qu’elle ne garde
pas toute sa force pour Dieu.
Christ Crucifié dessiné par saint Jean de la Croix
Ces affections ou passions sont au nombre de
quatre, à savoir : la joie, l’espérance, la douleur et la crainte. Quand
on les applique à Dieu par un exercice raisonnable, de telle sorte que l’âme ne
se réjouisse que de ce qui intéresse purement l’honneur et la gloire de Dieu
Notre-Seigneur, ne mette qu’en lui son espérance, ne s’afflige que de ce qui le
blesse, ne craigne que lui, il est claire que l’on dispose et que l’on garde
toutes les forces de l’âme et toute son habileté pour Dieu. Au contraire, plus
l’âme se réjouirait en quelque autre chose, et moins de force elle conserverait
pour mettre sa joie en Dieu ; plus elle mettrait sa confiance dans quelque
chose de créé, moins elle en mettrait en Dieu ; et ainsi des autres
passions » (La Montée du Carmel,
l. III, ch. 15).
Que la sainte Vierge Marie nous aide à atteindre et à vivre cet amour unique, en union du Christ crucifié, qui nous amène à Dieu, notre Père, la Fin de notre vie.