“L’amour se réjouit dans la vérité”

Homélie pour le Dimanche IV, année C (Lc 4, 21-30)

L’Évangile d’aujourd’hui — tiré du chapitre 4 de saint Luc —est la continuation de celui de dimanche dernier. Nous nous trouvons encore dans la synagogue de Nazareth, le village où Jésus a grandi et où tous le connaissent. Il lit une prophétie d’Isaïe sur le Messie, et il en annonce l’accomplissement, laissant entendre que cette parole se réfère à Lui, qu’Isaïe a parlé de Lui. Ce fait suscite l’étonnement des Nazaréens : d’une part, « tous lui rendaient témoignage et étaient en admiration devant les paroles pleines de grâce qui sortaient de sa bouche » (Lc 4, 22) ; saint Marc rapporte que beaucoup disaient : « D’où cela lui vient-il ? Et qu’est-ce que cette sagesse qui lui a été donnée ? » (6, 2). Mais d’autre part, ses concitoyens le connaissent trop bien : « C’est un homme comme nous », disent-ils. « N’est-il pas le fils de Joseph ? » (Lc 4, 22), cela revient à dire : quelles aspirations peut bien avoir un charpentier de Nazareth ?

Ancienne synagogue de Nazareth

Pour cette raison, Jésus adresse aux gens des paroles qui résonnent comme une provocation. À ce moment-là, la réaction est unanime : tous se lèvent et le chassent, et ils essaient même de le jeter du haut d’un précipice, mais Lui, avec un calme souverain, traverse la foule furieuse et s’en va.

La question à se poser est presque évidente : comment se fait-il que Jésus ait voulu provoquer cette rupture ? Voici la réponse, Jésus n’est pas venu pour chercher l’approbation des hommes mais, comme il le dira à la fin à Pilate, pour « rendre témoignage à la vérité » (Jn 18, 37).

Le vrai prophète n’obéit à personne d’autre qu’à Dieu et il se met au service de la vérité, même au prix de sa vie. « Il est vrai que Jésus est le prophète de l’amour, mais l’amour a sa vérité. Amour et vérité sont même les deux noms de la même réalité, deux noms de Dieu. Dans la liturgie d’aujourd’hui résonnent aussi ces paroles de saint Paul : « L’amour est patient, il est plein de bonté; l’amour n’est pas envieux; l’amour ne se vante pas, il ne s’enfle pas d’orgueil, 5 il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il ne soupçonne pas le mal,; il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il met sa joie dans la vérité » (1 Co 13, 4-6). Croire en Dieu signifie renoncer à ses préjugés et accueillir le visage concret par lequel Il s’est révélé : l’homme Jésus de Nazareth. Et cette voie conduit aussi à le reconnaître et à le servir dans les autres. » (Benoît XVI, 03/02/2013)

Précisément nous allons parler aujourd’hui de la joie dans la vérité donnée comme dit saint Paul par l’authentique charité.

D’abord, le catéchisme nous dit que « La vérité comme rectitude de l’agir et de la parole humaine a pour nom véracité, sincérité ou franchise. La vérité ou véracité est la vertu qui consiste à se montrer vrai en ses actes et à dire vrai en ses paroles, en se gardant de la duplicité, de la simulation et de l’hypocrisie.

La vertu de vérité rend de manière juste à autrui son dû, ce qu’on doit lui donner. La véracité observe un juste milieu entre ce qui doit être exprimé, et le secret qui doit être gardé : elle implique l’honnêteté et la discrétion. En justice, ” un homme doit honnêtement à un autre la manifestation de la vérité ” (S. Thomas d’A., s. th. 2-2, 109, 3).

Le disciple du Christ accepte de ” vivre dans la vérité “, c’est-à-dire dans la simplicité d’une vie conforme à l’exemple du Seigneur et demeurant dans sa Vérité » (CEC. 2468-2470).

Il est vrai que nous ne devons pas juger selon les apparences pour ne pas tomber dans le grand péché des compatriotes de Notre Seigneur, qui ont voulu le tuer ; mais au contraire, nous devons juger dans la vérité les situations, les actions, les comportements, pour chercher la vérité, pour nous éloigner du mal, pour nous aider les uns les autres dans la recherche de la sainteté, de la vie éternelle.

Dans ce sens, nous trouvons des indications précises dans la Sainte Ecriture pour pouvoir juger dans la vérité.

Le célèbre roi sage Salomon dit dans sa prière: « Donne à ton serviteur un cœur attentif pour qu’il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal ; sans cela, comment gouverner ton peuple, qui est si important ? ».

Dans le livre du Deutéronome 16,18-20, il est dit : “Tu établiras des juges et des scribes pour tes tribus dans chacune des villes que le Seigneur te donne ; ils jugeront le peuple avec des jugements justes“. Et le livre des Lévites 19,15 “… tu jugeras ton prochain avec justice”.

Donc, selon la parole de Dieu, dans l’Ancien Testament, il était très commun et très correct de pouvoir « juger » tant que c’est de manière équitable.

Cela nous indique que nous pouvons « juger », porter des jugements justes.

Dans le Nouveau Testament, il y a plusieurs sens :

Juger dans un sens négatif. “Ne jugez pas, pour ne pas être jugé.” Matthieu 7,1

Mais il y a un jugement dans un sens positif. ” Ne jugez pas d’après l’apparence, mais jugez selon la justice.” Jn 7,24 ; cf. 1 Cor 4,1-5.

Il existe aussi le jugement comme discipline interne à l’Eglise, qui correspond à ceux qui ont l’autorité : « Sachez que j’ai déjà jugé le coupable comme s’il était présent… » 1 Co 5,3 « N’est-ce pas vous qui devez juger ceux qui sont à l’intérieur ? 1 Co 5,13

Ainsi saint Paul a porté des jugements et des jugements très durs. 2 Tim 3,8 “De même que Jannès et Jambrès s’opposaient à Moïse, de même ils s’opposent à la vérité. Ces gens ont un esprit corrompu et une foi sans valeur.”

Saint Pierre a jugé et même infligé de sévères châtiments à Ananie et Saphira. Actes 5,1-11

Jésus-Christ lui-même après avoir dit « ne jugez pas », dit en Mt 7,5: ” Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère.” Saint Jean-Baptiste a appelé les pharisiens et les sadducéens “race de vipères” (Matthieu 3,7).

Le problème n’est pas de « juger », mais de voir ou de mal juger avec des attitudes pharisaïques ou d’oublier que nous sommes tous des pécheurs.

Il s’agit de juger en tant que discernement chrétien. Comme l’exprime l’auteur de la lettre aux Hébreux 5,14 “Les adultes reçoivent de la nourriture solide, eux qui, par la pratique, ont des sens exercés au discernement du bien et du mal.

On ne peut pas distinguer, discerner sans avoir préalablement porté un jugement, 1 Tes 5,21 “Examinez tout et gardez ce qui est bon”. Ce n’est qu’en jugeant et en portant des jugements que nous pouvons distinguer le mal et le rejeter pour garder le bien.

Comme règle générale, nous ne devons pas juger par les simples apparences, car cela constitue un jugement téméraire, pour l’éviter, chacun veillera à interpréter autant que possible dans un sens favorable les pensées, paroles et actions de son prochain.

Cela exige de voir la réalité et de savoir discerner le mal du bien, car nous devons agir selon la vérité. Le discernement implique encore de savoir séparer le péché de celui qui commet le péché, qui a besoin de notre miséricorde, de notre pardon, mais aussi d’une conversion, et qu’il arrête de faire le mal qu’il fait, et comme conséquence, nous devons de façon juste et réelle dénoncer le mal, et si c’est de notre domaine, corriger celui qui le fait, comme le supérieur corrige son subalterne, les parents corrigent leurs enfants, les amis ses corrigent par charité. La correction fait partie de la charité, toujours lorsqu’on cherche le bien et le salut du prochain.

Demandons cette grâce à la très sainte Vierge Marie. La grâce de nous réjouir dans la vérité, fruit de la charité, fruit de l’amour.

P. Luis Martinez IVE.

Apôtre des touareg

Nous retrouvons à la fin d’avril 1909 le Père de Foucauld à Tamanrasset, après une halte à son ermitage de Beni-Abbès, où il passa le temps pascal.

Cet ermitage a été un peu agrandi, pendant son absence, par ses amis, qui ont même fait apporter dans « sa maison » un lit de camp. Il se remet, avec la même ardeur que par le passé, à ses travaux de langue tamacheq, ayant hâte de les achever, « pour travailler plus directement au but unique : voir davantage les personnes et donner plus de temps à la prière et aux lectures religieuses. »

Cette idée d’évangélisation progressive, qui n’a jamais cessé d’être la sienne et d’inspirer ses actes, le porte à inventer, pour ses pauvres Sahariens, quelques formules de prière, il soumet au Père Guérin un projet de chapelet simplifié, à l’usage des infidèles. Ils diraient, au commencement, l’acte de charité, puis en n’importe quelle langue, sur les petits grains : « Mon Dieu, je vous aime ! » et sur les gros grains : « Mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur. » « Jugeriez-vous bon, conclut-il, de demander des indulgences pour ce chapelet très simple, qui est bon à dire aussi pour les chrétiens ? »

Laperrine fait un séjour au Hoggar. Il fait, avec son ami le Père de Foucauld, le tour de l’Ahaggar, de manière à voir les principaux cantons habités. Cette fois, il avait résolu de recenser les guerriers Hoggar, de passer en revue les troupes disponibles contre les Azdjer, et il avait fait distribuer des fusils du modèle 1874. Preuve de confiance et gageure tout ensemble.

Moussa ag Amastane avait ordonné une revue de ses guerriers dans la haute vallée de l’oued Tmémeri. Au jour et à l’heure convenus, Laperrine se trouvait au sommet d’un mamelon, avec trois officiers, le Père de Foucauld et quatre ordonnances. Près du chef français, on avait placé le tambour de guerre, le « tebbel », qui donne le signal de l’appel aux armes.

D’une vallée voisine, où il avait convoqué ses guerriers, Moussa ag Amastane commençait à faire passer ses troupes dans la plaine de Tmereri. Entre les arbres, on vit briller les armes, on vit des boucliers, les silhouettes des premiers combattants, haut perchés, et les têtes en mouvement des méhari. Alors, le colonel fit battre le tocsin, et la poussière s’éleva entre les éthels, et 525 méharistes de Moussa s’élancèrent vers le grand chef de France immobile et secrètement enthousiaste.

« L’apprivoisement » marche à grands pas. Le Père de Foucauld en rapporte l’honneur aux officiers ; nous savons qu’il eut, dans ce commencement de civilisation, une part très considérable. Pour connaître dans le détail la vie quotidienne de l’ermite, et les choses qu’il ne raconte pas, nous avons eu quelques pages du Frère Michel, hôte passager de Beni-Âbbès. Nous aurons pour nous peindre la vie à Tamanrasset, les notes qu’a bien voulu me remettre le major Robert Hérisson, et qui se rapportent aux années 1909 et 1910.

Le docteur Hérisson a séjourné au Hoggar, pendant de longs mois, comme aide-major attaché au poste de Motylinski, et chargé de mission médicale parmi les tribus touareg. Lui aussi, et dans l’ordre scientifique, il a été l’un des agents précieux du système « d’apprivoisement » imaginé par Laperrine. Ce dernier lui avait donné l’ordre de se mettre à la disposition du Père de Foucauld, de recevoir de celui-ci des instructions sur la manière d’agir vis-à-vis des Touareg, de lui demander, notamment, dans quelles tribus, d’accord avec Moussa ag Amastane, il convenait d’abord de faire des vaccinations et de donner des soins médicaux.

« J’abordai le Père de Foucauld avec curiosité et une certaine réserve, sachant qu’il allait être « mon instructeur ».

« Je vis un homme d’apparence chétive au premier aspect, d’une cinquantaine d’années, simple, modeste. Malgré son habit, rappelant celui des Pères Blancs que j’avais vus à Ouargla, rien de monastique dans le geste, dans l’attitude. Rien de militaire non plus. Sous une très grande affabilité, simplicité, humilité de cœur, la courtoisie, la finesse, la délicatesse de l’homme du monde. Bien qu’il parût mal vêtu, sans aucun souci d’élégance, et qu’il fût d’un abord très facile pour tous, ouvriers français, brigadiers indigènes, la vivacité de son regard, sa profondeur, la hauteur de son front, l’expression de son intelligence en faisaient « quelqu’un ». Il était de taille au-dessous de la moyenne ; il paraissait, au premier aspect, peu de chose, mais j’eus vite l’impression que le Père de Foucauld était une grande intelligence, un cœur sensible, délicat… Il me fut très sympathique. Je me sentis attiré vers lui.

« Je vis qu’il était adoré de tous les Français qui le connaissaient déjà, et qu’il y avait même, chez les sous-officiers, artisans, une certaine fierté de pouvoir causer avec le Père de Foucauld et correspondre par lettre avec lui, aussi simplement, aussi familièrement qu’avec un de leurs vieux camarades.

« Le Père de Foucauld était l’âme du Hoggar. Le colonel Laperrine ne faisait rien sans prendre son avis, et Moussa ag Amastane agissait de même.

« Les indigènes avaient une telle estime pour lui qu’ils le prenaient pour juge. J’ai assisté, un matin, à cette scène fort curieuse. Il était devant sa porte, un peu incliné vers la terre, vêtu de blanc ; devant lui, au premier plan, deux immenses Touareg, vêtus de noir, le visage voilé par le litham, en grande tenue cérémonieuse, l’épée au côté, le poignard à l’avant-bras gauche, la lance dans la main droite ; derrière, d’autres Touareg, quatre ou cinq, accroupis, témoins ou auditeurs. Il s’agissait d’une histoire de vol de chameaux, et de coups donnés au nègre, esclave du propriétaire et gardien du troupeau.

« L’un accusait, l’autre niait. Tous deux avaient cette attitude emphatique, théâtrale, des Hoggar ; le geste impérieux, la voix martelée, mais assourdie par le litham qui leur faisait comme un léger bâillon.

« Finalement, on apportait un Coran, et l’accusé protestait de son innocence, en jurant sur le Coran devant le Père de Foucauld. »

Lorsque Laperrine était à Tamanrasset, le Père de Foucauld prenait ses repas sous la tente ou à l’ombre d’un arbre, avec lui, avec le docteur Hérisson et avec tous les Français du voisinage, sous-officiers, armurier, menuisier.

« Pendant les tournées, il venait avec un domestique nègre et un chameau de louage, sans tente, sans lit de camp… Il prenait souvent un autre chemin que nous, encore inexploré. Il arrivait souvent avec des petits bouts de papier pleins de notes et de croquis, tout petits, ruais très nets, comme ceux de son exploration au Maroc, et il remettait tout cela au colonel…

« Le colonel se servait de lui comme interprète… Le Père s’expliquait parfaitement en langue targuie… Les Touareg disaient : « Il connaît notre langue mieux que nous-mêmes… » Sa valeur morale était si réputée et si hautement estimée que tout ce qui se disait par lui prenait plus de poids. »

Le manuscrit du docteur Hérisson se termine par ces trois lignes :

« Le Père de Foucauld, contrairement à ce qui se dit des hommes célèbres, grandissait démesurément quand on le voyait tous les jours et de près. »

Cette opinion est d’autant plus frappante que le docteur Hérisson, de religion protestante, pouvait ne pas juger tout à fait comme un catholique l’action du religieux.

Le Père de Foucauld pense maintenant à étendre son domaine d’apostolat vers la région centrale du Hoggar et forme le plan de faire construire un petit ermitage pour deux moines à 60 kilomètres de Tamanrasset. Ce sera, au cœur des plus hautes montagnes de l’Ahaggar, Asekrem. L’idée du Père était de partager son temps entre ces deux centres.

« Le Père de Foucauld »

René BAZIN

Continuer à lire sa vie…