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« Prenez l’épée de l’esprit, qui est la Parole de Dieu.»

Homélie du R. P. Carlos M. Buela prêchée le 21 juillet 2004, lors du II Chapitre Général Ordinaire des Soeurs “Servantes du Seigneur et de la Vierge de Matara”.

Aujourd’hui, c’est la fête de saint Laurent de Brindisi, ce saint capucin qui se caractérisait entre autres par sa profonde connaissance des Saintes Écritures, pour lesquelles il s’est spécialisé dans les langues anciennes. Il l’était, outre le grec, de l’hébreu afin de pouvoir lire la Bible dans sa langue originale ; il connaissait également les langues du Moyen-Orient comme le sanskrit, le chaldéen, la langue de l’époque de Notre Seigneur, c’est-à-dire l’araméen, et d’autres langues ; il avait une grande capacité pour les langues, pour toutes, pour mieux connaître la parole de Dieu.

Aujourd’hui, le Pape[1] a expliqué dans sa catéchèse ce verset du Psaume 118 des premières vêpres du dimanche de la deuxième semaine : « Ta parole est une lampe sur mes pas, une lumière sur mon chemin ».

Et on vient de proclamer la parabole du semeur dans laquelle Notre Seigneur enseigne que le semeur sort pour semer et il disperse la semence de la Parole de Dieu, donc je vais prêcher sur la parole de Dieu.

La parole de Dieu doit être l’objet de notre amour le plus délicat. Nous devons être profondément amoureux de la parole de Dieu. Une connaissance superficielle de la parole de Dieu ne suffit pas, il faut une connaissance profonde et une connaissance amoureuse pour laquelle il faut consacrer du temps à la parole de Dieu. En particulier il faut lire le Nouveau Testament, les Évangiles surtout, mais aussi le reste du Nouveau Testament. Et connaître aussi l’Ancien Testament, mais pas avec l’importance qu’il est nécessaire de connaître le Nouveau Testament. D’une manière particulière, l’Ancien Testament doit être connu dans les livres sapientiaux et les livres prophétiques.

La parole de Dieu a de nombreuses caractéristiques. Tout d’abord, ce n’est pas un livre, même si elle se présente sous forme de livre. Si vous voyez les petites marques que la sœur à qui appartient cette Bible, a ici, vous réalisez qu’il ne s’agit pas d’un seul livre, mais de plusieurs livres. À la base, c’est une bibliothèque et, comme on dit d’un saint, « il a connu les Saintes Écritures avec tant d’amour qu’il a fait de son cœur une bibliothèque du Christ ».

En outre, l’Écriture Sainte, même si nous la voyons ainsi, nous la voyons comme inerte, comme si elle n’avait pas de vie, or c’est quelque chose de vivant. Comme dit l’apôtre saint Paul dans Hébreux 4, 12 : «La parole de Dieu est vivante. » Pourquoi est-elle vivante ? Parce qu’elle a été inspirée par le Saint-Esprit et c’est le même Saint-Esprit qui continue de donner vie à chacune des paroles de la Sainte Écriture. Et c’est pour cela que, parce que la Parole de Dieu est vivante, elle est efficace, c’est-à-dire qu’elle produit des effets bénéfiques pour l’âme. Comme cela arrive aujourd’hui, elle suscite des conversions, provoque des décisions vocationnelles, produit des vocations missionnaires, nous fait apprendre à aimer davantage Dieu et les choses de Dieu.

La parole de Dieu est vivante et efficace. Avec une telle efficacité que la parole de Dieu n’est pas quelque chose qui ne pénètre pas l’âme, on peut dire, comme la main ne peut pas pénétrer dans le mur, mais elle pénètre l’âme, et pas de n’importe quelle façon, elle pénètre dans l’âme comme une épée à double tranchant. L’épée à double tranchant pénètre dans le corps et l’ouvre d’un côté et peut l’ouvrir de l’autre. C’est ainsi avec la Parole de Dieu. Ce n’est pas quelque chose qui ne pénètre pas, c’est comme une épée. Nous venons de lire dans la lettre aux Hébreux « énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur. Pas une créature n’échappe à ses yeux, tout est nu devant elle, soumis à son regard ; nous aurons à lui rendre des comptes.»

Pour cette raison aussi, l’Apôtre dans la lettre aux Éphésiens 6 :17, parmi les armes spirituelles que le chrétien doit utiliser, place l’épée de la parole : « Prenez aussi le casque du salut et l’épée de l’esprit, qui est la Parole de Dieu.» C’est pourquoi il faut apprendre à être un bon escrimeur, à savoir manier cette épée. C’est une épée à double tranchant, c’est une épée pénétrante, c’est une épée avec laquelle il faut encore livrer aujourd’hui les combats du Seigneur, et elle est si efficace qu’elle est capable de nous donner la victoire !

 La Parole de Dieu nourrit aussi. De même que nous nous nourrissons à la table de l’Eucharistie, en mangeant le Corps et le Sang du Seigneur, nous devons apprendre à nous nourrir à la table de la Parole, en faisant nôtre cette Parole qui est la Parole de Dieu. Et parce qu’elle nourrit – comme l’Eucharistie aussi – la Parole de Dieu fortifie et soutient. C’est pourquoi Notre Seigneur Jésus-Christ a dit, rejetant les tentations du diable : « L’homme ne vit pas de pain seulement, mais de toute Parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4, 4).

Il est certain que nous devons aujourd’hui éviter un très grand mal. Nous sommes aujourd’hui pleins d’exégètes bibliques, de professeurs de l’Écriture Sainte qui croient pouvoir interpréter l’Écriture sainte telle qu’ils l’imaginent. Ils tombent dans ce qui est et était, ce qu’on appelle le libre examen protestant. Chacun interprète la Bible comme il l’entend. C’est ce qui s’est produit une fois en Angleterre, quand ils avaient décidé que la Parole de Dieu, la Bible, devait être la norme de jugement pour les juges, et qu’ils devaient juger selon la Parole de Dieu. Cela s’est produit à l’époque du protestantisme. On avait condamné une fois un protestant, on l’avait fait prisonnier. Ils l’ont condamné pour avoir volé le manteau d’autrui. Alors cet homme s’est défendu devant le tribunal et a dit : « Non, je n’ai pas volé, mais ce que j’ai voulu, c’est accomplir la Parole de Dieu, car dans la Lettre aux Galates, Saint Paul dit : « Prenez sur vous le fardeau les uns les autres et vous accomplirez la loi du Christ » » Cfr. 6, 2). Il a interprété saint Paul comme essayant de justifier le vol par la parole de Dieu.

L’Apôtre Saint Pierre met déjà en garde dans la deuxième lettre lorsqu’il dit : « Gardez à l’esprit qu’aucune prophétie de l’Écriture ne peut être interprétée par elle-même » (1, 20). C’est pourquoi l’Écriture doit être lue dans l’Église. C’est-à-dire en tenant compte de ce que l’Église a dit au cours des siècles sur la Parole que je lis et sur l’interprétation qu’elle en a donnée. « Car aucune prophétie n’a jamais été faite par la volonté de l’homme, sans que des hommes poussés par le Saint-Esprit ne nous aient parlé de la part de Dieu » (1, 21).

L’Écriture est sacrée. Personne ici ne va mélanger les hosties non consacrées avec les hosties consacrées, car les hosties consacrées sont sacrées ! Eh bien, nous n’avons pas besoin, avec notre intelligence purement humaine, de mélanger notre interprétation avec le sens authentique de ce qui est sacré, de ce qu’est la Parole de Dieu.

C’est une Parole qui m’est supérieure, elle est au-dessus de moi. Jésus dit : « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas » (Mt 24, 35).

Elle est avant moi : elle vient avant que j’existe et elle existera aussi après moi. Je mourrai, la Parole de Dieu vivra pour toujours.

Et en plus, la Parole de Dieu me transcende. Je peux l’interpréter, je peux prier avec elle, je peux vivre en la contemplant, cependant la Parole de Dieu sera toujours comme une source inépuisable, je ne pourrai jamais épuiser la source. Et j’en boirai et j’aurai envie d’en boire davantage. Et je boirai davantage et la fontaine ne tarira pas. Et comme la fontaine ne tarit pas, mon désir de boire sera plus grand et j’en bénéficierai davantage, et la Parole de Dieu continuera à me transcender. C’est pourquoi saint Thomas d’Aquin dit : « Le Saint-Esprit a fécondé la Sainte Écriture d’une vérité plus abondante que les hommes ne peuvent comprendre » (II Sent, 12, 1, 2, ad 7.)

Quelle est la singularité de la Parole de Dieu ? Qu’est-ce qui rend la Parole de Dieu absolument unique ? Elle a Dieu pour auteur principal. De telle sorte que l’auteur humain, ou les auteurs humains : Moïse, David, Isaïe, Matthieu, Jean, Paul, Pierre, ont écrit – il faut bien observer ces paroles – tout et seulement ce que Dieu a voulu. Elle contient ce que Dieu a voulu révéler, c’est pourquoi la Parole de Dieu doit d’abord être reçue avec foi. On vient de chanter le psaume responsorial, celui qui dit « Je dois ouvrir mon âme au Christ Roi ». Je dois toujours ouvrir mon âme lorsque j’ouvre les Saintes Écritures. Je dois ouvrir mon âme, mon cœur pour que ce que je lis soit gravé dans mon cœur, gravé dans mon esprit, dans mon âme. Quand on fait cela – il faut en faire l’expérience – la parole de Dieu devient plus douce que le miel. Comme dit l’Ecclésiastique, c. 24, faisant référence à la sagesse : « Ma mémoire est plus douce que le miel, mon héritage plus doux qu’un rayon de miel. » Certaines d’entre vous en auront eu l’occasion si vous étiez à la campagne quand vous étiez enfants, vous auriez peut-être trouvé une ruche accrochée à un arbre, vous chercheriez un moyen d’avoir le rayon de miel et que les abeilles ne vous piquent pas ; et on mangeait ce délicieux miel des abeilles. Eh bien, la Parole de Dieu est ainsi, plus douce que le miel.

C’est pour cela qu’elle est une lampe, comme l’a rappelé le Pape dans le verset du psaume qu’il a expliqué aujourd’hui. Comme dit un autre psaume, Psaume 18 :29 : « Tu es, Seigneur, ma lampe, mon Dieu qui éclaire mes ténèbres. » Et Il les éclaire par sa Parole. C’est pourquoi la Parole de Dieu réconforte aussi l’âme. L’âme triste, l’âme qui subit les tentations, l’âme qui ne sait pas où aller, « Lampe pour mes pas ».

« Des paroles de bonté, des paroles de consolation. », dit Zacharie 1,13. Afin qu’avec la patience et le réconfort que nous donnent les Écritures, nous puissions maintenir l’espoir. L’Écriture donne de l’espoir, du réconfort, de la patience.

On raconte l’histoire de ce grand saint, saint Dominique, qui aimait tellement la Parole de Dieu que, même s’il les connaissait par cœur, il portait toujours sur sa poitrine l’Évangile de saint Matthieu. Eh bien, maintenant, vous n’allez pas toutes accrocher la Bible à une chaîne! Ce que cela signifie, c’est que nous devons porter la Parole de Dieu dans nos cœurs. Plus tard, voyant l’amour que les saints ont eu pour la Sainte Écriture – les saints et saintes – nous devons apprendre à la connaître pour l’aimer toujours plus. Et ce sera une arme puissante pour notre sanctification et pour notre persévérance.

La Sainte Vierge connaissait tellement l’Écriture Sainte que lorsqu’elle commença comme une poétesse, à chanter le Magnificat, elle fit un beau fil de textes bibliques et de réminiscences bibliques, tant elle connaissait l’Écriture.

Je souhaite que cela se passera pour nous comme cela s’est passé pour Elle.

+ P. Carlos Miguel Buela

Fondateur de la Famille Religieuse du Verbe Incarné


[1]A l’époque, Saint Jean Paul II.

Saint Jérôme. 1600 ans de sa mort

Nous porterons aujourd’hui notre attention sur saint Jérôme, un Père de l’Eglise qui a placé la Bible au centre de sa vie:  il l’a traduite en langue latine, il l’a commentée dans ses œuvres, et il s’est surtout engagé à la vivre concrètement au cours de sa longue existence terrestre, malgré le célèbre caractère difficile et fougueux qu’il avait reçu de la nature.

Jérôme naquit à Stridon vers 347 dans une famille chrétienne, qui lui assura une formation soignée, l’envoyant également à Rome pour perfectionner ses études. Dès sa jeunesse, il ressentit l’attrait de la vie dans le monde (cf. Ep 22, 7), mais en lui prévalurent le désir et l’intérêt pour la religion chrétienne. Après avoir reçu le Baptême vers 366, il s’orienta vers la vie ascétique et, s’étant rendu à Aquilée, il s’inséra dans un groupe de fervents chrétiens, qu’il définit comme un “chœur de bienheureux” (Chron. ad ann. 374) réuni autour de l’Evêque Valérien. Il partit ensuite pour l’Orient et vécut en ermite dans le désert de Calcide, au sud d’Alep (cf. Ep 14, 10), se consacrant sérieusement aux études. Il perfectionna sa connaissance du grec, commença l’étude de l’hébreu (cf. Ep 125, 12), transcrivit des codex et des œuvres patristiques (cf. Ep 5, 2). La méditation, la solitude, le contact avec la Parole de Dieu firent mûrir sa sensibilité chrétienne. Il sentit de manière plus aiguë le poids de ses expériences de jeunesse (cf. Ep 22, 7), et il ressentit vivement l’opposition entre la mentalité païenne et la vie chrétienne:  une opposition rendue célèbre par la “vision” dramatique et vivante, dont il nous a laissé le récit. Dans celle-ci, il lui sembla être flagellé devant Dieu, car  “cicéronien  et non chrétien” (cf. Ep 22, 30).

En 382, il partit s’installer à Rome:  là, le Pape Damase, connaissant sa réputation d’ascète et sa compétence d’érudit, l’engagea comme secrétaire et conseiller; il l’encouragea à entreprendre une nouvelle traduction latine des textes bibliques pour des raisons pastorales et culturelles. Quelques personnes de l’aristocratie romaine, en particulier des nobles dames comme Paola, Marcella, Asella, Lea et d’autres, souhaitant s’engager sur la voie de la perfection chrétienne et approfondir leur connaissance de la Parole de Dieu, le choisirent comme guide spirituel et maître dans l’approche méthodique des textes sacrés. Ces nobles dames apprirent également le grec et l’hébreu.

Après la mort du Pape Damase, Jérôme quitta Rome en 385 et entreprit un pèlerinage, tout d’abord en Terre Sainte, témoin silencieux de la vie terrestre du Christ, puis en Egypte, terre d’élection de nombreux moines (cf. Contra Rufinum 3, 22; Ep 108, 6-14). En 386, il s’arrêta à Bethléem, où, grâce à la générosité de la noble dame Paola, furent construits un monastère masculin, un monastère féminin et un hospice pour les pèlerins qui se rendaient en Terre Sainte, “pensant que Marie et Joseph n’avaient pas trouvé où faire halte” (Ep 108, 14). Il resta à Bethléem jusqu’à sa mort, en continuant à exercer une intense activité:  il commenta la Parole de Dieu; défendit la foi, s’opposant avec vigueur à différentes hérésies; il exhorta les moines à la perfection; il enseigna la culture classique et chrétienne à de jeunes élèves; il accueillit avec une âme pastorale les pèlerins qui visitaient la Terre Sainte. Il s’éteignit dans sa cellule, près de la grotte de la Nativité, le 30 septembre 419/420.

Sa grande culture littéraire et sa vaste érudition permirent à Jérôme la révision et la traduction de nombreux textes bibliques:  un travail précieux pour l’Eglise latine et pour la culture occidentale. Sur la base des textes originaux en grec et en hébreu et grâce à la confrontation avec les versions précédentes, il effectua la révision des quatre Evangiles en langue latine, puis du Psautier et d’une grande partie de l’Ancien Testament. En tenant compte de l’original hébreu et grec, des Septante et de la version grecque classique de l’Ancien Testament remontant à l’époque pré-chrétienne, et des précédentes versions latines, Jérôme, ensuite assisté par d’autres collaborateurs, put offrir  une  meilleure  traduction:  elle constitue ce qu’on appelle la “Vulgate”, le texte “officiel” de l’Eglise latine, qui a été reconnu comme tel par le Concile de Trente et qui, après la récente révision, demeure le texte “officiel” de l’Eglise de langue latine. Il est intéressant de souligner les critères auxquels ce grand bibliste s’est tenu dans son œuvre de traducteur. Il le révèle lui-même quand il affirme respecter jusqu’à l’ordre des mots dans les Saintes Ecritures, car dans celles-ci, dit-il, “l’ordre des mots est aussi un mystère” (Ep 57, 5), c’est-à-dire une révélation. Il réaffirme en outre la nécessité d’avoir recours aux textes originaux:  “S’il devait surgir une discussion entre les Latins sur le Nouveau Testament, en raison des leçons discordantes des manuscrits, ayons recours à l’original, c’est-à-dire au texte grec, langue dans laquelle a été écrit le Nouveau Pacte. De la même manière pour l’Ancien Testament, s’il existe des divergences entre les textes grecs et latins, nous devons faire appel au texte original, l’hébreu; de manière à ce que nous puissions retrouver tout ce qui naît de la source dans les ruisseaux” (Ep 106, 2). En outre, Jérôme commenta également de nombreux textes bibliques. Il pensait que les commentaires devaient offrir de nombreuses opinions, “de manière à ce que le lecteur avisé, après avoir lu les différentes explications et après avoir connu de nombreuses opinions – à accepter ou à refuser -, juge celle qui était la plus crédible et, comme un expert en monnaies, refuse la fausse monnaie” (Contra Rufinum 1, 16).

Il réfuta avec énergie et vigueur les hérétiques qui contestaient la tradition et la foi de l’Eglise. Il démontra également l’importance et la validité de la littérature chrétienne, devenue une véritable culture désormais digne d’être comparée avec la littérature classique:  il le fit en composant le De viris illustribus, une œuvre dans laquelle Jérôme présente les biographies de plus d’une centaine d’auteurs chrétiens. Il écrivit également des biographies de moines, illustrant à côté d’autres itinéraires spirituels également l’idéal monastique; en outre, il traduisit diverses œuvres d’auteurs grecs. Enfin, dans le fameux Epistolario, un chef-d’œuvre de la littérature latine, Jérôme apparaît avec ses caractéristiques d’homme cultivé, d’ascète et de guide des âmes.

Que pouvons-nous apprendre de saint Jérôme? Je pense en particulier ceci:  aimer la Parole de Dieu dans l’Ecriture Sainte. Saint Jérôme dit:  “Ignorer les Ecritures, c’est ignorer le Christ”. C’est pourquoi, il est très important que chaque chrétien vive en contact et en dialogue personnel avec la Parole de Dieu qui nous a été donnée dans l’Ecriture Sainte. Notre dialogue avec elle doit toujours revêtir deux dimensions:  d’une part, il doit être un dialogue réellement personnel, car Dieu parle avec chacun de nous à travers l’Ecriture Sainte et possède un message pour chacun. Nous devons lire l’Ecriture Sainte non pas comme une parole du passé, mais comme une Parole de Dieu qui s’adresse également à nous et nous efforcer de comprendre ce que le Seigneur veut nous dire. Mais pour ne pas tomber dans l’individualisme, nous devons tenir compte du fait que la Parole de Dieu nous est donnée précisément pour construire la communion, pour nous unir dans la vérité de notre chemin vers Dieu. C’est pourquoi, tout en étant une Parole personnelle, elle est également une Parole qui construit une communauté, qui construit l’Eglise. Nous devons donc la lire en communion avec l’Eglise vivante. Le lieu privilégié de la lecture et de l’écoute de la Parole de Dieu est la liturgie, dans laquelle, en célébrant la parole et en rendant présent dans le Sacrement le Corps du Christ, nous réalisons la parole dans notre vie et la rendons présente parmi nous. Nous ne devons jamais  oublier  que  la Parole de Dieu transcende les temps. Les opinions humaines vont et viennent. Ce qui est très moderne aujourd’hui sera très vieux demain. La Parole de Dieu, au contraire, est une Parole de vie éternelle, elle porte en elle l’éternité, ce qui vaut pour toujours. En portant en nous la Parole de Dieu, nous portons donc en nous l’éternel, la vie éternelle.

Et ainsi, je conclus par une parole de saint Jérôme à saint Paulin de Nola. Dans celle-ci, le grand exégète exprime précisément cette réalité, c’est-à-dire que dans la Parole de Dieu, nous recevons l’éternité, la vie éternelle. Saint Jérôme dit:  “Cherchons à apprendre sur la terre les vérités dont la consistance persistera également au ciel” (Ep 53, 10).

Benoît XVI

Audience 07/11/2007

Nous poursuivons aujourd’hui la présentation de la figure de saint Jérôme. Comme nous l’avons dit mercredi dernier, il consacra sa vie à l’étude de la Bible, au point d’être reconnu par l’un de mes prédécesseurs, le Pape Benoît XV, comme “docteur éminent dans l’interprétation des Saintes Ecritures”. Jérôme soulignait la joie et l’importance de se familiariser avec les textes bibliques:  “Ne te semble-t-il pas habiter – déjà ici, sur terre – dans le royaume des cieux, lorsqu’on vit parmi ces textes, lorsqu’on les médite, lorsqu’on ne connaît ni ne recherche rien d’autre?” (Ep 53, 10). En réalité, dialoguer avec Dieu, avec sa Parole, est dans un certain sens une présence du Ciel, c’est-à-dire une présence de Dieu. S’approcher des textes bibliques, surtout du Nouveau Testament, est essentiel pour le croyant, car “ignorer l’Ecriture, c’est ignorer le Christ”. C’est à lui qu’appartient cette phrase célèbre, également citée par le Concile Vatican II dans la Constitution Dei Verbum (n. 25).

Réellement “amoureux” de la Parole de Dieu, il se demandait:  “Comment pourrait-on vivre sans la science des Ecritures, à travers lesquelles on apprend à connaître le Christ lui-même, qui est la vie des croyants” (Ep 30, 7). La Bible, instrument “avec lequel Dieu parle chaque jour aux fidèles” (Ep 133, 13), devient ainsi un encouragement et la source de la vie chrétienne pour toutes les situations et pour chaque personne. Lire l’Ecriture signifie converser avec Dieu:  “Si tu pries – écrit-il à une noble jeune fille de Rome -, tu parles avec l’Epoux; si tu lis, c’est Lui qui te parle” (Ep 22, 25). L’étude et la méditation de l’Ecriture rendent l’homme sage et serein (cf. In Eph., prol.). Assurément, pour pénétrer toujours plus profondément la Parole de Dieu, une application constante et progressive est nécessaire. Jérôme recommandait ainsi au prêtre Népotien:  “Lis avec une grande fréquence les divines Ecritures; ou mieux, que le Livre Saint reste toujours entre tes mains. Apprends-là ce que tu dois enseigner” (Ep 52, 7). Il donnait les conseils suivants à la matrone romaine Leta pour l’éducation chrétienne de sa fille:  “Assure-toi qu’elle étudie chaque jour un passage de l’Ecriture… Qu’à la prière elle fasse suivre la lecture, et à la lecture la prière… Au lieu des bijoux et des vêtements de soie, qu’elle aime les Livres divins” (Ep 107, 9.12). Avec la méditation et la science des Ecritures se “conserve l’équilibre de l’âme” (Ad Eph., prol.). Seul un profond esprit de prière et l’assistance de l’Esprit Saint peuvent  nous  introduire à la compréhension de la Bible:  “Dans l’interprétation des Saintes Ecritures, nous avons toujours besoin de l’assistance de l’Esprit Saint” (In Mich. 1, 1, 10, 15).

Un amour passionné pour les Ecritures imprégna donc toute la vie de Jérôme, un amour qu’il chercha toujours à susciter également chez les fidèles. Il recommandait à l’une de ses filles spirituelles:  “Aime l’Ecriture Sainte et la sagesse t’aimera; aime-la tendrement, et celle-ci te préservera; honore-la et tu recevras ses caresses. Qu’elle soit pour toi comme tes colliers et tes boucles d’oreille” (Ep 130, 20). Et encore:  “Aime la science de l’Ecriture, et tu n’aimeras pas les vices de la chair” (Ep 125, 11).

Pour Jérôme, un critère de méthode fondamental dans l’interprétation des Ecritures était l’harmonie avec le magistère de l’Eglise. Nous ne pouvons jamais lire l’Ecriture seuls. Nous trouvons trop de portes fermées et nous glissons facilement dans l’erreur. La Bible a été écrite par le Peuple de Dieu et pour le Peuple de Dieu, sous l’inspiration de l’Esprit Saint. Ce n’est que dans cette communion avec le Peuple de Dieu que nous pouvons réellement entrer avec le “nous” au centre de la vérité que Dieu lui-même veut nous dire. Pour lui, une interprétation authentique de la Bible devait toujours être en harmonieuse concordance avec la foi de l’Eglise catholique. Il ne s’agit pas d’une exigence imposée à ce Livre de l’extérieur; le Livre est précisément la voix du Peuple de Dieu en pèlerinage et ce n’est que dans la foi de ce Peuple que nous sommes, pour ainsi dire, dans la juste tonalité pour comprendre l’Ecriture Sainte. Il admonestait donc:  “Reste fermement attaché à la doctrine traditionnelle qui t’a été enseignée, afin que tu puisses exhorter selon la saine doctrine et réfuter ceux qui la contredisent” (Ep 52, 7). En particulier, étant donné que Jésus Christ a fondé son Eglise sur Pierre, chaque chrétien – concluait-il – doit être en communion “avec la Chaire de saint Pierre. Je sais que sur cette pierre l’Eglise est édifiée” (Ep 15, 2). Par conséquent, et de façon directe, il déclarait:  “Je suis avec quiconque est uni à la Chaire de saint Pierre” (Ep 16).

Jérôme ne néglige pas, bien sûr, l’aspect éthique. Il rappelle au contraire souvent le devoir d’accorder sa propre vie avec la Parole divine et ce n’est qu’en la vivant que nous trouvons également la capacité de la comprendre. Cette cohérence est indispensable pour chaque chrétien, et en particulier pour le prédicateur, afin que ses actions, si elles étaient discordantes par rapport au discours, ne le mettent pas dans l’embarras. Ainsi exhorte-t-il le prêtre Népotien:  “Que tes actions ne démentent pas tes paroles, afin que, lorsque tu prêches à l’église, il n’arrive pas que quelqu’un commente en son for intérieur:  “Pourquoi n’agis-tu pas précisément ainsi?” Cela est vraiment plaisant de voir ce maître qui, le ventre plein, disserte sur le jeûne; même un voleur peut blâmer l’avarice; mais chez le prêtre du Christ, l’esprit et la parole doivent s’accorder” (Ep 52, 7). Dans une autre lettre, Jérôme réaffirme:  “Même si elle possède une doctrine splendide, la personne qui se sent condamnée par sa propre conscience se sent honteuse” (Ep 127, 4). Toujours sur le thème de la cohérence, il observe:  l’Evangile doit se traduire par des attitudes de charité véritable, car en chaque être humain, la Personne même du Christ est présente. En s’adressant, par exemple, au prêtre Paulin (qui devint ensuite Evêque de Nola et saint), Jérôme le conseillait ainsi:  “Le véritable temple du Christ est l’âme du fidèle:  orne-le, ce sanctuaire, embellis-le, dépose en lui tes offrandes et reçois le Christ. Dans quel but revêtir les murs de pierres précieuses, si le Christ meurt de faim dans la personne d’un pauvre?” (Ep 58, 7). Jérôme concrétise:  il faut “vêtir le Christ chez les pauvres, lui rendre visite chez les personnes qui souffrent, le nourrir chez les affamés, le loger chez les sans-abris” (Ep 130, 14). L’amour pour le Christ, nourri par l’étude et la méditation, nous fait surmonter chaque difficulté:  “Aimons nous aussi Jésus Christ, recherchons toujours l’union avec lui:  alors, même ce qui est difficile nous semblera facile” (Ep 22, 40).

Grotte de saint Jérôme. Basilique de la Nativité. Bethlehem.

Jérôme, défini par Prospère d’Aquitaine comme un “modèle de conduite et maître du genre humain” (Carmen de ingratis, 57), nous a également laissé un enseignement riche et varié sur l’ascétisme chrétien. Il rappelle qu’un courageux engagement vers la perfection demande une vigilance constante, de fréquentes mortifications, toutefois avec modération et prudence, un travail intellectuel ou manuel assidu pour éviter l’oisiveté (cf. Epp 125, 11 et 130, 15), et surtout l’obéissance à Dieu:  “Rien… ne plaît autant à Dieu que l’obéissance…, qui est la plus excellente et l’unique vertu” (Hom. de oboedientia:  CCL 78,552). La pratique des pèlerinages peut également appartenir au chemin ascétique. Jérôme donna en particulier une impulsion à ceux en Terre Sainte, où les pèlerins étaient accueillis et logés dans des édifices élevés à côté du monastère de Bethléem, grâce à la générosité de la noble dame Paule, fille spirituelle de Jérôme (cf. Ep 108, 14).

Enfin, on ne peut pas oublier la contribution apportée par Jérôme dans le domaine de la pédagogie chrétienne (cf. Epp 107 et 128). Il se propose de former “une âme qui doit devenir le temple du Seigneur” (Ep 107, 4), une “pierre très précieuse” aux yeux de Dieu (Ep 107, 13). Avec une profonde intuition, il conseille de la préserver du mal et des occasions de pécher, d’exclure les amitiés équivoques ou débauchées (cf. Ep 107, 4 et 8-9; cf. également Ep 128, 3-4). Il exhorte surtout les parents pour qu’ils créent  un  environnement  serein   et joyeux autour des enfants, pour qu’ils les incitent à l’étude et au travail, également par la louange et l’émulation (cf. Epp 107, 4 et 128, 1), qu’ils les encouragent à surmonter les difficultés, qu’ils favorisent entre eux les bonnes habitudes et qu’ils les préservent d’en prendre de mauvaises car – et il cite là une phrase de Publilius Syrus entendue à l’école – “difficilement tu réussiras à te corriger de ces choses dont tu prends tranquillement l’habitude” (Ep 107, 8). Les parents sont les principaux éducateurs des enfants, les premiers maîtres de vie. Avec une grande clarté, Jérôme, s’adressant à la mère d’une jeune fille et mentionnant ensuite le père, admoneste, comme exprimant une exigence fondamentale de chaque créature humaine qui commence son existence:  “Qu’elle trouve en toi sa maîtresse, et que sa jeunesse inexpérimentée regarde vers toi avec émerveillement. Que ni en toi, ni en son père elle ne voie jamais d’attitudes qui la conduisent au péché, si elles devaient être imitées. Rappelez-vous que… vous pouvez davantage l’éduquer par l’exemple que par la parole” (Ep 107, 9). Parmi les principales intuitions de Jérôme comme pédagogue, on doit souligner l’importance attribuée à une éducation saine et complète dès la prime enfance, la responsabilité particulière reconnue aux parents, l’urgence d’une sérieuse formation morale et religieuse, l’exigence de l’étude pour une formation humaine plus complète. En outre, un aspect assez négligé à l’époque antique, mais considéré comme vital par notre auteur, est la promotion de la femme, à laquelle il reconnaît le droit à une formation complète:  humaine, scolaire, religieuse, professionnelle. Et nous voyons précisément aujourd’hui que l’éducation de la personnalité dans son intégralité, l’éducation à la responsabilité devant Dieu et devant l’homme, est la véritable condition de tout progrès, de toute paix, de toute réconciliation et d’exclusion de la violence. L’éducation devant Dieu et devant l’homme:  c’est l’Ecriture Sainte qui nous indique la direction de l’éducation et ainsi, du véritable humanisme.

Nous ne pouvons pas conclure ces rapides annotations sur cet éminent Père de l’Eglise sans mentionner la contribution efficace qu’il apporta à la préservation d’éléments positifs et valables des antiques cultures juive, grecque et romaine au sein de la civilisation chrétienne naissante. Jérôme a reconnu et assimilé les valeurs artistiques, la richesse des sentiments et l’harmonie des images présentes chez les classiques, qui éduquent le cœur et l’imagination à de nobles sentiments. Il a en particulier placé au centre de sa vie et de son activité la Parole de Dieu, qui indique à l’homme les chemins de la vie, et lui révèle les secrets de la sainteté. Nous ne pouvons que lui être profondément reconnaissants pour tout cela, précisément dans le monde d’aujourd’hui.

Benoît XVI

Audience 14/11/2007